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«Le Pdt Kabila partira après les prochaines élections» en RDC:Aubin Minaku
Joseph Kabila -En RDC, Joseph Kabila devrait annoncer, la semaine prochaine, peut-être le mardi 15 octobre 2013, devant les deux chambres réunies en Congrès, des mesures en faveur de l’ouverture politique. Le chef de l’Etat congolais va-t-il s’inspirer des recommandations faites par les concertations nationales qui se sont achevées la semaine dernière ? Eléments de réponse avec le président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku. Le secrétaire général de la majorité présidentielle répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Que répondez-vous à ceux qui disent que ces concertations nationales, c’était de la poudre aux yeux ?
Aubin Minaku : La réponse est simple : ils ne pouvaient que dire cela, parce qu’ils n’ont pas pris part aux travaux. Tous ceux qui ont pris part aux travaux, les délégués, les experts, les observateurs nationaux comme étrangers, et finalement, même les membres permanents du Conseil de sécurité, se sont rendu compte que les concertations ont été sérieuses. Les délégués ont débattu en toute liberté. Ce sont des résolutions fondamentales qui ont été adoptées. Reste maintenant leur mise en œuvre à partir du discours du président de la République devant le Congrès.
Officiellement, ces concertations réunissaient le pouvoir et l’opposition. Mais les deux principaux opposants, Etienne Tshisekedi (UDPS) et Vital Kamerhe (UNC), ont boycotté ces rencontres. Alors, le jeu n’est-il pas faussé depuis le début ?
Les concertations nationales ne concernaient pas que la majorité et l’opposition. Il y a la société civile, les chefs coutumiers, les experts, etc. J’ajouterais qu’en réalité, l’UDPS évolue en parallèle avec le cadre institutionnel, parce que le chef de l’UDPS se considère comme le président de la République, c’est une situation insolite. Cependant, les élus de l’UDPS à l’Assemblée nationale – une bonne vingtaine – ont pris part aux travaux de concertation nationale.
Vous évoquez les dissidents de l’UDPS qui ont participé à ces concertations, mais depuis vingt ans on compte des centaines de dissidents de ce parti, ce qui n’empêche pas Etienne Tshisekedi de rassembler des millions de voix à chaque nouvelle élection. Est-ce que son absence ne nuit pas à la crédibilité de ces concertations ?
Il a été absent aux élections de 2006 proclamées crédibles par tous. Donc, ce n’est pas sa présence qui crédibilise, même s’il est vrai qu’il a obtenu des voix pendant les dernières élections de 2011. Mais la crédibilité des concertations nationales, on la voit à travers le sérieux des recommandations issues de ces concertations. La République ne peut pas être l’esclave d’un parti politique.
A l’issue de ces concertations, les délégués ont fait de nombreuses recommandations en faveur de l’ouverture démocratique. Le président Kabila leur a répondu qu’il présentera bientôt des mesures importantes. Pouvez-vous nous en donner des exemples ?
Je n’ose pas devancer le président de la République dans ses prérogatives constitutionnelles, mais en tout cas il a clairement dit que l’ouverture politique prônée par lui depuis sa prestation de serment, il va davantage la mettre en œuvre.
Avec la nomination d’un nouveau Premier ministre ?
Le Premier ministre émane de la majorité. Ce n’est pas une affaire de Premier ministre tout seul ou d’autres institutions. L’essentiel, c’est que rapidement les recommandations soient mises en œuvre.
Mais si le prochain Premier ministre émane de la majorité, est-ce que ce sera un Premier ministre d’ouverture ?
Nécessairement, le prochain Premier ministre devra gérer un gouvernement où l’on retrouverait des membres de l’opposition. C’est cela aussi, l’ouverture.
Vous parlez ouverture, vous parlez consensus, cela peut-il être l’occasion de changer la Constitution ?
La Constitution congolaise est claire, il faut la respecter. Et le président de la République l’a toujours dit. Et si dans cette Constitution, les dirigeants estiment qu’il y a nécessité d’une révision dans l’intérêt de la République sur la base de la même Constitution, ce ne doit pas être un tabou. Mais si la Constitution prévoit quelques dispositions intangibles, on ne touche pas aux dispositions intangibles. Donc pour moi, la révision de la Constitution, ce n’est pas un tabou, mais il s’agit d’une révision des dispositions révisables. On ne touche pas aux dispositions intangibles.
