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-Avec son singulier rapport aux faits, Lambert Mende, le porte-parole du gouvernement congolais amuse et fascine autant qu’il irrite. Au point d’avoir été sanctionné par l’Union européenne.
C’est un mercredi ordinaire au ministère de la Communication et des Médias, avenue Tabu-Ley (ex-Tombalbaye), à Kinshasa. Le maître des lieux, Lambert Mende Omalanga, tient son show hebdomadaire, le « point de presse », repris en direct sur la Radio-Télévision nationale congolaise (RTNC). Avec emphase, il livre son regard sur l’actualité. S’ensuit un jeu de questions-réponses avec les journalistes présents. Le ministre est rompu à l’exercice : cela va faire bientôt dix ans qu’il officie comme porte-parole du gouvernement.
Toujours avec le même panache et cette verve déconcertante, au service du régime. « Au service de l’image de la RD Congo », reprend-il lorsqu’il nous reçoit, après sa conférence, dans le hall d’un hôtel de La Gombe. Avec sa démarche lente et la tête légèrement inclinée, il a serré quelques mains et reçu son quota d’« Excellence », avant de prendre place.
Mende ne manque jamais une occasion de jouer sur la fibre patriotique. Quitte, parfois, à s’arranger avec la vérité. Sous prétexte de « combattre les fake news » – le ministre se réjouit que Donald Trump l’ait « suivi » dans cette démarche –, il lance des démentis en cascade. Parfois avant même d’avoir pris le temps de vérifier les faits rapportés.
En février, il a d’emblée qualifié de « montage grotesque » une vidéo, largement relayée sur les réseaux sociaux, montrant des soldats congolais en train de perpétrer un massacre au Kasaï, dans le centre du pays. Le film était pourtant authentique, comme les autorités l’ont confirmé plus tard. « J’ai des sentiments, je peux me tromper, reconnaît-il aujourd’hui du bout des lèvres. J’ai eu du mal à croire qu’un Congolais, fût-il militaire, puisse se permettre une telle cruauté. »
Un « bon client » pour les médias
Au sein même de la Majorité présidentielle, cette « méthode Mende » ne fait plus l’unanimité. « Une parole publique doit porter les valeurs de sécurité, de vérité. Lorsqu’elle cesse d’être crédible, elle conduit nos audiences vers des médias étrangers considérés comme fiables », tacle Tryphon Kin-Kiey Mulumba, dernier porte-parole du gouvernement de l’ère Mobutu, aujourd’hui kabiliste convaincu. Mais aux yeux de Mende, l’essentiel est ailleurs. « Chaque fois que l’image de la RD Congo est mise à mal, c’est mon devoir de chercher l’angle d’explication la plus valorisante pour le pays », estime-t-il.
Malgré ces travers, le ministre continue d’être invité par la presse internationale. « Bon client » pour les médias, il est l’un des rares membres de l’entourage du président à décrocher systématiquement son téléphone, quel que soit le sujet. « Quand il s’agit d’interviews, mon chef est toujours disponible », confirme l’un de ses collaborateurs. Cet homme affable est pourtant, aussi, le censeur des journalistes.
Aux yeux de l’Union européenne, son rôle est central : il fait d’ailleurs partie, depuis le 29 mai, des seize responsables du pays qu’elle a sanctionnés (gel des avoirs et interdiction de voyager). Bien que, contrairement aux autres, le porte-parole du gouvernement n’ait pas été accusé d’être lié à des violences contre les Congolais. « Ce type de sanction est prise à l’unanimité des pays membres. Donc, quand quelqu’un irrite tout le monde autour de la table, cela lui tombe plus facilement dessus », explique une source diplomatique européenne.
En public, il feint de ne pas être affecté par cette décision. Mais, au cours de notre entretien, le voici qui se défait, pour une fois, de sa posture. La voix enrouée, les traits tirés, il encaisse : « Ma mère souffre d’une maladie grave en Belgique. Mon seul regret aujourd’hui, c’est de ne pas pouvoir aller la voir. » Touché ? Il l’est.
Mais l’homme est surtout en colère contre cette « petite Belgique », épicentre, selon lui, de tous ces « milieux de puissants intérêts qui en veulent à la RD Congo ». « Certains néolibéraux tentent de reproduire le schéma du roi Léopold II. Très intelligent, il avait su vendre aux puissances de l’époque l’idée d’une colonie internationale dans laquelle tout le monde aurait accès à cet immense coffre-fort naturel qu’est le Congo. Aujourd’hui, nous ne l’acceptons pas ! » ressasse cet homme, qui se dit lumumbiste.
Premiers pas en politique
Le ministre est né dans la même région que ce héros de l’indépendance, en février 1953. Il ne quittera le Sankuru qu’après avoir obtenu son diplôme d’État (l’équivalent du baccalauréat). « Fils de paysan », troisième enfant d’une fratrie de onze, le jeune Tetela s’essaie alors au droit à Kinshasa. Ces années d’étudiant marquent aussi ses premiers pas en politique.
D’abord au sein de la Jeunesse du Mouvement populaire de la révolution (MPR), alors parti-État. « Ce n’était pas par conviction, se justifie-t-il. À l’époque, même un enfant à naître en était, constitutionnellement, membre. » Il n’est alors qu’« un petit animateur à la RTNC », jure-t-il. Il réfute, en tout cas, l’étiquette d’ancien mobutiste.
