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Par Jean-Marie Dikebelayi, Pays-Bas
1. Inutile de continuer à monter le long d’une échelle si on se rend compte qu’elle n’est pas appuyée contre le bon mur
-Depuis la publication des résultats contestés et contestables des élections présidentielle et législative du 28 novembre 2011, la République Démocratique du Congo évolue dans une situation tendue. Un malaise palpable et un climat de méfiance absolue règne entre les congolais. Ni les “légitimistes”, se rangeant derrière Etienne TSHISEKEDI qui s’était autoproclamé Président légitimement élu, ni les “légalistes”, qui soutiennent Joseph Kabila, déclaré vainqueur par la Commission électorale et investi par la Cour Suprême de Justice ne semblent mesurer la hauteur des exigeances fondamentales du principe de “l’intérêt supérieur de la nation”, ni la grandeur de leurs responsabilités dans la persistance de cette crise. Au-delà des discours convenus, tous admettent implicitement ou explicitement l’existence d’un problème, mais semblent pousuivre des schémas peu rationnels comme “la fin justifie les moyens”, qui incitent les uns et les autres à avoir recours à une sorte de stratégie de survie (“tout ou rien”, ou “tout au gagnant”). D’où la création par les deux camps de nombreux obstacles, qui empêchent la solution politique négociée, sans laquelle, la logique d’une violente confrontation semble inéluctable.
Pourtant, ce constat réaliste devait suffir à les convaincre d’amorcer un dialogue franc et constructif, même si ce dialogue, seul espoir de recherche, dans la dignité, d’une issue pacifique à cette impasse s’avère une entreprise pratiquement difficile, tant les positions de deux camps sont éloignées les unes des autres.
En effet, se basant sur les compte-rendus de leurs témoins lors des dépouillement et compilation des résultats des votes ainsi que sur les rapports de différents observateurs nationaux et internationaux de ces deux scrutins, les légitimistes croient que les résultats ont été manipulés et falsifiés, et affirment ne pas savoir à quel point ils peuvent encore se fier à des auteurs de tels actes, compte tenu de l’opacité de leur régime et de leur volonté délibéree de se maintenir au pouvoir par n’importe quel moyen. Ils ont donc une sorte de peur et ne trouvent pas comment ils peuvent, sans conditions, négocier avec ceux qu’ils appellent les tricheurs, estimant que ce ne serait qu’une honteuse capitulation qui ajouterait l’insulte à l’injure. Et du coup, ils font ainsi craindre au président sortant et à ceux qui le soutiennent pour leur survie politique, voire même physique.
Inversement, forts de la bénédiction (même, de l’avis général, jugée complaisante) par les organes légalement compétents, les partisans de Kabila s’illustrent dans la rhétorique, banalisent tout, et considèrent simplement leurs adversaires comme des agitateurs qui, selon eux, veulent diviser la patrie, fomenter la violence, susciter des troubles, saboter l’unité nationale et tuer la démocratie, bien que leur principale cible, monsieur Etienne Tshisekedi, a toujours prôné la non-violence. De même, ils véhiculent de ce dernier l’image d’une personnalité qui manque de souplesse et de fléxiblilité. Et, ils ne semlent pas disposés à accepter les limites, que ça soit au pouvoir qu’ils ont exercé ou aux privilèges qu’ils ont acquis. Ils provoquent, répriment, intimident et feignent de croire que le problème se situe au niveau du statut personnel de Tshisekedi à qui il suffit d’offrir le poste de Premier Ministre pour acheter son adhésion à leur schéma suicidaire.
Pourtant Tshisekedi a déjà, dès le départ, placé la question sur le terrain plus politique, politique au sens noble du terme et pas au sens des manoeuvres, révendiquant la vérité des urnes, ce qui veut dire que le débat n’est pas encore tranché.
