Tag: Terrorisme

  • ” Nombre de Tunisiens pensent que le terrorisme vient de Libye, tandis qu’en Libye on dit l’inverse “

    ” Nombre de Tunisiens pensent que le terrorisme vient de Libye, tandis qu’en Libye on dit l’inverse “

    Le chercheur tunisien Rafaa Tabib, spécialiste de la Libye, appelle les autorités de son pays à interroger le ravisseur des deux journalistes tunisiens disparus chez le voisin de l’est en 2014. Il revient pour Jeune Afrique sur les relations bilatérales et les écueils de la diplomatie tunisienne en Libye.

    Rafaa Tabib est chercheur en anthropologie politique, rattaché au CNRS, et professeur à l’université Manouba de Tunis. Il a récemment annoncé qu’un des ravisseurs des deux journalistes tunisiens, Sofiene Chourabi et Nadhir Guetari (disparus en Libye en 2014), aurait été arrêté par une milice de Misrata, et appelé les autorités tunisiennes à aller l’interroger. Une manière de questionner la diplomatie bilatérale.

    Jeune Afrique : Vous avez interpellé les autorités tunisiennes au sujet des deux journalistes tunisiens, est-ce une manière de dire qu’elles devraient faire plus ou autrement sur ce dossier ?

    Rafaa Tabib : À chaque fois que la question est évoquée, les initiatives prises sont un peu trop classiques, et malheureusement pas adaptées aux réalités du pays. Nombre d’institutions en Libye cachent des coquilles vides et ne sont que des vitrines sans prise sur la réalité. Dans cette affaire, des magistrats tunisiens ont par exemple déjà été envoyés rencontrer leurs homologues dans l’Est de la Libye, afin d’échanger des informations. Mais de quelles informations disposent les magistrats libyens, alors que la fragmentation des institutions ne permet pas de réunir des éléments plausibles et crédibles ?

    De toute façon, la justice en Libye a toujours été partiale. La société tribale impose d’autres formes de légalité, qui permettent de parvenir à des arrangements. Ajoutez-y le contexte de guerre civile : à aucun moment, la justice libyenne n’a donc été impliquée dans ce genre de dossiers. Comment peut-on espérer par ailleurs qu’un envoyé de la justice tunisienne puisse demander des informations auprès de chef tribaux et traditionnels ?

    il n’y a que les canaux dits « sociaux », c’est-à-dire traditionnels et tribaux, pour récolter des informations.

    Des observateurs appellent plus généralement la Tunisie à sortir de la « diplomatie de salon ». Alors que le contexte de transition démocratique impose une meilleure gouvernance et plus de transparence, les autorités tunisiennes peuvent-elles se permettre de faire autrement et de mobiliser des canaux parallèles ?

    Nous avons d’un côté un État jacobin centralisé qui se veut moderniste, et en face un pays miné par les milices et les structures traditionnelles. Dans ce contexte, il n’y a que les canaux dits « sociaux », c’est-à-dire traditionnels et tribaux, pour récolter des informations.

    Selon nos sources, un des ravisseurs des deux journalistes est le chef d’une assemblée d’Abjdabiya (ville du nord-est de la Libye), sorte de vitrine d’Ansar al-Charia (proche d’Al-Qaïda). La question qui se pose, c’est comment l’interroger, alors qu’il se trouve dans une prison tenue par des miliciens. Une situation compliquée par le fait que les mouvements terroristes et révolutionnaires fonctionnent souvent en vases communicants, et que nombre de combattants ont une double casquette ou changent de camp au gré des opportunités. C’est ce qu’on appelle le « jeu des labels ».

    Trouver le canal approprié reste un grand dilemme. Il y a beaucoup d’hésitations. Certains ne veulent pas agir sans cadre législatif. Des partis politiques essaient également de protéger les groupes avec lesquels ils ont de bons rapports.

    Face à ce dilemme, quelles actions les autorités tunisiennes pourraient-elles envisager dans un cas comme celui-ci ?

    Je propose, dans ce cas de figure, de trouver une structure hybride. Des représentants de la société civile tunisienne, du monde des affaires, des clans du sud tunisien qui trouvent des prolongements en Libye, des chercheurs et des officiels, pourraient créer un organe national avec une base légale pour pouvoir travailler en Libye. Aujourd’hui, les autorités tunisiennes ne traitent pas avec la Libye profonde.

