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Par Le Monde
– Dans un pays où tant de promesses n’ont jamais été tenues, le chef de l’Etat sortant, Joseph Kabila, a tenu sa parole : les élections présidentielle et législatives ont bien eu lieu, lundi 28 novembre, en République démocratique du Congo (RDC). Mais à quel prix ? Celui d’une indescriptible confusion, associée à des violences parfois meurtrières mais localisées, qui soulève déjà la question de la crédibilité voire de la validité de ce scrutin pluraliste, le deuxième depuis l’indépendance de l’ancienne colonie belge en 1960 toujours traumatisée par deux guerres ravageuses de 1996 à 2003.
A Kinshasa, lundi, dès l’aurore, des foules d’électeurs ont bravé les trombes d’eau qui noyaient les chaussées défoncées. Dans la cour de l’école Epelingomo du quartier surpeuplé de Kingasani, ils se bousculaient par centaines, hurlant devant les portes des bureaux de vote, leur carte d’électeurs brandie au-dessus de la tête. “Les Congolais n’aiment pas l’ordre”, constatait dépité le président du centre de vote Israël Mbaya Tshimankinda.
Si les Congolais n’aiment pas l’ordre, ils doivent alors aimer la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Kiala Faustin, un enseignant de 48 ans, peut en témoigner. “Comment je vais voter ?”, se lamente-t-il. En juillet, il était venu dans cette même école pour s’inscrire. “On m’avait dit que je voterais ici”, se rappelle-t-il. Mais sur sa carte d’électeur figure un mystérieux collège Seneve où il est censé se rendre mais dont personne n’a jamais entendu parler, ici, dans ce dédale de ruelles sablonneuses grand comme une petite ville. “Erreur informatique ou bureau fictif ?”, se demande-t-il.
Avant le vote, on avait relevé de fausses adresses de bureaux sur la liste publiée par la CENI. L’opposition y avait vu une manoeuvre frauduleuse de la part d’une CENI dirigée par un proche de Joseph Kabila. Aux bureaux fictifs, et donc sans électeurs le jour du vote, correspondront des procès-verbaux comptabilisés en faveur du président sortant, s’alarmait l’opposition.
En attendant d’en savoir plus, M. Mbaya Tshimankinda cherche surtout à éviter l’émeute dans sa cour d’école. Ses bureaux ont ouvert avec trois heures de retard, lorsqu’enfin la CENI lui a fait parvenir la liste électorale les bulletins, “en nombre insuffisant”, dit-il. Et il doit faire sans isoloir en carton – “ils m’ont expliqué qu’il n’y en a plus”.
Les électeurs s’asseyent donc, certains pour la première fois, sur un banc d’école et transpirent à retrouver la photo de leur favori sur une liste de 1 329 candidats à la députation dans cette circonscription (pour 15 sièges) imprimée sur un bulletin de 53 pages. Il n’y a pas non plus de lampe pour le dépouillement dans ce quartier vivant souvent au rythme du soleil. Ni d’encre indélébile pour éviter les votes multiples. “Qu’est-ce que ça doit être en province ?”, soupire un observateur.
Autre casse-tête : les “omis”, ces Congolais détenteur d’une carte d’électeur affiliée à un bureau de vote mais qui n’apparaissent pas sur les listes. La CENI leur a permis au dernier moment de voter dans leur centre d’inscription. Ce qui ouvre le champ aux fraudes et à la contestation post-électorale. Ainsi, dans la salle numéro 4 du centre de vote du quartier Masina II ouvert dans les locaux d’une paroisse presbytérienne, la liste d’émargement de ces “omis” comporte déjà une trentaine de noms écrits à la main sur des feuilles volantes. S’y ajoute celle des votes par dérogation. Au total, près de 30 % d’électeurs supplémentaires qui, au soir du comptage, pourraient faire passer le taux de participation au-dessus des 100 %. Plus grave, peu de chose empêche un “omis” de se rendre dans un autre bureau de vote pour recommencer l’opération.
Ceci dit, les onze candidats de la présidentielle à un tour – système imposé par Joseph Kabila pour battre une opposition divisée et compenser sa perte de popularité – sont sur un pied d’égalité. Une égalité démocratique devant le chaos que le chef de l’Etat partage avec “l’opposant historique” Etienne Tshisekedi (79 ans) et ses deux frères ennemis de l’opposition Vital Kamerhe (51 ans), ex-président de l’Assemblée nationale et Léon Kengo (76 ans), président du Sénat.
Devant une telle anarchie, c’est presqu’un miracle si l’on ne rapportait pas, mercredi matin d’incidents plus sérieux dans la capitale. Ce ne fut pas le cas à Lubumbashi, capitale du Katanga (sud-est), où au moins dix personnes ont été tuées lors d’une attaque d’un bureau de vote. Dans le Kasaï occidental, fief d’Etienne Tshisekedi, des bureaux de vote ont été incendiés après la découverte d’urnes déjà bourrées. Dans l’Est, des combats entre groupes armés ont conduit à la fermeture de bureaux.
“Difficile de dire aujourd’hui quelle influence tout cela aura sur le résultat final”, relativisait un observateur américain. Inquiet, il se demandait si le même chaos allait dominer les opérations de comptage et de centralisation des résultats. Beaucoup plus pessimiste, un membre étranger du comité technique électoral (un organe consultatif de la CENI) ne voyait pas comment “la CENI, qui affirmait dimanche, et contre toute évidence, être prête à 100 %, pourra déclarer ce vote transparent”. Il ajoutait : “C’est un fiasco total et pourtant prévisible que la communauté internationale a laissé faire. Et si cela dégénérait en guerre civile ?”
Lundi soir sur les ondes de la radio Okapi, Franklin Tshamala, un cadre de la majorité présidentiel dont le candidat est donné favori au regard de sa force de frappe financière, administrative et sécuritaire, avait vu un vote “calme”. Du côté de Vital Kamerhe et de Léon Kengo, en revanche, on réfléchissait déjà à faire annuler le scrutin. Une option écartée par Etienne Tshisekedi qui, dès la fin du vote, lançait la bataille des chiffres, invérifiables, au sujet de sa large victoire dans l’est du pays. Les résultats de la présidentielle sont prévus avant le 6 décembre. Ceux des législatives, pas avant le mois de janvier. La RDC entre dans une zone de hautes turbulences.
Christophe Châtelot
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