Parmi les dispositions intangibles, il y a l’article 220, qui interdit au président Kabila de se présenter en 2016 pour un troisième mandat. A vous écouter, on ne touche pas à l’article 220 ?
C’est une disposition intangible ! On ne touche pas à cette disposition. Ca signifie qu’il y a respect des deux mandats non renouvelables. C’est clair.
Donc, si on ne touche pas à l’article 220, est-ce que ça veut dire que le président Kabila partira en 2016 ?
Le président de la République partira après les prochaines élections. Parce que selon la Constitution congolaise, une institution libère les fonctions quand il y a un autre qui a été élu de façon démocratique. Le jour où on organisera les élections présidentielles dans cette République, et que ce sera gagné par quelqu’un d’autre, celui-là remplacera Kabila.
Mais vous savez bien qu’il y a des figures de la majorité présidentielle, comme Evariste Boshab, qui se prononce en faveur de la révision de la Constitution. Visiblement, vous n’êtes pas d’accord avec elle ?
Je suis quand même secrétaire général de la majorité présidentielle et je ne sais pas s’il y a un organe de la majorité présidentielle qui réclame une révision constitutionnelle pour prolonger le mandat. Je sais qu’il y a des écrits scientifiques. Chacun a le droit de s’exprimer, mais il n’y a aucun organe de la majorité présidentielle qui s’est prononcé dans ce sens-là.
Par RFI- Christophe Boisbouvier -
Révision de l’article 220 : Bob Kabamba fixe l’opinion
-Politologue, enseignant à l’Université de Liège (Belgique), Bob Kabamba Kazadi, s’exprime dans une interview exclusive accordée à notre Rédaction sur l’opportunité de la révision constitutionnelle, principalement l’article 220 qui porte sur la durée du mandat du président de la République. Il est formel sur un point : après la révision de 2011, une nouvelle relecture de la Constitution est tout à fait inopportune. Il craint qu’une telle procédure n’aboutisse au déséquilibre de l’architecture constitutionnelle mise en place en 2006. Interview.
Vous avez été l’un des artisans de la Constitution de 2006. Avec un peu de recul, pensez-vous avoir doté la RDC d’une bonne Constitution ?
Nous avons doté la RDC d’une bonne constitution qui permet d’avoir des institutions où aucune institution n’est supérieure par rapport à l’autre. Cette constitution a été faite pour qu’il y ait une gestion pacifique de l’après-conflit, avec équilibre entre le président de la République et le Premier ministre, entre le Sénat et l’Assemblée nationale, entre l’Etat central et les provinces, la gendarmerie et la Police, etc. Donc, une série de mécanismes qui permet d’avoir une gestion équilibrée sans que celui qui prend le pouvoir puisse se permettre d’écraser d’autres institutions. C’est cela la philosophie de la Constitution de 2006.
Pourtant, cette Constitution a été revisée en 2011. Etait-il opportun d’engager cette procédure ?
Non. Cette révision n’était pas adéquate pour la bonne et simple raison qu’en faisant la modification de janvier 2011, on a modifié l’équilibre des institutions. C’est-à-dire que l’on a renforcé le pouvoir du président de la République par rapport à ce qui a été décidé par referendum en 2006. Je m’explique. Parce que lorsque l’on donne au chef de l’Etat le pouvoir de pouvoir dissoudre les assemblées provinciales, on ajoute au président de la République le pouvoir au détriment des institutions provinciales, c’est-à-dire on crée un déséquilibre qui n’était pas au départ. Lorsque l’on place le président de la République dans la Conseil supérieur de la magistrature, là aussi on crée un déséquilibre qui va à l’encontre du pouvoir judiciaire. Donc, la révision de la Constitution de 2011 modifie, de manière très claire, l’équilibre qui a été décidé par referendum de 2006.
