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-En République Démocratique du Congo, l’espoir d’une élection présidentielle sans effusion de sang s’est envolé le jeudi 20 février à Bukavu. L’histoire retiendra que dans cette ville, la « caravane de la paix » que menait l’opposant Vital Kamerhe, candidat annoncé pour la présidentielle de 2016, fut réprimée dans le sang. La pratique consistant à tirer sur la population à balles réelles, qu’on a déplorée à Bukavu, rappelait les scènes macabres de 2011. Les partisans d’un autre opposant, Etienne Tshisekedi, avaient été sauvagement massacrés près de l’aéroport de Ndjili par les forces de l’ordre durant la dernière présidentielle. Cinq ans avant Tshisekedi, un autre adversaire de Joseph Kabila, Jean-Pierre Bemba, assistait impuissant au massacre de ses sympathisants dans les rues de Kinshasa. Le leader du MLC avait même failli se faire tuer. Sa résidence avait été bombardée à l’arme lourde malgré la présence à ses côtés des diplomates occidentaux. On envisage difficilement 2016 en faisant abstraction d’une éventualité, voire de la certitude d’un bain de sang.
L’explication à cette forme de fatalité est à rechercher dans la complexité des enjeux autour de la présidence du Congo, un pays éminemment stratégique mais qui peine toujours à exister en tant qu’Etat régi par des lois opposables à tous. Ainsi le pays n’a-t-il jamais connu d’alternance à la présidence sans effusion de sang. Tous les quatre Présidents qui se sont succédé à la tête du Congo y sont parvenus au bout de tueries de masse.
On aimerait tellement que 2016 fasse exception, mais l’affaire est déjà mal engagée[1]. Trop de paramètres échappent au contrôle des électeurs.
Pas un seul Président sans bain de sang
L’arrivée de Joseph Kabila à la tête du Congo, en janvier 2001, s’est produite dans un climat de profond traumatisme à travers le pays. Son prédécesseur, Laurent-Désiré Kabila, venait d’être assassiné dans son palais tandis que dans l’Est du pays, les Congolais mourraient par milliers des conséquences directes et indirectes de la guerre d’occupation que menaient le Rwanda et l’Ouganda, avec le soutien des Etats-Unis et du Royaume-Uni. L’ancien Président avait été préalablement présenté dans les capitales occidentales comme l’« obstacle à la paix ». Son élimination physique, bien qu’elle fût traumatisante pour les Congolais, passa pour un mal nécessaire dans les milieux diplomatiques[2]. La question ici n’est pas celle du cynisme de la realpolitik, mais bien le constat que la dernière alternance politique au Congo s’est opérée dans le sang, et non seulement cette alternance-là.
Le Président assassiné, Laurent-Désiré Kabila, s’était lui-même emparé du pouvoir, en mai 1997, au bout d’une guerre atroce[3] menée par le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi et l’Angola ; sous la supervision des « grandes puissances » (Etats-Unis, Royaume-Uni, Israël, Canada[4]). Son prédécesseur, le Maréchal Mobutu, s’était, à son tour, emparé du pouvoir en novembre 1965 grâce à un coup d’Etat orchestré par la CIA[5]. Le Président du Congo alors s’appelait Joseph Kasa-Vubu. Lui-même, hélas, n’est pas épargné par « la malédiction des bains de sang ». Premier Président, et le seul à avoir été élu démocratiquement[6], Kasa-Vubu avait vu mourir des centaines de ses partisans durant les luttes pour l’indépendance[7]. A l’accession du Congo à l’indépendance, le 30 juin 1960, Joseph Kasa-Vubu devient Président. Le prix à payer ?…
Le Congo peut-il s’épargner ces tragédies autour des alternances politiques ? L’année 2016, peut-elle être l’amorce d’une nouvelle ère ?
Cela est évidemment souhaitable, mais encore faut-il revenir sur le cas des leaders congolais qui, comme Kamerhe aujourd’hui, s’étaient persuadés qu’ils pouvaient accéder à la magistrature suprême en misant, comme dans une démocratie « normale », sur la confiance du peuple. Aborder 2016 signifie savoir tirer les leçons des mésaventures d’Etienne Tshisekedi et Jean-Pierre Bemba.
Ils gagnent mais ils perdent
En Afrique, dit un jour Herman Cohen, « pour qu’un Président perde une élection, il faut qu’il ait envie de la perdre »[8]. Joseph Kabila a-t-il vraiment envie de perdre une élection ? En tout cas, en 2011, les observateurs indépendants étaient unanimes : « les résultats officiels, donnant Kabila vainqueur, ne reflétaient pas la vérité des urnes »[9]. L’opposant Etienne Tshisekedi aura ainsi remporté l’élection en réalisant un incontestable raz-de-marée à travers le pays. Deux ans plus tard, Tshisekedi attend toujours l’impérium, c’est-à-dire les moyens juridiques et matériels pouvant lui permettre d’exercer ses fonctions de « Président élu ».
