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Par HRW
-Human Rights Watch s’est entretenu avec 23 personnes qui se sont échappées ou qui ont quitté les rangs des mutins de Ntaganda après que ceux-ci sont arrivés dans le territoire de Rutshuru au début du mois de mai, ainsi qu’avec d’autres témoins d’exactions, des autorités congolaises civiles et militaires, des membres des forces de Ntaganda, des responsables des Nations Unies et d’autres sources. Parmi ces témoins figuraient neuf personnes recrutées au Rwanda, sept en RD Congo et une en Ouganda, tous des civils rwandais ; deux enfants congolais recrutés en RD Congo ; et quatre Congolais qui ont fait défection après avoir rejoint au départ la mutinerie puis changé d’avis. Interrogés séparément, les témoins ont déclaré que des centaines de personnes recrutées au Rwanda faisaient partie des forces de Ntaganda.
Les recrues originaires du Rwanda ont été recrutées de force ou bien sous les prétextes fallacieux qu’elles gagneraient de l’argent ou rejoindraient l’armée rwandaise. Certaines étaient des anciens combattants démobilisés des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe rebelle composé essentiellement de Hutus rwandais, opérant en RD Congo. D’autres étaient des civils sans formation militaire précédente. D’après certains récits, plusieurs des personnes recrutées de force étaient des enfants de moins de 18 ans.
Plusieurs de ceux recrutés au Rwanda ont décrit avoir été enlevés par la force sur le bord des routes et sur les marchés près des villes de Musanze (anciennement appelée Ruhengeri) et Kinigi dans le district de Musanze, dans le nord-ouest du Rwanda, et emmenés au camp militaire de Kinigi. D’autres ont été recrutés dans le secteur de Mudende dans le district de Rubavu. Kinigi abrite une importante présence militaire rwandaise ainsi que le siège du parc national des Volcans, d’où partent les expéditions touristiques pour voir les gorilles des montagnes. La présence militaire à Kinigi contribue à protéger le secteur touristique bien développé.
Deux civils rwandais du district de Musanze, âgés de 19 et 22 ans, ont raconté à Human Rights Watch que des militaires rwandais les ont enlevés de force d’un cinéma de rue en début de soirée autour du 19 mai. Les militaires ont rassemblé environ 30 garçons et jeunes hommes qui regardaient un film et les ont forcés à monter dans un camion, ont décrit les deux jeunes hommes.
Un autre homme rwandais de 31 ans a expliqué à Human Rights Watch qu’il avait été pris par des militaires rwandais à la fin du mois d’avril sur le marché de Kinigi, où il était allé chercher à manger. Les militaires l’ont emmené jusqu’à une position militaire rwandaise avec environ trente autres civils.
Des anciens combattants des FDLR ont raconté que des « coordinateurs de la démobilisation » ou d’autres anciens combattants les avaient invités à participer à des réunions pour les combattants démobilisés, ce qu’ils avaient fait dans l’espoir de recevoir un soutien financier ou de trouver un emploi. Ils ont précisé à Human Rights Watch qu’ils ont rendu directement compte au niveau du camp militaire à Kinigi.
Dans ce camp militaire, des militaires rwandais ont fourni des armes et des munitions aux nouvelles recrues avant de les répartir en groupes de 40 à 75 hommes. Portant les armes et les munitions, les recrues ont ensuite été obligées à marcher à travers le parc national jusqu’à la frontière congolaise, escortées par des militaires rwandais. À la frontière, les escortes militaires rwandaises ont remis les nouvelles recrues aux forces de Ntaganda qui les attendaient et qui les ont conduites jusqu’à Runyoni en RD Congo.
« Depuis Kinigi, 40 militaires de l’armée rwandaise nous ont escortés dans la forêt », a raconté à Human Rights Watch une des recrues qui avait pu s’évader par la suite. « Au total, nous étions 54, dont quinze âgés de moins de 18 ans et dix de moins de 15 ans. Certains d’entre nous portaient des grenades. D’autres transportaient des caisses de munitions et les personnes plus grandes, comme moi, transportaient le ‘fusil Mututu’, une grande mitrailleuse que nous avons portée à quatre sur un rondin de bois. »
Lorsque les nouvelles recrues sont arrivées à Runyoni, celles qui avaient reçu un entraînement militaire ont été rapidement déployées sur les positions de la ligne de front pour combattre l’armée congolaise. Certaines recrues civiles ont reçu une formation militaire basique, telle que savoir utiliser un fusil, et ont ensuite été déployées sur les lignes de front. D’autres ont reçu l’ordre de construire des abris, de préparer de la nourriture, de chercher de l’eau ou de voler des aliments et d’autres biens dans les maisons des villages pour l’essentiel abandonnés autour de Runyoni.