Est-ce que la modification de la Constitution peut avoir des influences sur la souveraineté de l’Etat, notamment la remettre en cause ?
On ne remet pas en cause la souveraineté de l’Etat. Mais l’on remet plutôt en cause le poids des institutions. Cela en modifiant l’équilibre entre les institutions. On renforce le pouvoir d’une institution au détriment des autres. On n’est plus dans un mécanisme équilibré entre les institutions, mais vers le présidentialisme. Et pourtant on avait voulu éviter en 2006 le présidentialisme avec le recul de l’histoire du Congo. On a voulu plutôt privilégier une majorité parlementaire pour une gestion importante liée au Parlement. Un Parlement qui assume des responsabilités importantes. Or, en révisant la Constitution, on est allé plus vers le présidentialisme que vers la majorité parlementaire.
Il y a actuellement un grand débat autour de la révision de la Constitution de la RDC, après celle de 2011. Quel est votre point de vue ?
Généralement, une constitution peut être modifiée, mais il faut savoir choisir à quel moment la modifier. Je pense que le débat qui est en train de se passer sur la révision constitutionnelle en RDC a lieu d’être. Mais, réviser la Constitution est tout à fait inopportun. Pourquoi ? Parce que tout le monde sait que dans l’actuelle Constitution, on a essayé de verrouiller les principes pour éviter que le Congo ne retombe dans les travers de l’histoire, ne soit plus un pays dirigé et pris en otage par un homme ou par un régime, pour qu’il y ait la possibilité d’organiser les élections ou d’avoir une alternance au niveau de la gestion du pays. Que tout le monde puisse avoir la possibilité de présenter un projet de société sur base duquel il peut être élu. C’est cela le fondement d’une Constitution. Mais lorsque l’on commence à toucher ce fondement, on dénature ce sur quoi les Congolais ont donné leur quitus. Parce que le texte a été adopté par référendum. Ça veut dire que les Congolais étaient d’accord avec un système qui a été adopté, c’est-à-dire un système équilibré, mais pas un système qui privilégie une institution au détriment des autres. Je pense que la révision constitutionnelle est inopportune dans le contexte actuel de la RDC. Car, de mon point de vue, elle va encore accentuer le déséquilibre qui s’est creusé en 2011 et qui risque de se creuser davantage si on refait une deuxième révision constitutionnelle. Et cela revient à toucher au fondement de ce qui fait le ciment de l’architecture et aux valeurs républicaines que la Constitution essaye de défendre.
Votre collègue, le professeur Evariste Boshab, a été le premier à porter le débat sur la place publique en publiant un livre dans lequel il fait le lien entre la révision de la Constitution et l’inanition de la nation. Qu’en dites-vous ?
J’ai lu ce livre. C’est un livre passionnant. Sur le fonds, il pose des questions qui remettent en cause par rapport aux principes de révision de la Constitution, etc. Il est scientifique. Scientifiquement, tout le monde peut écrire un livre. Mais, il y a une question : Qui publie ce livre ? Il s’agit d’Evariste Boshab. Il est secrétaire général du premier parti politique du pays (Ndlr : PPRD), ancien président de l’Assemblée nationale, ancien directeur de cabinet du chef de l’Etat. Et, il a une place de choix dans le cercle du pouvoir. Et quand quelqu’un de sa trempe écrit un livre, bien sûr, on tombe dans le débat d’opportunisme, de l’opportunité et dans le débat politique. Le débat politique : Est-ce qu’il était opportun pour lui de publier ce livre maintenant ? Je ne pense pas. Si c’était quelqu’un d’autre qui l’aurait écrit, je ne pense pas qu’il y aurait ce débat. Mais, comme c’est lui, même tant que scientifique, il peut le faire, mais je pense qu’il devait choisir le moment de le publier.
Qu’est-ce qui fausse alors le débat ? Est-ce la personne de Boshab ou le livre ?