Dans cet ordre d’idées, il est certain que la récente nomination d’un informateur par le président sortant, contre vents et marées, est un évènement qui accentue la détermination des radicaux de deux camps, radicalise les modérés et empire le climat déjà empoisonné qui règne dans le pays. Veut-on la paix ou une dialectique de confrontation? Dans tous les cas, nul n’a intérêt à ce que l’image du Congo soit écornée et obscurcie. Qui n’imagine pas l’impact africain et international de la conclusion d’un accord raisonnable et mutuellement satisfaisant pour les deux camps? Car, cela sera certainement vu comme un signe de maturité et un acte de foi en la démocratie.
2. Ouvrir une perspective plus claire devient donc une exigeance et une urgence
Chacun y est de sa recette. Même les experts en résolution des conflits sont réticents sur un schéma concret à proposer aux congolais pour engager le pays vers la sortie de cette impasse politique. En effet, bien que les fraudes massives et irrégularités flagrantes qui ne crédibisent pas une élection aient été constatées et dénoncées par la Communauté internationale, rien de significatif n’a été fait, de sa part, qui puisse atténuer l’ampleur des dégats mentaux, humains et autres… consécutifs au choc ressenti. L’attitude de la Belgique, notamment, vis-à-vis de cette crise semble avoir fait mauvaise école. En effet, se targuant de son statut d’ancienne puissance coloniale, elle est restée toujours impliquée dans le pays, mais elle a perdu toute crédibilité parce que les positions successives qu’elles a prises vis-à-vis de cette crise ont abusé plus d’un. Celles-ci ont été perçues comme irréfléchies, improvisées, et parfois contradictoires. Et finalement, par le refus de tirer les conséquences des fraudes et du manque de crédibilité du processus, elle transmettait le message qu’elle n’était pas concernée par la démocratie au Congo, et qu’elle ne pouvait pas jouer le rôle de facilitateur comme elle a toujours prétendu, mais au contraire, un rôle d’instigateur de la radicalisation et que le mensonge était encore utilisé pour camoufler cette hypocrisie. Il y a eu aussi la tentative de l’Eglise catholique congolaise pour amener les principaux acteurs à la table des négociations. Restant dans sa mission prophétique, elle n’a cessé de marteler que, aussi encombrantes soient-elles, la vérité et la justice étaient incontournables dans la recherche de la solution à cette crise, et qu’elles ne sont pas un choix, mais un passage obligé.
3. Je mets en garde contre les vices de construction de tout schéma ou scénario qui ne tiendrait pas compte de ces réalités politiques
A mon humble avis, les solutions à proposer ne doivent pas reposer sur des interprétations erronées de cette crise. Car, toute erreur de diagnostic conduit nécessairement à une erreur de thérapeutique.
Aucun modus vivendi n’est possible dans un pays où des forces importantes ne sont prêtes à aucun compromis et ont des moyens de saboter n’importe quel aventure unilatérale.
Il importe donc d’éviter que cette situation conflictuelle ne devienne un conflit violent en trouvant une solution de nature à ramener rapidement la sereinité dans la maison Congo et favoriser un changement effectif de type de gouvernance pour lequel les congolais s’étaient massivement rendus aux urnes le 28 novembre.
4. La question est davantage politique que technique
Dans le fond, il ne s’agit donc pas d’un problème technique, mais plutôt d’une question politique et, en toute logique, le recours à l’ingénieurie politique pour trouver une solution qui soit à même d’intégrer et de rassurer les uns et les autres devient un must.
Dit simplement, si la résolution de cette crise politique est vue en terme des concessions unilatérales d’un camp à l’autre laissant supposer qu’il n’y a pas de pas à faire par l’un en direction de l’autre, pas de torts à partager, d’engagements réciproques forts, le processus en cours ne peut que buter sur l’impasse et dégénérer dans la violence.
5. Une solution politique négociée, Un pari qui a sa grandeur et ses risques
Dans la mesure où ils représentent des forces significatives, un accord entre ces deux protagonistes qui disposent de la capacité de déterminer la paix ou rendre le pays ingouvernable se révèle irréversible, à condition, bien entendu, qu’un éventuel accord ne suscite pas d’autres oppositions déstabilisatrices.