Une recrue civile rwandaise a déclaré à Human Rights Watch : « Après qu’on a amené les munitions à Runyoni, ils [les mutins] nous ont donné des fusils et nous ont ordonné d’aller combattre. Il n’y avait aucune formation. Ils nous ont juste montré comment utiliser un fusil et tirer. Et je suis parti moi-même au front. »
Dans la plupart des exemples décrits à Human Rights Watch, les militaires rwandais sont retournés au camp militaire de Kinigi après avoir remis les recrues aux forces de Ntaganda. Des recrues ont raconté à Human Rights Watch qu’à plusieurs occasions cependant, les militaires rwandais ont continué avec eux jusqu’à Runyoni et ont participé aux opérations de combat aux côtés des forces de Ntaganda, parfois après avoir enfilé des uniformes de l’armée congolaise.
Un civil rwandais recruté à Musanze vers le 19 mai a expliqué à Human Rights Watch : « Nous avons aussi vu beaucoup d’autres militaires de l’armée rwandaise [à Runyoni]. Je ne sais pas combien. Lorsqu’ils sont arrivés, ils ont enlevé leur uniforme de l’armée rwandaise et ont mis l’uniforme des mutins. » Il a été en mesure d’identifier un des militaires rwandais par son nom car il le connaissait pour être un officier qui avait servi dans son village au Rwanda.
Exécutions sommaires de recrues
Ceux qui ont tenté de fuir les forces de Ntaganda ou ont refusé de travailler ou de combattre parce qu’ils étaient fatigués ont subi des sanctions sévères. D’après les récits recueillis par Human Rights Watch, certains d’entre eux ont été sommairement exécutés.
Un civil rwandais recruté de force a raconté à Human Rights Watch : « J’ai vu six personnes tuées parce qu’elles tentaient de s’enfuir. Elles ont été abattues et on m’a ordonné d’enterrer leurs corps. Nous voulions tous nous enfuir et rejoindre les troupes gouvernementales, mais beaucoup d’entre nous ne savions pas comment faire et nous avions peur. » Il s’est échappé plus tard alors que ses gardiens s’étaient abrités pour échapper à des trombes d’eau.
Recruté en avril par le colonel Baudouin Ngaruye, un officier proche de Ntaganda, alors qu’il gardait des vaches dans le territoire de Masisi, dans l’est de la RD Congo, un civil rwandais a expliqué à Human Rights Watch qu’il avait vu le colonel Ngaruye ordonner à son escorte de tuer sept recrues avec un agapfuni, un petit marteau. « Certains des civils étaient fatigués par la longue distance que nous avions parcouru à pied » a-t-il raconté. « Alors le colonel Baudouin a donné l’ordre de les tuer. »
Dans un autre cas, un témoin a raconté à Human Rights Watch que le colonel Makenga lui a ordonné de tuer trois personnes qui ont été rattrapées alors qu’elles tentaient de s’enfuir. « Nous les avons tués avec un agapfuni. Nous les avons d’abord attachés avant de les tuer. Un avait environ 25 ans, un autre 18, et le troisième environ 20 ans. Quatre d’entre nous ont reçu l’ordre de les tuer. Puis nous les avons enterrés là-bas à Runyoni. »
Plusieurs des officiers qui se sont joints à la mutinerie de Ntaganda, dont le colonel Makenga, le colonel Ngaruye, le colonel Innocent Zimurinda et le colonel Innocent Kayna, ont des antécédents d’atteintes graves aux droits humains dans l’est de la RD Congo. Human Rights Watch, les observateurs des droits humains des Nations Unies et les organisations locales de défense des droits humains ont documenté des massacres à caractère ethnique, des tortures, des enlèvements, des violences sexuelles généralisées et le recrutement forcé d’enfants, commis par ces individus alors qu’ils étaient commandants de groupes rebelles ou officiers de l’armée congolaise.
Les dirigeants rebelles se rendent sans entrave au Rwanda
Outre la visite de Ntaganda au Rwanda le 26 mai, décrite plus haut, d’autres anciens officiers de l’armée congolaise qui se sont joints à la mutinerie, comme le colonel Makenga, se sont rendus au Rwanda depuis le début de la mutinerie, selon des témoins interrogés par Human Rights Watch, qui les ont vus passer la frontière, rencontrer des officiers militaires rwandais et discuter avec eux.
