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Interview de Colette Braeckman:« Si les Congolais n’avaient pas résisté, le Congo aurait déjà été démembré depuis longtemps »


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Par Tony Busselen

Début août: rencontre entre les présidents Kabila (Congo) et Kagame (Rwanda). Tous deux dirigent des pays qui, depuis des années, sont sur le pied de guerre. D’importants événements au Congo passent toutefois presque inaperçus ici, en Belgique. Tentons de mieux comprendre avec la principale journaliste belge spécialiste du Congo.

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Spécialiste du Congo, Colette Braeckman, s’est parfois heurtée à la diplomatie belge. Journaliste engagée, elle cherche à faire connaître la réalité congolaise. (Photo Le Soir)

Depuis de nombreuses années, Colette Braeckman suit de très près la situation au Congo pour le quotidien Le Soir. Elle écrit également dans des publications comme Le Monde Diplomatique. Colette est une journaliste engagée. L’an dernier, quand l’ancien ministre des Affaires étrangères Karel De Gucht s’est dirigé vers une rupture diplomatique avec le Congo, il s’est heurté à la journaliste du Soir. À deux reprises, il a estimé nécessaire de devoir réagir à ses articles par des billets d’humeur. Plus tôt, il avait déjà déclaré qu’elle ne pourrait plus jamais l’accompagner lors de ses voyages à l’étranger. Cela n’a guère fait impression. C’est une dame très aimable mais bien décidée que je rencontre et, manifestement, elle a choisi le camp du peuple congolais.

Quand on lit la presse belge (en dehors du Soir), on a l’impression que le Congo est un pays où se passent depuis de longues années des événements horribles et, surtout, où tout reste bloqué. Votre dernier livre a pourtant comme titre « Vers la deuxième indépendance » ? D’où vient votre optimisme ?

Colette Braeckman. Il découle de la réalité. Je voyage plusieurs fois par an au Congo et je vois les choses que l’on y construit.

Lors de mes derniers passages, j’ai vu les chantiers des boulevards à Kinshasa. La semaine passée, le chantier de la route de Beni à Kisangani a démarré. On a commencé à installer la fibre optique à partir de Matadi vers Kinshasa, c’est un bond formidable pour le développement dans le secteur de la télécommunication… Quand on pense à la situation au début de la guerre en 1998, en 1999 en 2001… Si j’avais par exemple osé dire en 2001 que dans dix ans on verrait le retrait des troupes étrangères, des élections, le début de la reconstruction des routes et infrastructures, etc., les gens m’auraient déclarée folle. Le Congo a connu et connaît toujours des problèmes et des injustices énormes, mais c’est un pays qui peut très vite remonter, qui peut surprendre par sa capacité à récupérer. Le pire a été possible, mais le meilleur l’est aussi. Il n’y a pour le moment pas une rue à Kinshasa sans immeuble en construction. Si les Congolais riches et vivant à l’étranger commencent à ramener leur argent dans leur pays, c’est un signe important. Il est vrai qu’il reste beaucoup d’inégalités, une grande misère pour le plus grand nombre, mais le progrès est indéniable.

Le 7 août, il y a eu une rencontre entre Kabila et Kagame à Goma. Au début de cette année, il y a eu l’opération Umoja Wetu, quand les armées rwandaise et congolaise ont collaboré pour neutraliser des rebelles à l’Est du Congo. Nkunda, l’ancien dirigeant des rebelles pro-Kagame, a été arrêté au Rwanda. Ensuite, on a vécu l’échange des ambassadeurs entre le Rwanda et la RDC (République démocratique du Congo). C’est un revirement spectaculaire quand on compare avec la guerre et les tensions entre les deux pays dans la période 1998-2008. Selon vous, d’où vient ce revirement ?

