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Par Le Potentiel
Moins d’une année après l’allègement de la dette congolaise dans le cadre de l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE), la dette publique extérieure de la RDC risque à nouveau d’exploser.
Une nouvelle dette d’une valeur de 2 milliards de dollars vient, en effet, d’être contractée par les autorités de Kinshasa auprès de la Banque mondiale. D’autres prêts sont sur le point d’être contractés par la RDC afin de financer la réhabilitation des centrales Inga 1 et Inga 2 ainsi que la construction d’Inga 3. La Chine n’est pas en reste puisqu’elle va accorder un prêt de 637 millions de dollars pour financer la construction de la centrale hydroélectrique Zongo 2, située à une centaine de kilomètres de Kinshasa. Ces nouvelles dettes risquent d’être illégitimes, à l’instar des dettes contractées sous la dictature de Mobutu pour le financement du barrage d’Inga, un des plus tristement célèbres « éléphants blancs » d’Afrique.
Le barrage d’Inga a été mis en service en novembre 1972 avec la centrale Inga 1. Lorsque Mobutu décide de lancer la centrale Inga 2 dix ans plus tard, il entreprend également la construction d’une ligne électrique Inga-Shaba à très haute tension de 1900 kilomètres reliant Inga à Kolwezi alors qu’aucun besoin ne l’exigeait. Initialement prévue à 250 millions de dollars, cette ligne coûta finalement près d’un milliard de dollars, soit quatre fois le montant initial. Entre 1973 et 1979, la dette congolaise a été multipliée par 4, passant de 1,4 milliard à 4,5 milliards de dollars.
Loin d’améliorer les conditions de la population congolaise, ces investissements n’ont fait qu’enfoncer les Congolais-e-s dans la pauvreté. Alors que seulement 6% de la population est desservie en électricité (d’une très mauvaise qualité), tout le peuple congolais doit supporter le poids de la dette. Pis, le remboursement de cette dette s’est accompagné de l’application des fameux plans d’ajustement structurel (aujourd’hui rebaptisés « Cadre stratégique pour la croissance et la réduction de la pauvreté ») dictés par la Banque mondiale et le FMI, suite à l’éclatement de la crise de la dette du tiers-monde en 1982.
Conséquences : la part du budget destinée à l’enseignement est passée brutalement de 25% à 3%, des milliers de travailleurs des entreprises publiques ont été licenciés, les salaires des fonctionnaires ont été gelés, etc. La priorité était le remboursement de la dette, accaparant ainsi des ressources vitales pour le développement de la population : jusqu’à 50% du budget du Zaïre durant les années 1983-1989.
Au lieu d’éviter que le pays ne retombe dans le piège de la dette, les autorités actuelles continuent à contracter des dettes, assorties de conditionnalités qui violent la souveraineté de l’État congolais. Les pouvoirs publics devraient, à la place, procéder à un audit permanent des financements extérieurs (crédits, aides, investissements), en associant des représentants des mouvements sociaux afin d’éviter la reconstitution de nouvelles dettes illégitimes, évaluer l’impact social et environnemental des projets, déterminer qui en seront les principaux bénéficiaires, etc. Car on est en droit de se demander quelles seront les retombées d’Inga 3 et du Grand Inga sur la population congolaise. Il y a fort à craindre que ces projets ne génèrent que des dettes illégitimes, sans aucun bénéfice pour la population.
En effet, la Banque mondiale, qui encourage le gouvernement congolais à la construction d’Inga 3 et du Grand Inga, ne vise pas l’amélioration de l’accès de la population à l’électricité.
Il est de notoriété publique que l’électricité produite par Inga 3 ne servira pas aux populations locales, mais principalement à BHP Billiton, multinationale australienne spécialisée dans la transformation de la bauxite en aluminium. La fonderie qui sera construire aux abords du barrage consommera, en effet, quatre cinquièmes de la production prévue d’électricité.
Soulignons également que la mise en place d’Inga III entraînera une avalanche de nuisances écologiques, notamment des rejets en grandes quantités de produits toxiques dans l’eau et les sols. Quant au Grand Inga, son énergie servira en priorité à alimenter l’Égypte, les pays du Moyen-Orient et le Sud de l’Italie. De plus, sa construction entraînera des nuisances écologiques graves et des déplacements forcés de populations.