Avant Etienne Tshisekedi, un autre opposant, Jean-Pierre Bemba[10], connut la même mésaventure, avec, en plus, son arrestation et son incarcération à La Haye. Le leader du MLC avait consenti à s’associer au processus de pacification du pays et obtenu l’assurance que les élections seraient libres et transparentes. Tout au long de la campagne, il obtint l’assurance de l’emporter largement. Mais c’était sans compter les réels enjeux de cette élection. En effet, le Président élu avait déjà été choisi, longtemps avant le début du scrutin.
Collette Braeckman fait remarquer que pour la communauté internationale, l’élection de 2006 avait pour enjeu de « légitimer et stabiliser le pouvoir en place (…) »[11] « Légitimer le pouvoir en place ». Rien à voir avec « permettre aux Congolais de choisir librement leur Président ». Le journaliste d’investigation Charles Onana révèle que, dès février 2006, les Etats-Unis, la France et l’Allemagne s’étaient mis d’accord sur le fait que Joseph Kabila doit être maintenu au pouvoir[12] (quel que soit le vote des Congolais). Ce choix des « grandes puissances » avait été conforté par le commissaire européen Louis Michel[13]. Autrement dit, longtemps avant que le premier électeur congolais ne dépose son bulletin dans l’urne, le « Président élu » avait déjà été choisi. On comprendra plus tard la motivation profonde des pays occidentaux. C’était le Rwanda.
En effet, aussi atroce que cela puisse paraître pour le peuple congolais meurtri par les agressions rwandaises, l’élection présidentielle de 2006 avait pour principal enjeu de conforter les intérêts de Paul Kagamé au Congo grâce au maintien de Joseph Kabila au pouvoir, ce que fait remarquer Pierre Péan[14] citant Helmut Strizek. Autrement dit, les Congolais qui croyaient voter pour la paix, avaient, en réalité, voté pour ouvrir un boulevard à l’armée de Kagamé, Kabila ayant consenti à laisser faire le régime de Kigali en échange du soutien que Bruxelles (Javier Solana[15]) s’était engagé à lui apporter. En janvier 2009, il autorise unilatéralement l’armée rwandaise à entrer sur le territoire congolais, prélude à la guerre du M23, ce qui provoque le départ de Vital Kamerhe de la présidence de l’Assemblée nationale.
2016 va-t-il différer de 2006 ? Difficile de se prononcer a priori. Tout ce qu’on sait est que le ciel a déjà commencé à s’assombrir.
Au-delà du peuple congolais
Un des éléments qu’il va falloir garder à l’esprit est l’insoutenable « tutelle » que les Présidents Museveni (Ouganda) et Kagamé (Rwanda) exercent sur Joseph Kabila. La surprenante relance des pourparlers de Kampala en vue de « sauver le M23 » (pourtant vaincu militairement) ; la signature des engagements de Nairobi et la loi d’amnistie promulguée par le Président Kabila[16] le 11 février dernier, sont autant d’éléments qui vont peser sur le scrutin de 2016. Il y a lieu de redouter que le sort du peuple congolais ne soit pas l’enjeu déterminant de ce scrutin. Avec l’aide des Occidentaux, Paul Kagamé pourrait tout à fait rééditer le coup de 2006 et s’octroyer un nouveau cycle de domination sur le pouvoir de Kinshasa.
Jean-Jacques Wondo fait remarquer qu’en dépit de la défaite militaire du M23, le Rwanda se retrouve renforcé dans les institutions de la RDC[17]. Kigali devrait continuer de se renforcer au Congo en profitant de l’application des engagements de Nairobi[18]. Ce renforcement du Rwanda dans l’appareil étatique congolais s’est confirmé avec la nomination du général Charles Bisengimana (ex-« RCD-Rwanda ») à la tête de la police nationale, au grand dam des « Katangais » qui lui préféraient le retour du général John Numbi[19].
Le problème, pour la présidentielle de 2016, est que le général Charles Bisengimana, avec la réputation qu’il traîne[20], se retrouve avec des pouvoirs objectivement trop importants. Selon le site apareco-rdc.com[21], Bisengimana, en plus de la police, est désormais le véritable patron de l’armée congolaise (FARDC). Le chef d’Etat-major des FARDC, le général Didier Etumba, aurait été « mis sous contrôle » par quatre officiers de l’armée rwandaise que Kigali a imposés dans son entourage, selon la même source. Du coup, Kagamé devient la véritable clé de voûte du dispositif sécuritaire autour du processus électoral congolais d’ici à 2016, ce qui n’est guère rassurant quand on pense à la façon dont se déroulent les élections au Rwanda[22]. Assuré d’avoir la haute main sur la violence d’Etat au Congo, Kagamé est maintenant certain que le prochain Président congolais lui fera allégeance (sinon ?…) ou que Kabila sera maintenu au pouvoir suivant le scenario brutal de 2011 (on ne change pas une recette qui marche).
En définitive, il va falloir modérer les aspirations à un changement démocratique dans un environnement comme celui-là. Il y a même lieu de se demander à quoi sert une élection lorsque tout est ainsi mis en œuvre pour passer outre le choix d’un peuple dont on sait qu’il est porté sur le changement.
Boniface MUSAVULI