À la même période, il est approché et « recruté » par le Mouvement national congolais-Lumumba (MNC-L), qui œuvre alors dans la clandestinité. À 27 ans, il s’envole pour la Belgique, bourse d’études en poche. Celle-ci lui sera retirée deux ans plus tard, lors de son premier retour au pays, en 1982. Fiché et suivi par le Service national d’intelligence et de protection (SNIP), l’étudiant est arrêté. Mais il parvient à s’évader. « N’eût été la générosité de Koli Elombe, alors secrétaire d’État à l’Enseignement, je ne serais peut-être plus en vie. C’est lui qui m’a permis de quitter le territoire », confie Mende.
Sans viatique cette fois-ci. Désormais exilé politique, il se rapproche du Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11), une structure très engagée en faveur de l’instauration de la démocratie au Zaïre. Pris en charge, il peut terminer sa licence en criminologie et voyage beaucoup, notamment en Libye. Voilà qui renforce les suspicions de Kinshasa sur la nature de son militantisme.
Le retour au pays
En mars 1984, lorsque la capitale est secouée par l’explosion de deux bombes, Mende est soupçonné. Selon une source sécuritaire de l’ancien régime, son nom est même signalé à Interpol comme étant celui du « terroriste » à l’origine de ce double attentat. L’intéressé a toujours démenti tout rôle dans cette affaire. Mais son frère Laurent est traqué, arrêté, puis condamné. Il passera sept ans en prison.
Depuis la Belgique, Mende mène des « campagnes médiatiques » pour « affaiblir le régime de Mobutu ». Puis, au début des années 1990, ce dernier commence à lâcher du lest, ce qui permet à Mende de rentrer au pays. Sous pression, le président zaïrois instaure le multipartisme et organise une Conférence nationale souveraine (CNS). Mende lance alors le « MNC-Originel », nouvelle aile d’un mouvement lumumbiste plus que jamais morcelé. À l’issue des travaux de la CNS, Mende entre au nouveau gouvernement, alors dirigé par l’opposant Étienne Tshisekedi.
Tshisekedi n’en pouvait plus d’entendre Mende défendre l’indéfendable
De ce dernier, décédé le 1er février 2017, il garde le souvenir d’un « grand homme » dont il admirait « la force des convictions, qui, nuance-t-il aussitôt, confinaient parfois à l’entêtement ». À l’égard de son ancien ministre, Tshisekedi n’a pas toujours été tendre : les derniers temps, il le surnommait le « Tshaku national » (« perroquet », en lingala). « Le vieux n’en pouvait plus d’entendre Mende défendre l’indéfendable », traduit un proche de Tshisekedi.
Terrain glissant
Car entre-temps Mende a opéré un rapprochement avec la kabilie qui n’allait pas de soi. Un mois avant la chute de celui-ci, il était encore le vice-Premier ministre de Mobutu. Mais lorsque les troupes de Laurent-Désiré Kabila entrent à Kinshasa, il se tait, espérant déjà pactiser avec les nouveaux maîtres du pays. En vain. Les compagnons du Mzee ne lui font pas confiance. « Certains » tenteront même de l’éliminer, soutient-il.
Je ne me vois pas dans la peau d’un dauphin
Quinze mois plus tard, il rejoint le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), une rébellion anti-Kabila soutenue par le Rwanda et l’Ouganda. Un épisode en treillis militaire qu’il ne regrette pas. « Je n’avais pas d’autre choix que de gagner l’Est », assure-il. Une dissidence et un accord politique plus tard, il refait le chemin inverse et se rapproche enfin de la kabilie pendant la période de transition dite « 1 + 4 ».
Aujourd’hui, sa formation, rebaptisée Convention des Congolais unis (CCU), figure parmi les « 14 partis significatifs de la majorité », avec six députés nationaux, un sénateur et quatre élus provinciaux. De quoi faire de lui un possible successeur de Kabila ? « Non ! Non ! Non ! Je ne me vois pas dans la peau d’un dauphin », clame-t-il. Ce terrain-là est décidément trop glissant. Même pour Mende.
Le premier censeur
Parmi les journalistes, l’audace des saillies de Lambert Mende Omalanga prête souvent à sourire.
Mais le rôle répressif du porte-parole du gouvernement est loin de les amuser. C’est lui, en effet, qui signe les accréditations aux journalistes étrangers et délivre les autorisations d’émettre.
RFI en a notamment fait les frais : la radio française est coupée depuis novembre 2016 et, en juin 2017, l’accréditation de sa correspondante Sonia Rolley n’a pas été renouvelée.
Les chaînes de télévision proches des opposants Moïse Katumbi et Jean-Claude Muyambo sont, elles aussi, toujours fermées, contrairement à ce que prévoyaient les accords du 31 décembre 2016 entre pouvoir et opposition.
Enfin, le 12 juillet 2017, Mende a pris un « arrêté » durcissant les règles applicables aux correspondants étrangers à Kinshasa. Désormais, tous « leurs déplacements en dehors de la ville » seront soumis à une « autorisation préalable » du ministre.
Avec J.A