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-En RDC, deux affaires défraient la chronique : le marché de rénovation de la salle plénière du Sénat et la découverte d’un trafic d’armes à Gbadolite. Derrière les sociétés citées dans ces dossiers, Modern Construction et Serve Air Cargo, il y a un homme d’affaires indien Harish Jagtani qui a prospéré sous le régime de l’ancien président Joseph Kabila. Enquête.
Depuis le 30 avril 2020, Harish Jagtani, « l’ami » de Joseph Kabila ancien chef de l’État congolais, fait les gros titres des journaux sans même que son nom ne soit mentionné. Selon les informations recueillies par RFI, il est à la tête de Modern Construction, l’entreprise qui a réalisé les travaux de rénovation de la salle plénière du Sénat. Ce marché de 4 millions de dollars, contracté hors budget, fait un tollé, il a été passé de gré à gré, en pleines vacances parlementaires et dans un contexte de réduction des dépenses publiques. Le président du Sénat Alexis Thambwe Mwamba est mis en cause pour ses liens avec cette entreprise. .
Le même jour, en ce jeudi 30 avril, une cargaison d’armes est interceptée à plus d’un millier de kilomètres à Gbadolite, capitale de la province du Nord-Ubangi chère au cœur du maréchal Mobutu. Le gouverneur Zato Nzege Koloke annonce quelques jours plus tard que plus d’un millier de cartouches de kalachnikovs et des lanceurs de type Castor ont été découverts. Le colis, destiné à un groupe armé anti-balaka en Centrafrique selon des sources sécuritaires, a voyagé sur un avion-cargo de la compagnie Serve Air Cargo, la principale entreprise privée de fret aérien du pays. Son fondateur, c’est aussi Harish Jagtani, le même homme d’affaires indien, quasi inconnu du public en République démocratique du Congo. Deux des employés de cette société ont été brièvement interpellés avant d’être relâchés.
Ce n’est pas le premier incident de ce genre et pourtant, sa quinzaine d’avions parcourt le pays pour le compte de tous, institutions congolaises, agences onusiennes, humanitaires. L’un de ses appareils avait déjà été épinglé en juillet 2007 par le groupe d’experts de l’ONU chargé de contrôler l’embargo sur les armes imposé au Congo depuis la fin des deux guerres. Dans leur rapport final, ces experts onusiens notaient qu’un « Antonov 12 ER-AXI » qui assurait la liaison Kinshasa-Goma avait dérouté vers Entebbe en Ouganda. Le groupe d’experts évoquait « une violation présumée de l’embargo sur les armes » tout en précisant, fait inhabituel, ne pas être parvenu à boucler son investigation. « Tous les indices avaient disparu », s’étaient contenté d’expliquer les auteurs de ce rapport.
Harish Jagtani a tout juste 20 ans, quand il est arrivé en RDC en 1995 pour travailler pour Ganesha, une société d’importation dirigée par un commerçant indien. Moins de dix ans plus tard, « fort de ses succès commerciaux », il « crée » une première compagnie Services Air dont il est « actionnaire et président du conseil d’administration ». « En 2003, Harish n’était pas riche, il vivait dans un appartement de deux chambres dans l’un des immeubles occupés par les Indiens près du grand marché, c’est la poubelle de Kinshasa », raconte un familier. Un autre assure que « Harish a commencé comme un simple employé, sa mère avait un service traiteur pour nourrir les commerçants indiens de la capitale. »
Cette compagnie aérienne décroche un marché exceptionnel, celui des élections de 2011. Aux côtés des avions des armées angolaise et sud-africaine, deux régimes à l’époque alliés de Joseph Kabila, Services Air va assurer le déploiement du matériel pour ces scrutins déjà contestés.
Services Air connaît quelques déboires et prend le nom de Serve Air Cargo, mais garde ses entrées à la commission nationale électorale indépendante pour les élections de 2018. « Serve Air, c’est aujourd’hui la meilleure compagnie de fret du pays avec plus d’une dizaine d’avions et 200 millions de dollars de chiffre d’affaires », assure l’un des familiers de Harish Jagtani. Cela n’empêche pas ses avions d’être contraints d’opérer presque tous les ans des atterrissages d’urgence. Cette société, comme tant d’autres en RDC, est bannie du sol européen.