Malgré cela, les autorités de Kinshasa ont sollicité le financement partiel d’Inga 3 par la Banque mondiale, ce qui va encore alourdir la dette congolaise. Ce financement s’ajoute aux 2 milliards de dollars déjà prêtés par la Banque mondiale à la RDC depuis le point d’achèvement dans le cadre de l’initiative PPTE. Au total, le gouvernement congolais chercherait 22 milliards de dollars pour financer la construction d’Inga 3 à l’horizon 2020 et de la première phase de Grand Inga en 2025.
En réalité, Inga 3 et le Grand Inga s’inscrivent tout deux dans la stratégie de privatisation du secteur énergétique en RDC pilotée par la Banque mondiale. Sur sa demande, le gouvernement congolais a mis en place en 2004 le Comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques (COPIREP), structure destinée à conduire la politique de la réforme des entreprises publiques. La Banque mondiale a débloqué 120 millions de dollars pour financer cette opération.
La SNEL (Société nationale d’électricité) compte parmi ces entreprises à « réformer ». Le 21 mai dernier, le gouvernement congolais a posé un nouvel acte vers la privatisation de la SNEL en présentant au Parlement un projet de loi pour la libéralisation du secteur d’électricité en RDC, profitant du moment où près de 80% de la ville de Kinshasa était plongée dans le noir à cause de la vétusté des installations de la SNEL. Par cette action, le gouvernement a soutenu que la SNEL était dans l’incapacité d’assurer le monopole du secteur d’électricité et ainsi justifié la nécessité d’ouvrir le secteur aux investisseurs privés.
Dans le même temps, les centrales Inga 1 et Inga 2 fonctionnent à seulement 25% de leurs capacités. En réalité, cette situation de défaillance est due au tarissement des ressources de la SNEL liée aux détournements de fonds opérés par les élites dirigeantes congolaises. Rappelons que la SNEL est sous la tutelle des ministères du portefeuille et de l’énergie, le premier chargé de la gestion proprement dite et le second de la gestion technique. Le gouvernement congolais, qui se charge du recouvrement des recettes d’exportation de la SNEL, ne rétrocède rien à l’entreprise, tandis que les recettes locales sont détournées par les politiciens à tel point que l’entreprise éprouve des difficultés pour payer les salaires de son personnel.
La plupart des travailleurs des centrales Inga 1 et Inga 2 sont obligés de parcourir plus de 9 km à pied pour se rendre au travail par manque de moyen de transports alors qu’à Kinshasa, les politiciens s’amusent avec l’argent de l’entreprise : le gouvernement est le plus grand débiteur de la SNEL avec des factures impayées datant de plusieurs années.
Comment la SNEL peut-elle se développer, améliorer la qualité de son énergie, répondre aux besoins de la population, quand l’outil de production n’est plus entretenu, quand le stock de pièces de rechange est inexistant, quand la SNEL est privée des recettes d’exportation ? Comment un gouvernement responsable peut laisser la dégradation des installations atteindre le point où plus de 80% de la ville de Kinshasa soit dans le noir durant plusieurs jours avec toutes les conséquences que l’on connaît : manque d’eau potable dans une ville de près de 10 millions d’habitants, hôpitaux privés d’électricité, détérioration des appareils électroménagers, etc.
Cette dégradation de l’outil de production par manque d’entretien était en fait organisée car cette situation n’est pas arrivée en un jour : avarie des transformateurs, défauts de protection des réseaux, mauvais état des canalisations, ensablement du canal d’amené d’Inga qui dure depuis plus d’une décennie. Le gouvernement congolais, encouragé par la Banque mondiale, a asphyxié la SNEL pour justifier la privatisation de cette entreprise, au profit des entreprises privées.
En somme, il a préféré sacrifier la population afin de répondre aux exigences d’une institution internationale qui impose le néolibéralisme aux forceps. Il est temps que les dirigeants congolais et la Banque mondiale rendent des comptes au peuple congolais !
RENAUD VIVIEN ET JOSE MUKADI (CADTM)/LP