« Je nâavais jamais pris conscience que pour devenir jockey, il fallait dâabord avoir Ă©tĂ© un cheval. » En une phrase dĂ©finitive et Ă©questre, lâItalien Arrigo Sacchi rĂ©suma un jour lâhistoire de sa vie dâentraĂźneur. Celle dâun petit dĂ©fenseur sans talent ni envergure de Fusignano, en Emilie-Romagne, devenu dans les annĂ©es 1980-1990 le cerveau du grand AC Milan (champion dâEurope en 1989 et en 1990). Avec son 4-4-2 en zone, lâancien vendeur de chaussures â son pĂšre en possĂ©dait deux usines â rĂ©volutionne un sport qui sâest refusĂ© Ă lui comme joueur : « Jâai arrĂȘtĂ© le football Ă lâĂąge de 19 ans, car jâai rapidement compris que je nâaurais jamais Ă©tĂ© un champion. »
Julian Nagelsmann en a 20 quand il range ses crampons et ses derniĂšres illusions, Ă la suite dâune blessure au mĂ©nisque, au terme dâune carriĂšre de dĂ©fenseur qui nâa jamais dĂ©collĂ© plus haut que les Ă©quipes rĂ©serves de Munich 1860 et du FC Augsbourg. A 31 ans, lâAllemand est le plus jeune entraĂźneur Ă diriger une Ă©quipe en Ligue des champions, oĂč il affronte Lyon, mardi 23 octobre, Ă 21 heures, pour un match dĂ©jĂ important dans lâoptique de la qualification en huitiĂšmes de finale. Nagelsmann battait dĂ©jĂ un record de prĂ©cocitĂ© il y a trois ans en sâasseyant sur le banc du TSG Hoffenheim.
Une belle revanche pour celui qui « ne voulait plus entendre parler de football » aprĂšs sa retraite sportive forcĂ©e. Son compatriote Thomas Tuchel a connu un parcours similaire. Huit petits matchs en D2 allemande, un cartilage du genou hors service et une vocation dâentraĂźneur prĂ©coce qui va mener lâancien barman â la nuit â et Ă©tudiant en gestion â le jour â jusquâau banc du Paris â Saint-Germain cette saison.
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Comment se tenir devant des footballeurs qui vous suspectent de ne pas pouvoir aligner trois jongles ? Dâautres que Nagelsmann se sont posĂ© la question. Sacchi se prĂ©sentait comme un « éternel Ă©tudiant ». Chercher, rĂ©flĂ©chir , explorer , multiplier les expĂ©riences et le plus souvent dĂ©buter tout en bas, voilĂ la feuille de route quand on dĂ©sire entraĂźner sans passer par la case joueur.
« Moins de stĂ©rĂ©otypes en tĂȘte quâun ancien joueur »
Mieux que personne, JosĂ© Mourinho incarne ce joueur contrariĂ© qui prend sa revanche en commandant les autres avec rĂ©ussite. Le « Special One » a dâabord Ă©tĂ© un dĂ©fenseur (lent et frĂȘle) de lâĂ©quipe rĂ©serve de Rio Ave, au Portugal, et vĂ©cut une humiliation quand son entraĂźneur de pĂšre, FĂ©lix Mourinho, souhaita lui donner sa chance pour pallier la blessure dâun titulaire. « Mon poste ou mon fils » , menace le prĂ©sident du club. Le fils demande au pĂšre de cĂ©der .
PlutĂŽt que de sâaccrocher Ă lâidĂ©e dâune carriĂšre « dâhonnĂȘte joueur de D2 » , lâactuel manageur de Manchester United prĂ©fĂšre sâasseoir sur les bancs de la fac. A lâInstitut supĂ©rieur dâĂ©ducation physique de Lisbonne, il Ă©tudie la thĂ©orie et retient de son prof de philosophie, Manuel Sergio, ce conseil : « Celui qui ne connaĂźt que le football ne connaĂźt rien. »
A dĂ©faut dâune connaissance du terrain, les Mourinho, Sacchi ou Maurizio Sarri (ancien employĂ© dâune prestigieuse banque italienne Ă la tĂȘte aujourdâhui de Chelsea), se sont prĂ©parĂ©s trĂšs jeunes Ă leur mĂ©tier dâentraĂźneur, quand le footballeur en activitĂ© y plonge la trentaine entamĂ©e. PrĂ©parateur physique, adjoint, formateur ou mĂȘme traducteur, Mourinho dit avoir « passĂ© sa vie dans le foot ». Au dĂ©but des annĂ©es 1990, le jeune Sarri met dĂ©jĂ en application ses idĂ©es sur le jeu sur le banc Sansovino en 6e  division italienne.