Même si du point de vue de la démocratie pareil accord constitue une violation flagrante du principe des résultats électoraux, l’espoir que la violation de la démocratie soit compensée par le retour de la paix des coeurs et de la concorde nationale, gage de tout avancement est, à mon avis, de loin préférable.
6. On a raté l’aiguillage, il faut Un nouveau départ pour gagner du temps perdu
Il est clair que le train Congo n’est pas tiré, aujourd’hui, dans la direction que les congolais ont indiquée lors des consultations du 28 novembre dernier. Dès lors qu’il n’y a pas un gouvernement légitime, une solution politique à cette crise est devenue incontournable. Il est impérieux de tenir compte des forces pertinentes, et d’ouvrir, sans délai, des négociations immédiates qui n’excluraient pas d’autres forces non moins pertinentes comme la diaspora pour trouver un consensus durable à même de faire sortir le pays de cette crise. Cette solution signifie donc un nouveau départ, et a l’avantage de constituer une occasion d’offrir aux uns et aux autres un cadre où exprimer leurs griefs et leur vindicte au lieu de continuer à s’empoigner en dehors et sans cadre.
7. Quelquefois, il est plus sage de contourner les obstacles sur la route que de chercher à les démolir
La solution que je propose, et qui est le fruit de mes recherches: entretiens, conversations téléphoniques et disussions avec divers intellectuels et quelques anciens diplomates en retraite se rapproche de celle qui a été trouvée à la crise burundaise des années 2000(1), posant le principe de la convention de gouvernement.
Je suis certain que les congolais sont prêts à accepter un arrangement imparfait pour résorber la crise pourvu qu’ils constatent dans le chef des protagonistes la détermination de faire abstraction de leurs divergences dans toutes leurs manifestations et de mettre en avant ce qu’on a en commun, et qui peut unir plutôt que diviser, l’intérêt supérieur de la nation, et si cet arrangement est à même de satisfaire ses aspirations à la paix, à la justice, à la démocratie et à l’éradication des antivaleurs.
8. Un mandat pour deux
Ce principe, dont l’application peut poser certains problèmes surmontables, implique que la fonction de Président de la République, qui est une fonction-clef dans notre système politique, sera exercée alternativement par chacun de deux protagonistes. Cette convention de gouvernement que je propose ne se limite pas seulement au mandat présidentiel que les deux adversaires seront appelés à exercer tour à tour(2,5 ans chacun), mais doit également toucher aux fondements intimes de la crise: la lutte contre les antivaleurs, la vérité et la justice, la réconciliation nationale, l’indépendance du judiciaire, la sécurité des citoyens et la neutralité des forces de l’ordre.
9. Problèmes de la mise en oeuvre du principe
Le principe d’un mandat pour deux apparaît certainement comme une violation du principe démocratique des résultats électoraux et de la durée constitutionnelle du mandat des autorités politiques, mais répétons-le, cette violation sera compensée par le retour de la paix des coeurs et la concorde nationale qui, elles, sont à mon avis, en ce moment, à ce prix.
L’autre difficulté est que cette solution théorique doit trouver des mécanismes pratiques rassurant pour son application. Pour cela, tous les obstacles devraient être discutés, toutes les questions être posées sans tabou, ni auto-censure, ni interdit afin de déboucher sur un modus vivendi acceptable par tous. Les questions suivantes devraient, notamment, être discutées: les garanties d’exécution d’un éventuel accord, les questions de défense nationale et des forces de sécurité, des gestes symboliques qui pourraient convaincre de la bonne foi des uns et des autres…
Par ailleurs, si cette idée pouvait faire du chemin et trouver un écho favorable dans la classe politique congolaise, il faudra l’entourer d’un dispositif influent et efficace. L’attitude des membres influents de la Communauté internationale par rapport aux accords qui en seraient issus est aussi essentielle que déterminante pour engager la confiance entre les adversaires et répondre à l’exigeance de respecter les obligations inhérentes au rôle de facilitateur. Car, que signifie, par exemple, le fait de ne pas changer de ligne politique quand le régime que l’on soutient viole gravement et massivement les droits des citoyens? C’est simplement dire que la réponse donnée à la crise doit bénéficier d’un suivi et d’actions adaptés à la nature et à la gravité du conflit.