Des soldats qui ont rejoint la mutinerie mais qui ont fait défection ultérieurement ont raconté à Human Rights Watch que le 3 mai, le colonel Makenga a quitté Goma avec un groupe de soldats qui lui étaient fidèles. Lors du départ de Goma, la petite troupe a passé la frontière rwandaise à un point de passage non officiel au nord de la ville et s’est déplacée du côté rwandais de la frontière jusqu’à atteindre une position militaire rwandaise. Le lendemain, ont poursuivi les témoins, Makenga a rencontré des responsables militaires rwandais et a reçu des armes, des munitions et d’autres approvisionnements. Makenga et ses hommes ont ensuite été escortés par des militaires rwandais jusqu’à la région du volcan Karisimbi, où ils ont franchi la frontière pour rentrer en RD Congo. Dans les jours suivants, Makenga a été rejoint par les forces de Ntaganda en provenance de Masisi.
Le 11 mai, les mutins ont lancé un assaut militaire sur Runyoni et après avoir vaincu une petite unité de militaires congolais basée à cet endroit, ont établi leur principale position militaire. Le passage par le Rwanda a non seulement permis à Makenga d’obtenir des fournitures militaires, mais a permis aussi à ses forces d’éviter toute interception par les militaires congolais en ne se déplaçant pas sur les routes et les chemins congolais.
Attaques des FDLR
Depuis que Ntaganda et ses forces ont déclenché leur mutinerie à la fin du mois de mars, de nombreuses régions du Nord-Kivu et du Sud-Kivu sont tombées sous le contrôle d’autres groupes armés, plus particulièrement des FDLR, un groupe rebelle essentiellement composé de Hutus rwandais opérant dans l’est de la RD Congo, composé en partie d’individus qui ont pris part au génocide de 1994 au Rwanda. Les FDLR et d’autres milices ont pu gagner du terrain lorsque des soldats ont rejoint la mutinerie de Ntaganda et ont abandonné leurs positions militaires, laissant les villes et villages tels que Pinga, Nyabiondo, Mpati et Kivuye dans le Nord-Kivu sans protection. L’armée congolaise a orienté ses efforts pour vaincre la mutinerie plutôt que de reprendre ces lieux des mains des FDLR et de leurs alliés.
L’arrivée des FDLR et d’autres groupes dans des régions précédemment défendues par l’armée congolaise a entraîné de nombreuses attaques contre des civils que les FDLR ont accusés de collaborer avec leurs ennemis. Les attaques ont été particulièrement graves dans le territoire de Kalehe, au Sud-Kivu, ainsi qu’aux alentours d’Ufumandu dans le territoire de Masisi, au Nord-Kivu, où des combattants des FDLR armés de machettes et de couteaux ont brutalement massacré des dizaines de civils, dont de nombreux enfants. En représailles, un groupe de défense local, connu sous le nom de Raia Mutomboki, a attaqué les femmes et les enfants des combattants des FDLR.
Historique du mandat d’arrêt de la CPI
Bosco Ntaganda est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la CPI depuis août 2006 pour crimes de guerre pour avoir recruté et utilisé des enfants soldats dans des combats en 2002 et 2003 dans le district du nord-est d’Ituri, alors qu’il commandait un autre groupe armé. En mars, la CPI, dans son premier procès, a jugé le co-accusé de Ntaganda, Thomas Lubanga, coupable de crime de guerre pour avoir recruté et utilisé des enfants soldats.
Malgré le mandat de la CPI, le gouvernement congolais a intégré Ntaganda dans son armée et l’a promu au rang de général en 2009. Jusqu’à sa mutinerie, Ntaganda s’est déplacé librement dans l’est de la RD Congo, jouant au tennis et dînant dans les meilleurs restaurants de Goma au vu et au su des autorités gouvernementales congolaises, des Casques bleus de l’ONU et des diplomates étrangers. Aucun effort n’a été réalisé pour l’arrêter bien qu’il ait continué à commettre des atteintes aux droits humains, qui ont en grande partie été documentées par Human Rights Watch, y compris des assassinats ciblés, des viols, des tortures et le recrutement d’enfants soldats.
Suite à la mutinerie de Ntaganda, le président Joseph Kabila a laissé entendre le 11 avril, lors d’une allocution publique à Goma, que le gouvernement congolais envisageait l’arrestation de Ntaganda. Dans les semaines qui ont suivi, de hautes autorités militaires et gouvernementales congolaises ont indiqué à Human Rights Watch que Kabila avait émis une instruction pour l’arrestation de Ntaganda. Cet ordre d’arrestation signifiait un changement important dans la politique du gouvernement congolais à l’égard de Ntaganda, auparavant considéré avec insistance par le gouvernement comme indispensable dans le processus de paix du pays.
Le 14 mai, le procureur de la CPI a formellement demandé que des charges supplémentaires soient retenues à l’encontre de Ntaganda pour crimes contre l’humanité pour son rôle présumé dans les meurtres, la persécution pour motifs ethniques, le viol, l’esclavage sexuel et les pillages en rapport avec ses activités dans le district d’Ituri dans l’est de la RD Congo en 2002-2003.