J’aurais tendance à dire les deux. Au fait, le débat sur la révision de la Constitution a lieu d’être. Il y a lieu d’engager un débat scientifique. Mais, le problème qu’il y a est que le chercheur est en même acteur politique. Le chercheur étant acteur politique, même s’il pose un geste scientifique, cela sera vu comme un acte politique. Et donc, le livre devient un livre politisé et le débat également politisé. Il quitte la sphère scientifique et entre dans la sphère politique. Puisque son auteur n’est pas seulement un chercheur scientifique, mais il est aussi acteur politique. En publiant ce livre, cela donne le point de vue du politique et non pas les questions du chercheur sur un sujet. Cela parce que le politique va au-devant du chercheur. Donc, le débat a lieu d’être, la questions liées à la personnalité de celui qui pose le débat politise malheureusement ce débat. Et le bienfait que l’on peut voir dans ce débat est qu’on parle de cette révision constitutionnelle. Mais, j’ose croire que ça va s’arrêter seulement au niveau de parler et il n’y aura pas une révision constitutionnelle qui va modifier l’architecture, la structure que les Congolais avaient adoptée par référendum.
Dans l’opinion, vous passez pour quelqu’un qui est très proche du pouvoir, qu’en dites-vous ?
C’est vrai que je travaille beaucoup avec les institutions. Mais, le problème est le suivant : quand vous travaillez avec les institutions, il faut savoir que vous travaillez avec les animateurs de ces institutions qui sont, notamment au niveau du Parlement qui est constitué des hommes élus par le peuple. Et qui sont les élus ? Ce sont des hommes qui appartiennent à un parti politique. Et quand vous travaillez avec le gouvernement, vous devez travailler avec des gens qui ont une certaine couleur politique. Et lorsque vous travaillez, par exemple, sur la conférence de Goma, à l’époque, c’était le ministère de l’Intérieur qui était Denis Kalume, avec comme président de la conférence, abbé Apollinaire Malumalu, vous devez savoir que lorsque vous travaillez avec ces institutions, vous travaillez avec ses animateurs. Et, l’amalgame est vite fait. L’amalgame est que l’on vous dira que vous êtes proche de la Majorité. On a beaucoup plus travaillé en appui au Parlement sur la rédaction des textes. Et là, on travaille avec des parlementaires qui sont des politiques. Alors, pour faire avancer les choses, vous êtes obligé de travailler avec des politiques ? C’est de là que vient l’amalgame politique. Et l’on dit que vous êtes proche du pouvoir parce que c’est avec ces animateurs des institutions, proches du pouvoir, que vous travaillez finalement.
Si un jour on devait faire sauter le verrou sur l’article 220 de la Constitution, qu’est-ce que vous prédisez comme conséquence ?
Il y a deux choses. Il y a d’abord la responsabilité des sénateurs et des députés nationaux, parce que c’est au niveau du Congrès que cela va se décider. Je doute fort qu’un tel texte soit soumis à un référendum, sans qu’il ne soit lu et débattu, sinon il ne passera pas par référendum. Je sais que le Congo n’a pas assez de moyens pour organiser un referendum. En plus, tout le monde a déjà pris position, notamment l’Eglise catholique qui a ouvertement pris position contre cette révision de l’article 220. Mais, s’il y a forcing, il y va de la responsabilité du Parlement, du Congrès. Je crois qu’en modifiant ce texte, de mon point de vue, j’ose croire qu’il y aurait quand même au niveau de la population des manifestions pour s’opposer à ce projet de révision de l’article 220.
Les politiques pensent que ce débat n’est encore que scientifique. Peut-être qu’ils préparent juste les esprits. Qu’est-ce que vous leur lancez comme message ?
Je pense que l’intérêt national prévaut sur les intérêts partisans. Cela est indispensable. Quand on voit l’l’intérêt national prévaloir sur les intérêts partisans, on fait avancer un pays et on construit un Etat de droit.
Et au président de la République.
Le message le plus important, c’est le respect des textes. Il faut que les textes soient clairs. En respectant les textes, on construit la démocratie, on construit un Etat de droit et on va s’occuper plus d’améliorer les conditions de vie des citoyens, de réhabiliter les routes plutôt que de perdre le temps et son énergie sur de révisions des textes qui vont amener plus de troubles sociaux que autre chose.
Propos recueillis par F.K. (LE POTENTIEL)