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Par J.-P. Mbelu
Comme à l’accoutumée, les médias autocensurés de Kinshasa profitent de « la rentrée parlementaire » pour redonner de l’espoir à un peuple meurtri par plus d’une décennie d’une guerre d’usure. Le rattrapage des arriérés parlementaires, la reddition des comptes exigée du gouvernement, l’examen du budget, etc. sont des titres ronflants qui reviennent régulièrement dans ces médias. C’est du déjà entendu. Au fur et à mesure que cette session dite budgétaire tendra vers sa fin, le ton changera quand ces mêmes médias se rendront à l’évidence que les espoirs suscités n’étaient pas proportionnels aux moyens politiques, économiques, idéologiques, culturels et spirituels dont disposent « les honorables parlementaires ».
Encore un petit budget
Prenons le cas du budget. Il semble qu’il pourra se chiffrer à plus ou moins 5 milliards de dollars. Si vous posez la question de savoir ce que signifie cette somme pour plus ou moins 50 millions de Congolais, la réponse risque d’être celle-ci : « Acceptez quand même qu’il y a eu passage de plus ou moins 2 milliards à plus ou moins cinq, ce n’est pas une mince affaire. Ce chiffre a augmenté. Et puis, sous Mobutu, il n’y avait pas de budget. » Souvent, les questions liées à ce qui peut être réalisé avec un budget sont escamotées. C’est comme si penser un budget était sacrifié au profit du calcul de son augmentation. Penser est réduit à calculer. Tel est l’héritage du néo-libéralisme dont le Congo souffre et souffrira encore pendant longtemps, tant que les politiciens actuels le dirigeront. Explicitons.
Avec la rentrée parlementaire, nos médias autocensurés risquent de laisser dans l’ombre la révision du contrat chinois sur la demande du Fonds monétaire International. Or, si le Congo a accepté de renégocier ce contrat sous l’instigation du FMI, c’est pour qu’il puisse bénéficier de ses apports financiers et qu’il poursuive le paiement de « sa dette odieuse ». Donc, comme à l’époque où Antoine Gizenga accédait à la Primature, le Congo guidé par le FMI n’ira nulle part.
Cela pour une raison historique évidente : le FMI n’a jamais aidé un pays à s’émanciper des moyens de contrôle de l’impérialisme occidental (dont lui-même, la Banque mondiale et les autres Club de Paris). Les pays asiatiques émergents n’ont jamais suivi ses conseils et les pays de l’Amérique du Sud faisant partie de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA) ayant opté pour le socialisme du 21ème siècle, c’est-à-dire pour une idéologie politico-sociale et économico-culturelle au service de leurs populations, ont coupé le cordon ombilical qui les liaient aux institutions de Bretton Woods.
Une autre raison est économico-politique : les pays bénéficiant de l’aide des IFI sont obligés d’appliquer les politiques néo-libérales (libéralisation, dérèglementation et/ou réglementation au profit des multinationales, privatisation, etc.) L’application de ces politiques permet aux pays bénéficiaires des « largesses » des IFI d’être soumis aux diktats des pays impérialistes au sein desquels les mêmes politiques ont marqué leurs limites et sont décriées.
Donc, en acceptant le petit budget de la misère qui sera prochainement voté « par acclamation moyennant quelques modifications » (toute œuvre humaine étant perfectible, nous dira-t-on) sous la supervision des IFI, les gouvernants Congolais actuels optent pour le suicide collectif.
Tenez. Pour la énième fois, ils vont appliquer les programmes d’ajustement structurel. Payer « la dette odieuse » extérieure aura un impact négatif sur les dépenses sociales : la santé, l’éducation, l’emploi, etc. vont en pâtir. Pour dire les choses simplement, payer les médecins, les infirmiers, faciliter l’accès à des soins de qualité, payer les enseignants et les autres fonctionnaires de l’état convenablement, cela ne sera pas possible. Les petites promesses qui seront faites seront démagogiques. Les dés sont pipés.
Les conséquences des choix téléguidés
Quelles seront les conséquences de ces choix téléguidés ? Il y aura de plus en plus de répression policière pour intimider ceux et celles qui chercheront à réclamer « leurs droits », le taux de mortalité ainsi que celui de l’analphabétisme seront en hausse, la corruption s’installera davantage et l’élite compradore s’enrichira aux dépens de nos masses populaires. Pour ces dernières, voir le bout du tunnel risque d’être remise aux calendes grecques si rien n’est fait pour mettre ladite élite hors d’état d’agir.
Une autre conséquence est que le gouffre qui sépare ceux et celles d’entre nous qui ont, tant soit peu une bonne maîtrise du fonctionnement des IFI et nos masses populaires se creuse davantage. Pour une raison simple. L’application des programmes d’ajustement structurel entretient l’analphabétisme et l’ignorance nécessaires à la soumission et à l’à-plaventrisme. Elle réduit les populations qui en subissent les contrecoups au rang de simples sopekatistes, c’est-à-dire au rang des mendiants ayant perdu tout sens de la dignité humaine et n’ayant à la bouche que les verbes « achète pour moi » (sombela ngai), « donne-moi » (pesa ngai) et « partage avec moi » (kabela ngai). La perte de tout sens de la dignité humaine rend nos masses populaires vulnérables. Elles deviennent des proies faciles entre les mains des « jeunes pasteurs » (toutes tendances confondues) avides d’enrichissement facile. Ces derniers opèrent un lavage de cerveau conduisant leurs proies à oublier que le Dieu en qui elles donnent l’impression de croire a créé l’humain (homme et femme) à son image et à sa ressemblance et lui a dit qu’il mangera à la sueur de son front. Et que la gloire de Dieu, c’est l’homme debout ; pas courbé au pied des vendeurs de miracles ou des idolâtres de Mammon.
L’appauvrissement anthropologique (de tout homme et de tout l’homme) exponentiel de nos masses populaires, le gouffre qui se creuse entre elles et leurs élites éveillées dans la compréhension des mécanismes de cet appauvrissement peut retarder le temps de la rupture avec une gestion néo-libérale suicidaire du pays. Mais cela peut aussi constituer une bombe à retardement…
Ils ont dit : « Session budgétaire » ! Non. Il n’y aura rien. C’est une session pour rire…