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“Ce que le Noir peut faire dans la liberté”


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Source: La Libre

Le 30 juin 1960, le discours de Patrice Lumumba, Premier ministre, fait scandale. “Il résume le drame du Congo”, dit Jean Omasombo.

L’événement le plus remarquable du 30 juin 1960 est le discours prononcé par le Premier ministre Patrice Lumumba, qui fait scandale. “La Libre Belgique” a demandé à un spécialiste de Lumumba, le Pr Jean Omasombo, chercheur à la section Histoire du temps présent/Musée de Tervuren et qui enseigne à l’Université de Kinshasa, d’analyser pour nous le sens de ce discours.

“Il résume le drame du Congo”, note d’emblée le politologue. “C’est le 27 janvier 1960 qu’est annoncée la date de l’indépendance. C’est aussi la première fois que Lumumba est présent à la Table-ronde politique; jusque-là, il était en prison au Congo. C’est donc à la suite d’une position commune de la délégation congolaise que cette date est fixée. Cléophas Kamitatu, aujourd’hui décédé, m’a dit qu’en réalité, la délégation congolaise avait demandé beaucoup – l’indépendance – dans l’espoir d’obtenir un peu”, comme on fait en Afrique lorsqu’on marchande. “Et voilà que les Belges, non préparés et divisés, disent oui tout de suite ! C’est un malentendu.”

“C’est seulement alors qu’intervient le rôle de Lumumba : donner un contenu à l’indépendance. Pour les Belges, c’était peut-être donner quelques postes en gardant le même Roi – soit un retour au modèle de l’Etat indépendant du Congo de Léopold II. Lumumba veut que l’indépendance ait un sens pour tous les Congolais. C’est ce sens qu’il indiquera dans son discours du 30 juin”

Celui-ci, qui parle d’un passé douloureux auquel l’indépendance met fin, ouvrant une ère nouvelle, fait scandale ce jour-là. Or, souligne le Pr Omasombo, ce discours n’était pourtant pas neuf. “Il est résumé dans l’hymne national congolais – suspendu sous Mobutu et repris aujourd’hui – qui, paradoxe, ne fait pas scandale, lui. Et il est à 80 % le même que son discours du 20 février, prononcé à l’issue de la Table-ronde politique. Seulement celui-là fut prononcé dans une petite enceinte et avait été suivi, le 21, d’un discours du roi Baudouin de la même eau que son texte du 30 juin, en plus cru, et alors que le souverain, contrairement aux autres orateurs, était placé sur une estrade, plus haut que les autres. Le 30 juin, c’est autre chose. Le Roi et Lumumba sont à la même hauteur et le Premier ministre ne s’adresse pas à Baudouin mais à Léopold II – tout comme le Roi ne parlait pas de lui-même mais de son “arrière-grand-oncle”, conseillant d’en garder l’héritage. De plus, le 30 juin, c’est Lumumba qui a la parole en dernier. Il parle devant des caméras, des diplomates – il parle au monde entier. Le contenu n’a pas changé, mais l’audience oui.”

Sur le fond, le discours de Lumumba oppose le temps de la colonisation, quand les Congolais étaient soumis et privés de liberté, et celui de l’indépendance, qui permettra de bâtir “un pays plus beau qu’avant”, de “montrer au monde ce que le Noir peut faire dans la liberté”. Là, souligne Jean Omasombo, “il ne s’adresse plus à Léopold II mais aux Congolais, leur indiquant la voie à suivre : le travail. Car c’est un travail phénoménal que de sortir de l’espace délimité par la colonisation”.

“Le modèle de celle-ci reposait sur trois éléments : 1. une dynamique du haut : tout est décidé d’en haut et exécuté; 2. un contrôle de la population par le territoire : si le Congo était ouvert aux étrangers au nom de la liberté de circulation, il ne l’était pas aux Congolais, qui avaient besoin d’un visa appelé “feuille de route” pour quitter leur territoire; 3. une mise en valeur du pays en fonction des richesses naturelles : on installe les villes et les infrastructures là où sont les richesses (mines, fleuves ); le Congo s’en trouve vide à l’intérieur, avec ses grandes villes concentrées sur la périphérie.”