    On constate une absence de volonté et un manque d’engagement au niveau du ministère des Affaires étrangères, alors même que les Tunisiens sont très nombreux en Libye. Sur le terrain, une coopération existe par contre sur le plan sécuritaire, surtout pour identifier les mouvements terroristes à la frontière. Mais le problème se pose en termes d’action diplomatique. D’autant plus que les milices peuvent être liées à la fois au politique et impliquées dans des trafics.

    On parle pour certains d’embrigadement, mais l’idéologie de Daech n’est pas un mal incurable.

    Des associations appellent les autorités tunisiennes à agir également pour les Tunisiens, adultes et enfants, détenus en Libye et soupçonnés d’activités terroristes. Quelles peuvent être leurs marges de manœuvre ?

    Il faut absolument rapatrier les enfants, qui ne sont pas responsables de leur situation. On parle pour certains d’embrigadement, mais l’idéologie de Daech n’est pas un mal incurable. Nombre de Tunisiens pensent que le terrorisme vient de Libye, tandis qu’en Libye on dit l’inverse, car nombre de chefs de groupes terroristes sont Tunisiens. Je pense que la Tunisie a encore du mal à soulever cette question, par déni. Il n’y a pas de volonté de la part de la Tunisie d’ouvrir ce dossier du terrorisme.

    Un congrès libyen est attendu en cette rentrée. Quel rôle peut jouer la Tunisie pour aider à la stabilisation politique de son voisin ?

    La Tunisie a tout intérêt à jouer un rôle dans cette rencontre, mais on ne perçoit pas une telle volonté. C’est juste une réunion dont la date exacte n’est pas encore fixée, mais qui est décriée en Libye car elle risque de ramener une nouvelle élite autour la table des négociations, et que celle-ci souhaitera aussi récupérer sa part de pouvoir. On évoque en effet l’invitation de 170 à 300 personnalités, qui réclameront sans doute ensuite leur représentativité.

    On constate qu’à part les armes, rien ne sert en Libye. Mais beaucoup de ceux qui vivent de la rente institutionnelle, sans réelle légitimité, ne veulent pas se défaire de leurs privilèges. Le premier obstacle à la démocratie est l’élite politique. Selon moi, derrière cette dernière, toute la société libyenne avec sa complexité ne parvient pas à s’exprimer.

    Le gouvernement Sarraj, avec qui traite la Tunisie, n’a aucune emprise sur le terrain, sa légitimité est réduite.

    Les autorités tunisiennes ont aussi choisi d’inviter le Premier ministre libyen, Fayez al-Sarraj, au trentième sommet de la Ligue arabe prévu le 31 mars à Tunis. Sur le plan bilatéral, que peut-on attendre de cette visite ?

    Le gouvernement Sarraj, avec qui traite la Tunisie, n’a aucune emprise sur le terrain, sa légitimité est réduite. Certains groupes qui lui sont théoriquement affiliés- étant payés par l’État qui leur sous-traite la question sécuritaire- sont en fait des corps miliciens qui prennent un nom de brigade mais lui échappent. Il est seulement en position de signer des chèques mais la Tunisie est dans l’obligation d’accepter cet interlocuteur.

    Je conseillerais toutefois aux autorités d’inviter les autres belligérants avant la tenue de ce sommet arabe : le président du parlement, le général Haftar, et pourquoi pas d’autres clans. Cela lui permettrait de se tenir à égale distance de tous et de ne pas être partie prenante.

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  • Burkina : le remaniement à la tête de l’armée, une nouvelle étape dans la lutte antiterroriste ?

    Burkina : le remaniement à la tête de l’armée, une nouvelle étape dans la lutte antiterroriste ?

    Le président Roch Marc Christian Kaboré a mis fin le 10 janvier aux fonctions du général Oumarou Sadou, chef d’état-major général des armées. Remplacé par le général de brigade Moïse Minoungou, ce dernier devra placer la lutte antiterroriste au cœur des priorités.