Colette Braeckman. La déstabilisation de la RDC par le Rwanda et l’Ouganda a été rendue possible grâce à l’aval des gouvernements américains dans cette période 1998-2008. Mais il faut dire que les Américains d’aujourd’hui ne sont plus les Américains de 1998-2008. Depuis lors, il y a eu la crise économique suivie par la victoire d’Obama. Les Américains réalisent en outre aujourd’hui que la Chine devient de plus en plus active en Afrique et que cela change la donne stratégique. Il faut aussi dire que d’importants pays africains comme l’Angola et l’Afrique du Sud ont réalisé que, si le démembrement du Congo avait lieu, le continent n’aurait aucune chance de se développer. Apparemment, les Américains savent aujourd’hui que s’ils continuent à cautionner le pillage du Congo par le Rwanda et l’Ouganda, cela nuira à leurs intérêts en Afrique.

Lors de la conférence de presse à Goma de Kabila et de Kagame, ce dernier a dit : « Je ne suis pas ici pour parler du passé, mais pour parler du futur ». Cela a choqué beaucoup de Congolais, victimes de l’agression. Il existe un grand scepticisme chez les Congolais quant à la volonté de paix de Kagame. Que leur répondez-vous ?

Colette Braeckman. Qu’ils ont raison d’être vigilants sinon sceptiques… On a vu tout ce que le Rwanda et l’Ouganda ont fait au Congo pendant toutes ces années. Mais il faut faire une distinction entre un accord politique réaliste qui apporte la paix, d’un côté, et les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide, de l’autre. De tels crimes ont été commis, ils sont imprescriptibles et aucun accord politique ne peut les effacer. On l’a vu avec Bemba, qui a commis des crimes et avec lequel Kabila a conclu un accord politique. On a vu Bemba participer au gouvernement 1+4 et on l’a vu rivaliser avec Kabila lors des élections. Or, après tout cela, il se trouve aujourd’hui en prison à La Haye. Si un accord politique peut amener la paix et rendre la reprise de l’agression plus difficile, tant mieux, mais aucun accord politique ne pourra jamais effacer les crimes qui ont été commis. Un autre exemple, c’est Bosco Ntanganda : Kabila a expliqué que pour lui, aujourd’hui, la paix est plus importante que la justice. Mais c’est une position à court terme, dictée par le réalisme politique, cela n’efface rien de ce qui a été commis. Il y aura toujours des gens qui vont se souvenir de ces crimes et tôt ou tard vont traîner les criminels devant la justice.

On aurait pensé que la rencontre aurait lieu sous le patronage de Hillary Clinton à l’exemple de son mari qui avait réconcilié Arafat et Barak à Camp David. Mais les deux présidents ont tenu à se voir avant l’arrivée de la secrétaire d’État américaine. Comment peut-on interpréter cela ?

Colette Braeckman. Je crois qu’aussi bien Kabila que Kagame sont jaloux de leur indépendance et leur autonomie. Ils ont des racines communes. Tous les deux ont été influencés par la Tanzanie de Nyerere. Kabila a connu l’exemple de son père qui était un anticolonialiste convaincu et qui s’est battu toute sa vie pour l’indépendance du Congo. Mais peu de gens se rendent compte que Kagame a aussi été influencé dans sa jeunesse par ce courant nationaliste africain. Quand il avait 18 ans, il est allé se battre avec le Frelimo au Mozambique et a reçu une formation à Cuba. Malgré le fait qu’après, il est devenu un grand ami des Américains et malgré tout ce qu’il a fait au Congo, il y a toujours quelque chose de cette période qui est resté chez lui. Ce type de dirigeant africain accepte de moins en moins le patronage des soi-disant faiseurs de paix occidentaux. Même l’ancien président nigerian, Obasandjo, l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU Ban Ki Moon, n’était pas au courant de la rencontre et s’est vu obligé de se précipiter à Goma pour apprendre ce qui s’est passé.

Souvent on a l’impression que le peuple congolais est une victime passive et aucunement acteur, les vrais acteurs étant les dirigeants congolais, rwandais et occidentaux. Est-ce vrai?