Pour le professeur, cela fonctionne sous la colonisation parce que celle-ci dispose d’un Etat fonctionnel. “Mais en voulant corriger certains points – donner aux Congolais la liberté de circuler; instaurer une dynamique “du bas” qui permet aux citoyens de participer aux décisions; mettre l’accent sur d’autres éléments que les richesses naturelles, le respect des cultures locales, par exemple – Lumumba déséquilibre la construction léopoldienne. On perd l’Etat fonctionnel colonial et on se retrouve devant un espace désarticulé qui échappe de plus en plus au pouvoir . On insulte la colonisation mais on la reproduit, sans changer son ordre. Il faut sortir de cet espace et en construire un autre; ce n’est toujours pas fait aujourd’hui”, souligne M. Omasombo.

Pour ce dernier, cela reste le drame du Congo aujourd’hui : “On balance toujours entre le Congo de Léopold II, l’héritage, et celui de Lumumba, la dignité.” Mobutu tentera de faire la symbiose, remarque le politologue. “Il s’oppose à Lumumba pour se gagner la Belgique, qui le soutiendra. En 1966, il réhabilite Lumumba pour se débarrasser de la tutelle belge et se rapprocher de la population afin de garder le pouvoir; il nationalise l’Union minière et déboulonne la statue de Léopold II. Mais la voie lumumbiste est difficile : il faut réaménager l’espace en profondeur. Alors, bien vite, il choisit la voie la plus facile, le modèle Léopold II – un chef qui commande tout. Car il y a des similitudes entre lui et le roi défunt : le sens de l’autorité, le centralisme, des chefs “bâtisseurs et pacificateurs”, des “maîtres diplomates” Mais aussi le fait qu’ils soient tous deux accusés de crimes Et le Congo devient un empire du silence, où seul le chef s’exprime. Là non plus, Mobutu ne pourra reproduire le modèle dans sa totalité, les temps ayant changé. En 1976, il se tourne à nouveau vers la Belgique et “demande pardon” en décrétant la rétrocession des biens zaïrianisés. Trop tard !”

Le discours de Lumumba ne s’est pas réalisé. Est-ce un échec ? “Oui et non”, répond Jean Omasombo. “Le discours de Lumumba ne s’est pas réalisé parce qu’il a été tué; on n’a jamais vu l’avenir laborieux qu’il voulait. On peut ajouter que, dans sa dernière lettre à sa femme Pauline, il parle de la mémoire; or les Congolais l’ont perdue. Cela, c’est un échec. Mais son discours a donné aux Congolais le sens de la dignité. Aujourd’hui encore, il empêche la désintégration totale du pays, parce qu’il donne leur fierté aux Congolais. Finalement, l’espace a créé l’identité.”

“Pour le Congo, la question est : jusqu’où peut aller ce jeu de balancier Léopold II/Lumumba. J’ai peur Le pays a résisté à la désintégration mais, après cinquante ans, le corps est fatigué. Le Congo a bénéficié d’appuis extérieurs : l’Organisation de l’union africaine, en 1963, a décrété qu’on ne revenait pas sur les frontières héritées de la colonisation; mais en 2011 aura lieu un référendum sur l’indépendance au Sud-Soudan Je pense en outre que le départ de Joseph Kabila du pouvoir risque d’entraîner une dérive du Katanga vers l’indépendance : depuis l’arrivée à la tête de l’Etat de Laurent Kabila, cette province a le pouvoir économique et le pouvoir politique; elle ne supportera pas de perdre ce dernier et se repliera sur elle-même. Historiquement, le Katanga ne ralentit ses velléités d’autonomie que quand il contrôle le pouvoir central.”

MFC
(1) “Patrice Lumumba : Jeunesse et apprentissage politique (1925-1956)” et “Patrice Lumumba : Acteur politique (juillet 1956- février1960)”, Ed. L’Harmattan/Paris 1998 et 2005; “Lumumba, drame sans fin et deuil inachevé de la colonisation”, in Cahiers d’Études africaines, T. XLIV (1-2), n°s 173-174, pp.221-261; etc.