Il est évident qu’on va aussi se heurter à ceux qui refusent d’aller jusqu’aux accords de gouvernement. Mais, ce refus me semble tout à fait subjectif, irresponsable et injuste à l’égard des victimes de ce bras de fer. La subjectivité auto-sécuritaire de ce refus des personnes qui se présentent abusivement comme seules détentrices de la vision cohérente pour le bonheur de notre peuple présente un risque, celui de mettre la population dans la psychose d’une nouvelle rébellion.
10. Conclusion
Forcément, toutes les sociétés connaissent des contradictions et des conflits dans leur évolution. La société congolaise ne peut pas y échapper. Elle a ses conflits dont le plus grave, à l’heure actuelle, est la légitimité des personnes qui animent les institutions d’appoint à la démocratie à laquelle elle aspire. Les élections du 28 novembre se sont déroulées dans une compétion politique marquée par des fraudes et irrégularités qui leur ont enlevé toute crédibilité. C’est la réalité qu’on n’est obligé de noter et que personne ne peut nier ni ébranler. Une analyse lucide et responsable de cette crise plaide en faveur d’une issue négociée, si imparfaite soit-elle, pourvu qu’on sorte de cet enlisement qui dure. La vérité et la justice aboutissent à la reconciliation nationale. Elles peuvent aboutir à la paix, mais la paix n’est pas l’objectif visé par elles. Mais, un dialogue franc et courtois aboutit nécessairement à la paix et à la réconciliation nationale. Ce souci du dialogue m’oblige à consacrer beaucoup d’énergie pour plaider en faveur d’une solution politique négociée qui verrait les deux adversaires assumer alternativement les fonctions de Président de la République. Courir après des chimères est l’obstacle qui nous guete tous. On a parfois envie de lacher la proie pour l’ombre et de compromettre ainsi sa situation. C’est évidemment ce qu’il faut éviter à tout prix!
Jean-Marie Dikebelayi
(1) Le 28 août 2000 a été signé à Arusha, Tanzanie, et sous l’égide de Nelson Mandela un accord de paix pour le Burundi. Il prévoyait notamment une période de transition de 3 ans avec les 18 premiers mois le major Buyoya à la présidence et Domitien Ndayizeye du FroDéBu au poste de vice-président avant que les rôles ne soient échangés. On peut, mutatis mutandis, s’en inspirer à toutes fins utiles.
Mon cher compatriote Jean-Marie, Hypolyte Kanambe ne quittera jamais le pouvoir s’il n’en est pas chasse par la force. C’est l’unique solution! Ne nous voilons donc pas la face, il n’est pas disposer a ceder quoi que ce soit.
Bravo monsieur Jean-Marie Dikebelayi pour votre art d’utiliser des images et des mots justes. On a souvent tendance a compliquer les choses alors qu’on pourrait au contraire les simplifier. Plus le temps passe et plus je me rends compte que l’important n’est pas d’avoir raison quand cela ne permet pas d’avancer. Les hommes politiques congolais de tout bord devraient mettre plus d’ardeur a simplifier les choses qu’a les compliquer dans l’interet superieur du pays.
Merci pour cette reflexion tres utile. Tu es parvenu a me convaincre sur la capacite de quelques congolais a enreprendre une demarche intellectuelle dynamique etconstructe!
Merci, Jean-Marie, pour cet excellent article! Je trouve que la solution que vous proposez est pleine de sagesse. Elle a le merite de renvoyer dos a dos les principaux protagonistes sans qu’il n’y ait ni vainqueur ni vaincu, si ce n’est que le peuple congolais qui a besoin de la paix. Il faut vraiment chercher la sortie de la crise dans cette direction.
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