LâĂ©poque appartiendrait-elle aux entraĂźneurs au CV de joueur quasi vierge ? Un petit bond dans le passĂ© suffit pour montrer que le phĂ©nomĂšne nâest pas tout Ă fait nouveau. « En 1994, la finale de la Coupe du monde oppose le BrĂ©sil de Carlos Parreira, un prof de sport, Ă lâItalie dâArrigo Sachhi, ni lâun ni lâautre nâavaient eu de carriĂšre de joueur professionnel » , rappelle GĂ©rard Houllier, ancien sĂ©lectionneur des Bleus et champion de France avec le PSG (1986) puis avec Lyon (2006 et 2007).
En France, le parcours de ce professeur dâanglais apparaĂźt comme une exception, comme lâĂ©tait Guy Roux, ancien pion et footballeur de troisiĂšme division Ă Limoges. « Au dĂ©but, on mâappelait âle petit profâ , sourit Houllier, qui a Ă©voluĂ© au niveau amateur au Touquet. Il est assez compliquĂ© en France dâentraĂźner sans avoir Ă©tĂ© footballeur. Un ancien joueur aura un laissez-passer pour dĂ©buter une carriĂšre dâentraĂźneur, il validera plus facilement son diplĂŽme, oĂč lâĂ©preuve technique compte pour beaucoup dans la note. Et quand ce nâest pas votre cas, eh bien, il faut passer par des Ă©tapes. »
Et il existe autant de parcours possibles que de vocations. Julian Nagelsmann a été superviseur, formateur et adjoint lors de sa courte carriÚre. Selon Gérard Houllier, ces profils présentent un avantage :
« Vous arrivez avec une approche diffĂ©rente dâune personne qui a toujours Ă©tĂ© immergĂ©e dans ce milieu. Vous avez sans doute moins de stĂ©rĂ©otypes en tĂȘte. AprĂšs, il sâagit dâun mĂ©tier oĂč on travaille sur de lâhumain. Il faut dâabord savoir comprendre lâautre, savoir parler devant un groupe, ĂȘtre crĂ©dible. Et ce qui vous donne de la crĂ©dibilitĂ©, câest votre action. »
Le modĂšle portugais
Et lâaura du grand joueur ne suffit pas toujours. Ou sâĂ©tiole assez vite. Un triple Ballon dâor comme le NĂ©erlandais Marco van Basten, reconnaissait derniĂšrement nâavoir « pas Ă©tĂ© heureux et pas assez compĂ©tent » comme entraĂźneur de lâAjax Amsterdam ou sĂ©lectionneur des Pays-Bas. A lâinverse, le Portugal inonde depuis quelques annĂ©es lâEurope avec des techniciens dont lâexpĂ©rience de joueur tient parfois sur un ticket mĂ©tro.
JosĂ© Mourinho et Carlos Queiroz avant lui (actuel sĂ©lectionneur de lâIran) ont lancĂ© la mode des « Professores » , des entraĂźneurs avec une formation de professeur dâĂ©ducation physique, trĂšs souvent polyglottes et au fait des derniĂšres connaissances technologiques ou thĂ©oriques. « Nous sommes bien vus Ă lâĂ©tranger, car nous sommes capables de parler football, mais aussi de mĂ©decine sportive ou de gestion : nos connaissances sont larges » , vantait Leonardo Jardim lors dâun congrĂšs en mars Ă Lisbonne sur le sujet.
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Plus douĂ© avec un ballon de handball que de football, lâex-entraĂźneur de lâAS Monaco est passĂ© sur les bancs de lâuniversitĂ© de MadĂšre. LâInstitut supĂ©rieur dâĂ©ducation physique de Lisbonne propose aujourdâhui de son cĂŽtĂ© une formation spĂ©ciale intitulĂ©e (en anglais) « high performance football coaching » pour se former au mĂ©tier du banc de touche. Dans la derniĂšre promotion, de dix-sept Ă©lĂšves , on retrouvait aussi bien un ancien international portugais (Ruben Amorin) quâune professeure de sport de ShanghaĂŻ, quâun jeune Ă©ducateur danois ou un Français (Adrien Tarascon), statisticien et analyste pour le PSG.
« Un ancien joueur a bien sĂ»r une expĂ©rience qui doit ĂȘtre valorisĂ©e. Mais je pense quâil doit aussi acquĂ©rir des connaissances thĂ©oriques pour consolider son savoir empirique », analyse un des formateurs de lâĂ©cole lisboĂšte, HĂ©lio Sousa (vainqueur Euro des moins de 19 ans avec le Portugal en juillet) pour le site Expresso.
Le savoir empirique, Julian Nagelsmann sâen passe trĂšs bien. Le trentenaire aux traits dâadolescent est assez sĂ»r de lui pour avoir dĂ©clinĂ© en juillet une offre de service du Real Madrid. « La confiance en soi, toute personne qui se tient face Ă un groupe doit en avoir, assure celui qui dirigera le Red Bull Leipzig Ă partir de la saison prochaine. Jusquâici, je me suis montrĂ© respectueux face Ă toutes les tĂąches auxquelles jâai eu Ă faire face, mais je nâai jamais eu peur. » Son CV dâentraĂźneur parle dĂ©jĂ pour lui.