    Le général Oumarou Sadou n’est plus le chef d’état-major général des armées burkinabè. Dans un décret publié le 10 janvier, le président Roch Marc Christian Kaboré a mis fin à ses fonctions, le remplaçant par le colonel major Moïse Minoungou, qui officiait jusque ici comme commandant du groupement central des armées. Il a, par la même occasion, été promu au grade de général de brigade.

    Natif de Ouagadougou en 1960, ce spécialiste des armes lourdes à été formé à l’École d’application d’artillerie de Draguignan, en France. Le général Minoungou a aussi suivi son cours supérieur d’état-major à l’École d’état-major de Koulikoro au Mali, puis celui de défense au Collège royal de l’enseignement militaire supérieur à Kenitra, au Maroc. Il commandait depuis mai 2017 le groupement central des armées, logé au Camp Ouédraogo à Ouagadougou jusqu’à sa nomination aux commandes de l’armée. « Il [Moïse Minoungou, ndlr] a un sens élevé de l’écoute, même s’il n’a pas commandé sur le terrain », glisse à Jeune Afrique un officier burkinabè, sous couvert de l’anonymat.

    Des compétences

    « À mon avis, il est compétent pour occuper ce poste. C’est un officier supérieur d’une probité exemplaire qui se préoccupe des problèmes des subordonnés. Minoungou est véridique et très professionnel », renchérit un haut gradé.

    « Ce réaménagement était nécessaire dans la mesure où le pays prend la présidence du G5 Sahel. De fait, il sera amené à être le centre de l’élaboration de la stratégie de lutte contre les groupes terroristes qui sévissent dans la région », déclare à Jeune Afrique une source diplomatique sous couvert d’anonymat.

    « C’est un pas nouveau, on prend acte. Nous allons le juger à l’action sur le terrain », commente brièvement Mathias Tankoano, leader du mouvement M21. La société civile espérait plutôt de grands chamboulements au ministère de la Défense, argue-t-il.

    La lutte antiterroriste au cœur des priorités

    Le général Oumarou Sadou paie-t-il les frais de la recrudescence des attaques contre les forces de défense et de sécurité qui ont fait 270 morts ces derniers mois ? Quoi qu’il en soit, Moïse Minoungou devra placer la lutte antiterroriste au cœur des priorités. « Je pense effectivement que le départ du général est dû en partie à un manque de résultats mais est-ce que cette nomination réglera la question des terroristes ? Je ne sais pas », explique notre source militaire.

    Pour cela, plusieurs défis l’attendent comme l’adoption d’une stratégie militaire pour venir à bout des terroristes qui parcourent le nord et surtout le nouveau front de l’est du pays. « On ne voyait pas une tactique claire de l’armée pour combattre les terroristes. Pour gagner ce pari, le nouveau chef d’état-major général des armées devra surtout endiguer la crise de commandement alimentée par les élites militaires au sein de l’armée », souligne Dr Seydou Ra-Sablga Ouédraogo, chercheur et directeur de l’institut Free Afrik.


    >>> À LIRE – Burkina : un nouveau front à l’Est


    Enfin, Moïse Minoungou devra engager les réformes juridiques visant à doter l’armée de forces ou unités spéciales antiterroristes capables d’opérer à l’intérieur du territoire national.

    Alors que l’état d’urgence vient d’être prolongé par le chef de l’État, les attaques visant les forces de sécurité et de défense ainsi que les symboles de l’État se sont multipliées au cours des derniers mois et s’étendent à de nouvelles régions du pays. Dernier épisode tragique en date, l’attaque de Toeni dans la Boucle du Mouhoun au nord-ouest du pays qui a fait fin décembre dix tués dans les rangs de la gendarmerie.

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  • Terrorisme : quand le kamikaze est une femme

    Terrorisme : quand le kamikaze est une femme

    Afrique

    Terrorisme : quand le kamikaze est une femme

    Texte par Alcyone WEMAËRE

    Dernière modification : 30/10/2018

    L’attentat-suicide perpétré au cœur de Tunis, le 29 octobre, a remis sur le devant de la scène les femmes kamikazes. Fatima Lahnait, auteure du rapport “Femmes kamikazes, le djihad au féminin”, revient sur leur engagement dans les conflits armés.

