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-« Battez-vous juste un peu, mais n’allez pas jusqu’à la victoire finale ». C’est à peu près ce qu’on peut retenir de ce mois de juillet en République Démocratique du Congo. Pourtant le conflit était en train de trouver une issue appropriée : militaire. Pour la première fois depuis longtemps, on a vu des soldats congolais très disciplinés, le moral haut, équipés et enchaînant des victoires sur un« ennemi » longtemps présenté comme invincible.
Le commandant des opérations, le colonel Mamadou Ndala (41ème brigade), devenu très populaire, traduisait dans les actes la promesse de venir à bout des combattants du M23. Tout d’un coup, on apprend qu’il est relevé de ses fonctions et rappelé à Kinshasa. L’information est démentie, mais il y a des démentis qui sonnent comme la confirmation de l’information initiale. C’est une pratique courante au Congo. Les officiers qui se distinguent au combat sont rapidement neutralisés et disparaissent de la circulation. Le cas resté dans la mémoire des Congolais est celui du général Mbuza Mabé qui, en 2004, a tenu tête aux combattants rwandais menés par le colonel Jules Mutebutsi et le général Laurent Nkunda dans la ville de Bukavu. L’officier fut rappelé à Kinshasa et mourut à Kitona dans des conditions restées floues. C’est probablement le sort qui attendait le colonel Ndala et qui a provoqué la colère de la population à Goma qui, depuis, manifeste contre le régime de Kabila et la Mission de l’ONU au Congo qui semblent s’accommoder de la poursuite du conflit, et ils ne sont pas les seuls. Il y a ainsi, indiscutablement une question qui doit donner lieu à un débat franc, au Congo et ailleurs :« Qui a intérêt à ce que la guerre du Congo s’arrête de sitôt ? » La Monusco ? Joseph Kabila ? Le Rwanda ? Les multinationales ?… Les Congolais ?
Tour d’horizon.
Faire durer la guerre : un choix lourd de conséquences
Les manœuvres destinées à faire durer la guerre du Congo sont pourtant lourdes de conséquences. Les soldats et la population les payent de leur vie. Plusieurs souvenirs amers trottent dans la mémoire collective. En juin 2012, dans la localité de Bunagana, l’armée congolaise avait le dessus sur le M23 et s’apprêtait à donner l’assaut final. On demanda aux soldats d’observer une trêve, officiellement pour permettre aux élèves de passer les examens d’Etat. Le M23 et ses parrains, le Rwanda et l’Ouganda, en profitèrent pour se renforcer. Le 06 juillet 2012, les Congolais furent surpris par une attaque qui coûta la vie à un casque bleu indien et plusieurs soldats loyalistes. La suite, on la connait. De revers en revers, la ville Goma finit par tomber le 20 novembre 2012. Des dizaines de femmes furent violées[1]. La ville fut pillée par les combattants rwandais qui emportaient ouvertement leur butin de l’autre côté de la frontière. Qui avait donné l’ordre d’observer la trêve à Bunagana ?
L’autre douloureux souvenir est celui de 2007 dans la localité de Mushake. L’armée congolaise maîtrisait les opérations et le CNDP, l’ancêtre du M23, était aux abois. Des ordres contradictoires arrivèrent de Kinshasa. Des officiers performants furent mutés et des unités démobilisées. Comme d’habitude, les combattants rwandais en profitèrent pour accumuler les renforts en armes et en hommes. Une offensive meurtrière fut lancée et se termina par un indicible carnage. Plus de 2.600 soldats congolais furent massacrés[2]. Qui avait ordonné l’arrêt des opérations à Mushake ? Qui avait donné les ordres contradictoires ?
On ne sait pas qui donne ces ordres, mais, en observant le comportement des acteurs visibles de la guerre du Congo, on a l’impression qu’ils tiennent tous à faire durer le conflit pour des raisons inavouables. La Mission de l’ONU au Congo, les pays agressant le Congo, les multinationales, le régime de Joseph Kabila.
C’est une institution forte de 23 mille personnels civils et militaires recrutés dans une cinquantaine de pays. Depuis plus de dix ans, elle absorbe chaque année un budget astronomique de plus d’un milliard de dollars[3] sans parvenir à ramener la paix au Congo. Elle est pourtant bien dotée sur le plan matériel(équipements) et juridiques. Elle a pour mission d’appuyer l’armée congolaise en application des Résolutions 1925 (2010) et 2053 (2012) du Conseil de sécurité de l’ONU. Elle est même dotée d’une brigade offensive chargée, justement, de traquer et de neutraliser par la force les groupes armés, dont le M23, en application d’une autre Résolution spécifique du Conseil de sécurité de l’ONU, la Résolution 2098 (2013).
L’opération des FARDC au Nord de Goma donnait ainsi l’occasion de voir les soldats onusiens remplir pleinement leur mission et régler définitivement au moins un problème, le M23. A la place, on entend les responsables de la Mission appeler à une solution négociée. On se demande bien ce qu’il y a à négocier avec une organisation comme le M23. Ce mouvement est considéré comme une organisation criminelle par le Conseil de sécurité de l’ONU qui a adopté des sanctions contre ses responsables, le gouvernement américain qui a, lui aussi adopté des sanctions contre la milice, l’Union européenne et les ONG des droits de l’Homme. Au Congo, le M23 est considéré comme une force d’agression et d’occupation rwandaise, et les Congolais s’appuient, entre autres, sur les rapports des experts de l’ONU détaillant l’organisation logistique et la chaîne de commandement[4] du M23 qui remonte jusqu’au Ministère rwandais de la défense.