Jusqu’au deuxième mandat de Joseph Kabila, l’homme d’affaires indien passe encore inaperçu, même pour la plupart des hauts dignitaires de son régime. Mais une affaire, un litige autour de la construction de la tour Icon rebaptisée depuis Kiyo Ya Sita, va leur révéler l’étendue de ses réseaux.
Avant même la fin des travaux de la tour Kiyo Ya Sita, les relations d’affaires entre le jeune homme d’affaires indien et le vétéran du système bancaire congolais tournent au vinaigre. « Ils se sont définitivement brouillés en 2015. Pascal Kinduelo a même fait un procès à Harish », raconte une source dans l’entourage de l’homme d’affaires congolais. « Harish Jagtani lui réclamait trois millions de dollars de plus alors qu’il avait pris du retard dans les travaux et qu’il n’arrivait pas à justifier l’origine de ses apports et l’utilisation des fonds reçus. »
Pourtant, selon les dires de ce proche du banquier congolais, l’argent affluait de tout côté. « Il y a beaucoup de personnalités qui ont investi pour avoir des bureaux et des appartements dans l’immeuble comme Matata Ponyo [ancien premier ministre congolais, ndlr] ou un général de Brazzaville. Kinduelo et Harish avaient dit qu’ils réservaient le penthouse pour Joseph Kabila et sa femme, mais le reste était en pré-vente. » Le plateau coûte trois millions de dollars. Il y a des bureaux sur huit étages et des appartements au dessus. Beaucoup de sociétés y ont élu domicile comme Svelte Pharma, Ascoma RDC ou encore VFS Global employé par certaines chancelleries comme leur service de visas au Congo.
La société Modern Construction se trouve au sixième étage qu’elle partage notamment avec le cabinet d’Alexis Thambwe Mwamba, aujourd’hui président du Sénat. « Il était à l’époque ministre de la Justice, il a bloqué le jugement du tribunal de commerce de la Gombe qui était en faveur de Kinduelo, il a toujours été l’avocat de Harish »..
La tour Icon est rebaptisée Kiyo Ya Sita et les Kinois en attribuent volontiers la propriété à Olive Lembe di Sita, l’ancienne première dame dont elle reprend le patronyme. Le revers de fortune du tout puissant Pascal Kinduelo étonne en tout cas le chercheur John Dell’Osso de l’ONG américaine The Sentry. L’organisation créée par l’acteur et activiste américain Georges Clooney a enquêté et produit un rapport qui mettait en lumière le rôle-clef joué par M. Kinduelo dans la tentative de contrôle du système bancaire congolais par l’ancien chef de l’État Joseph Kabila et ses proches. « C’est surprenant que Pascal Kinduelo ait été contraint de se retirer de ce projet au profit de Harish Jagtani au vu de son statut d’homme d’affaires éminent du régime », pointe John Dell’Osso. « Pascal Kinduelo a bénéficié d’un appui important de la famille Kabila et à plusieurs reprises, il a aussi beaucoup fait pour l’ancienne famille présidentielle. »
Il n’y a pas que l’aviation et l’immobilier. Depuis cinq ans, Harish Jagtani a multiplié les acquisitions de terrain et diversifié ses activités. Il est le promoteur de HJ Hospitals, le complexe hospitalier parmi les plus performants de la capitale qui cherche aujourd’hui à travailler avec la coordination de la riposte contre la pandémie de coronavirus. « C’est normal, Harish a une vingtaine de respirateurs, c’est plus que l’ensemble des hôpitaux publics de Kinshasa », confie encore le familier de l’homme d’affaires indien. Selon plusieurs sources, il a aussi récemment acquis un terrain de quelques 20 000 mètres carrés à la Gombe, achetés à bon prix, au Grand Hôtel de Kinshasa. Sur le site internet de Modern Construction, d’autres projets d’infrastructures sont annoncés : route, pont et même un bien mystérieux complexe appelé « Villa Kamerhe ».
lavdc avec rfi