Colette Braeckman. Non, pas du tout. Si les Congolais ont survécu à la guerre, aux violences sexuelles, aux pillages, c’est qu’ils se sont organisés entre eux. Le problème est que ceux qui captent la parole, ce sont souvent des ONG occidentales qui disent défendre les intérêts du peuple et qui parlent au nom de leurs partenaires. Mais il existe des milliers d’associations qui font que le peuple congolais continue à vivre et dont on n’entend jamais parler. Les élections, par exemple, n’auraient jamais pu avoir lieu s’il n’y avait pas eu des dizaines de milliers de Congolais qui ont transporté les urnes, parfois sur leur tête ou avec des pirogues, et qui ont été observateurs dans les locaux de vote. Durant la guerre, alors que l’armée rwandaise voulait occuper le Katanga, ce sont les Mai Mai, milices locales autour de Kabinda et personne d’autre qui les ont empêchés. Les femmes aussi réussissent à survivre à la violence sexuelle en s’entraidant. Si les Congolais n’avaient pas résisté, le Congo aurait déjà depuis longtemps été démembré.

L’année prochaine aura lieu le 50e anniversaire de l’indépendance. Dans votre dernier livre, vous décrivez comment la Belgique s’est de plus en plus détournée du Congo. On a connu l’année passée les ruptures des relations diplomatiques. Existe-t-il encore un futur pour les relations entre la Belgique et le Congo?

Colette Braeckman. Dans le passé, l’intérêt de la Belgique pour le Congo a toujours été inspiré par des motifs économiques. Or, le patronat belge ne semble plus aujourd’hui vraiment intéressé par le Congo. Thomas Leysen, le patron de la FEB, assure carrément que le patronat belge a tourné cette page. On le voit aujourd’hui encore quand, après la rencontre entre Kabila et Kagame, le gouvernement belge ne trouve même pas nécessaire de publier un communiqué ou de donner un commentaire. C’est comme si quand ce n’était pas une paix dans laquelle les Belges ont joué un rôle important, alors cette paix n’existe pas.

Il est vrai que dans certains milieux religieux et culturels belges, on est resté concerné par ce qui se passe au Congo. Aussi dans les milieux politiques, il y a une minorité de personnalités qui est convaincue que la Belgique garde des atouts à cause de son passé colonial en Afrique centrale. Atouts qui lui permettraient de jouer un rôle de premier plan au niveau international. Je reste convaincue que Louis Michel, par exemple, a joué un rôle positif au Congo pour aider à mettre fin à la guerre. Les Congolais eux-mêmes rêvent toujours que les Belges vont revenir pour reconstruire ensemble avec eux le pays. Mais je crois qu’ils se font des illusions. De l’autre côté, il existe une diaspora congolaise importante en Belgique. On estime jusqu’à 125 000 les congolais vivant en Belgique. C’est plus qu’il n’y a jamais eu de Belges au Congo sous la colonisation. Ils s’intègrent dans la vie sociale, culturelle et aussi politique. Chaque parti politique a des Congolais sur ses listes. C’est parce que cela rapporte des voix. Or ces gens restent toujours attachés à leur pays.

Mais je pense qu’au fur et à mesure que le Congo va renaître, la Belgique va perdre de l’importance et c’est peut-être mieux comme ça, vu ce que la Belgique a fait dans le passé dans ce pays.

Vous êtes connue pour vos analyses critiques et indépendantes vis-à-vis des autorités, surtout vis-à-vis de la diplomatie belge. Comment réussissez-vous à rester comme ça et à survivre aux pressions ?

Colette Braeckman. C’est grâce à mon journal qui me publie et qui respecte l’indépendance du journaliste. En ce qui concerne la pression et des réactions parfois colériques, je pense souvent que « l’actualité reste et les ministres passent ». La situation en Belgique est aussi différente qu’en France ou en Grande Bretagne. Quand on voit comment la presse française est resté docile lors du génocide au Rwanda, ou comment le presse britannique manque souvent de crédibilité lorsqu’elle parle du Zimbabwe ou de l’Afrique du Sud, alors je pense qu’en Belgique les autorités ne sont pas si fortes que dans ces pays-là.