Qu’est-ce qu’on entend par négocier avec une organisation comme celle-là ? Difficile de suivre la position de la Monusco sans prendre en compte les intérêts immédiats tirés de la poursuite de l’opération onusienne au Congo.
Le Rwanda de Paul Kagamé ?
Pour des raisons évidentes, le Rwanda, du moins le régime actuel de Kigali, n’a aucun intérêt à voir le conflit du Congo s’arrêter. Ce « fut » une époque de vache grasse dont profita l’élite politico-militaire de Kigali qui fit du Rwanda la plaque tournante de la maffia internationale impliquée dans le trafic des minerais de sang. Le Congo en guerre, c’est au moins 250 millions de dollars amassés par l’armée rwandaise de 1998 à 2000[5]. Par ailleurs, la guerre du Congo permet au Rwanda de disposer d’une zone tampon, le Kivu, que Kinshasa ne contrôle pas ou à peine. En écrasant le M23, les soldats congolais, longtemps humiliés, se retrouveraient nez-à-nez avec l’armée de Paul Kagamé, à la frontière des deux pays. Une étincelle est vite arrivée…
Les multinationales ?
Plusieurs dizaines de multinationales réalisent des marges confortables en se ravitaillant en minerais dans les zones en conflit de l’Est du Congo. Leur liste apparue dans les rapports des experts de l’ONU circule sur la toile[6]. Elles sont britanniques, pour la plupart. La fin de la guerre au Congo signifie qu’elles vont devoir s’approvisionner dans les conditions fixées par les autorités, dans le meilleur des cas. Dans le pire des cas, elles pourraient faire l’objet de poursuites et des campagnes médiatiques pour leur complicité dans la réalisation des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du génocide[7], maintenant de plus en plus évident, que subissent les femmes congolaises. Les affaires n’ont pas besoin d’une telle publicité.
Joseph Kabila ?
L’histoire de Joseph Kabila est intimement liée à la guerre du Congo. Arrivé au Congo en tant qu’officier de l’armée rwandaise, il n’a jamais réussi à couper le cordon avec le Rwanda et l’Ouganda, les deux pays qui entretiennent les troubles au Congo depuis près de deux décennies. Difficile pour lui de doter le Congo d’une force militaire de dissuasion prête à affronter directement les régimes de Kampala et de Kigali pour leur imposer le respect des frontières du Congo.
Sur un autre registre, Joseph Kabila pourrait figurer parmi les premiers perdants de la fin rapide de la guerre du Congo. Si l’armée parvient à rétablir l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national, tout ce que lui demande la population, elle deviendrait une institution difficile à soumettre, une armée marchant la main dans la main avec le peuple congolais. Joseph Kabila a un problème dans l’opinion congolaise comme on a pu s’en rendre compte à Goma. La population manifeste pour soutenir « ses soldats » tout en conspuant le régime de Joseph Kabila, accusé de façon récurrente, de trahison. Il est vrai que les images de Kampala où le « Raïs » est apparu étonnamment souriant aux côtés de Paul Kagamé et Yoweri Museveni, continue de choquer les Congolais. La ville de Goma venait d’être occupée par l’armée rwandaise, qui paradait fièrement en marchant quasiment sur les corps des soldats congolais abandonnés à même le sol. Difficile d’imaginer que le Président d’un peuple à ce point humilié apparaisse tous sourires aux côtés des personnages qui maltraitent son propre peuple et humilient ses soldats.
Les Congolais ?
Finalement, s’il y a trop peu d’hommes, de femmes, d’entreprises et d’institutions qui ont intérêt à ce que la guerre du Congo s’arrête rapidement, il y a au moins un acteur qui pourrait tout changer : le peuple congolais. L’espoir pour une nation, c’est qu’elle se régénère et les générations d’une époque sont rarement les « copies » des générations précédentes. Les planificateurs des guerres du Congo ont longtemps misé sur les faiblesses d’un type de population : les « zaïrois » avec leurs politiciens malléables et corrompus, nés et élevés dans l’ambiance euphorique des années Mobutu. Ils n’ont pas vu venir la nouvelle génération. Ces ados et ces pré-ados sont les enfants des femmes violées et déshonorées, de pères massacrés. Ils sont nés en exil, dans des camps de déplacés, ont été chassés de leurs villages. Ils ont vu leurs chefs coutumiers et leurs notables se faire cracher dans la bouche et se faire fouetter sur le ventre. Des pratiques traumatisantes durant les années d’occupation rwando-ougandaise. Maintenant que ces enfants ont l’âge de prendre la relève de leurs parents (morts, vivants ou humiliés) quelque chose est en train de se passer au Congo.
Les exploits du désormais célèbre colonel Mamadou Ndala et la ténacité des résistants congolais dans les maquis ne sont pas le fruit du hasard. Le combattant congolais a rajeuni. Ces jeunes Congolais-là ont rendez-vous avec l’histoire et ils ont un message à faire entendre. Forgés dans la douleur et n’ayant plus rien à perdre, ils veulent se faire respecter et faire respecter leur pays.
Boniface MUSAVULI