    Le corps sans vie d’une femme voilée, et portant des lunettes noires sur le front, gît sur l’avenue Habib-Bourguiba, l’artère principale de Tunis. Lundi 29 octobre, le premier attentat-suicide à secouer la capitale tunisienne depuis 2015 a été commis par une femme. Au moins 20 personnes, dont 15 policiers, ont été blessées dans l’attaque, pour l’heure non revendiquée, qui visait des forces de l’ordre. Le fait que le kamikaze soit une femme est une première en Tunisie. Pourtant, si les femmes kamikazes sont moins nombreuses que les hommes, les attentats-suicides commis par celles-ci n’ont rien d’exceptionnel.

    En l’absence de tout décompte officiel ou précis, Fatima Lahnait*, chercheuse, auteure du rapport “Femmes kamikazes, le djihad au féminin” estime “de l’ordre de 15 %” le nombre d’attentats-suicides commis par des femmes. D’après son propre décompte, en 2017, 137 attentats-suicides ont été commis par des femmes dans 23 pays (contre 77 en 2016 et 118 en 2015). L’augmentation significative en 2017 est due à Boko Haram, selon la chercheuse.

    Libanaises, Tchétchènes, Palestiniennes…

    “Au Proche-Orient, la première femme à commettre un attentat-suicide est une Libanaise de 16 ans, Sana Khyadali, qui s’est fait exploser au volant d’un véhicule piégé près d’un convoi militaire israélien”, rappelle Fatima Lahnait. C’était le 9 avril 1985, et dans l’année qui suivit, cinq autres femmes commirent des attaques similaires au Liban.

    La chercheuse, qui refuse de parler de “phénomène” concernant les femmes kamikazes, évoque dans son rapport certaines attaques-suicides marquantes menées par des femmes. C’est une kamikaze tamoule, membre des Black Tiger, qui, rappelle-t-elle, est responsable, en 1991, de l’assassinat du Premier ministre indien, Rajiv Gandhi. Elle avait dissimulé sa bombe dans un panier de fleurs. Il y eut aussi en 2002, la spectaculaire prise d’otages du théâtre Doubrovka par 19 femmes kamikazes tchétchènes, en vêtements de deuil. Et comment ne pas parler de cette vague d’attaques-suicides menées par 67 femmes palestiniennes entre 2002 et 2006…

    “Il n’y a pas de profil type de la femme kamikaze si ce n’est que, comme pour les hommes, ces femmes sont rarement mûres”, souligne Fatima Lahnait. Quant à leurs motivations, elles sont diverses et fluctuantes : “les femmes sont des kamikazes comme les autres”.

    “Cependant, a contrario des hommes, des raisons personnelles, comme venger la mort d’un proche, sont d’abord mises en avant pour expliquer l’action des femmes kamikazes. Leurs motivations d’ordre politique ou d’engagement pour une cause sont moins facilement évoquées”, souligne la chercheuse. Fatima Lahnait y voit “un déni de leur capacité à raisonner” mais aussi le signe que “se tuer en tuant lorsqu’on est une femme touche à davantage de tabous”.

    Une fascination-effroi utilisée à des fins tactiques ou de propagande

    “La participation de femmes à des actes de carnage suscite un mélange de stupéfaction, de révulsion et d’intérêt public”, explique Fatima Lahnait dans son rapport. Corollaire de cette fascination-effroi, le recours à des femmes kamikazes alors que les volontaires masculins ne manquent pas peut être une stratégie.

    “En période de tensions, une femme pourra plus facilement atteindre la cible en s’approchant de forces de l’ordre sur le qui-vive par exemple”, pointe la chercheuse. De même, recourir à des femmes a pu être un moyen d’accentuer l’attention des médias et de pousser à la médiation politique comme ce fût le cas pour les kamikazes palestiniennes du début des années 2000.

    Alors que ces dernières années, l’organisation État islamique a reçu le monopole de l’attention médiatique, les femmes y sont cantonnées à un rôle domestique : “Au sein de l’EI, le rôle des femmes est d’être au foyer, d’être une bonne épouse et une bonne mère. Les femmes kamikazes sont une stratégie de dernier recours comme cela a été le cas à la fin de la bataille de Mossoul”.

    *”Pasionarias. De l’engagement des femmes dans les mouvements violents et les conflits armés”, à paraître chez L’Harmattan

    Première publication : 29/10/2018

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