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La justice grandit la nation : un message-bilan qui laisse un peu sur la soif…


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Par J.-P. Mbelu

A l’issue de leur Assemblée plénière du 6 au 10 juillet 2009, nos Pères Evêques de la CENCO sont restés fidèles à leur tradition : ils ont publié un message intitulé « La justice grandit une nation » (Pr 14,34). La restauration de la Nation par la lutte contre la corruption.

Les avancées et l’inertie des institutions issues des élections de 2006

Ce message se veut une contribution à « la construction d’un meilleur avenir pour tous les Congolais » et aux « choix fermes à opérer pour un Congo prospère et heureux ». Nos Pères Evêques voyant pointer le cinquantenaire de notre pays à l’horizon dressent un bilan de 49 ans de l’accession de notre pays à l’indépendance. Ce bilan, faut-il l’avouer, est globalement sombre tout en présentant quelques notes positives, « des avancées indéniables ». Parmi ces avancées, il y a « la conscience de l’appartenance à une même Nation, la cohésion sociale qui a permis de résister aux velléités de balkanisation, (…) l’émergence d’une élite autochtone de renommée incontestable ». Si « la mise en place des institutions démocratiques » figure parmi ces avancées, le fait que ces institutions aient participé de la déconstruction du « tissu éthique de notre société » les disqualifie. En d’autres termes, la mise en place de ces institutions n’a servi à presque rien. Nos Pères Evêques notent que « malgré les engagements pris par le Gouvernement, nous ne voyons pas une détermination réelle des acteurs politiques de concevoir et de faire fonctionner un mécanisme et des modalités cohérents de prévention et de répression des actes de corruption » et ils posent cette question : « Comment comprendre cet état d’inertie quasi-totale ? » Ils y répondent en ces termes : « La responsabilité du Gouvernement dans cette situation est engagée. La corruption est une des bases de la répartition inéquitable de la richesse nationale entre la classe opulente constituée des autorités publiques et la majorité de la population qui vit misérablement.

En plus, la corruption entretenue par l’impunité entraîne la dégradation des infrastructures de base, le découragement des opérateurs économiques, le mépris des textes et des normes, l’appauvrissement de l’Etat et de son affaiblissement ». Les conséquences de cet esprit de corruption sont énormes. Il y a d’une part l’entropie représentative, c’est-à-dire l’introduction de la méfiance croissante entre les gouvernés et les gouvernants, entre les gouvernés et les institutions publiques, et d’autre par la violence et l’humiliation dont les gouvernés sont l’objet au quotidien. L’affaiblissement de l’Etat est aussi l’une de ces conséquences.

Celui-ci a des causes externes et internes. Il y a d’une part la solidarité humanitarisée par les Organisations d’aide et corrompue par l’esprit de lucre dont les Congolais eux-mêmes souffrent en détournant des biens et des fonds destinés à l’aide à leur seul profit. Et d’autre part, « des organisations et pouvoirs occultes qui veulent avoir la main mise sur la RD Congo et ses richesses qu’elles tiennent à contrôler et exploiter à souhait. La plupart sont de mèche avec des Congolais qui placent leurs intérêts au-dessus du bien de l’ensemble de la population. Certains s’illustrent par leur cupidité et l’accaparement des richesses forestières et minières au détriment des populations locales ». Ceci est tellement flagrant que nos Pères Evêques doutent « de la sincérité de l’intention qu’ils affichent d’aider la RD Congo ». Dans cet imbroglio socio-politique, une certaine religiosité vient « détourner l’attention des Congolais de leurs responsabilités dans la société » en leur faisant « espérer que le changement viendra comme par un coup de baguette magique ».

En lisant le dernier message de nos Pères Evêques, l’impression qui se dégage est que l’entropie représentative est doublée d’une entropie sociale. Le fossé entre la bourgeoisie compradore et le commun des Congolais devient de plus en plus un gouffre. De qui cette bourgeoisie est-elle composée ? « Des gouvernants, des gestionnaires de la chose publique et des hommes d’affaires malhonnêtes (qui) s’adonnent à un enrichissement éhonté, injustifiable par rapport à ce qu’ils gagneraient loyalement ».

Face à ce diagnostic sans complaisance de l’état de notre pays, que proposent nos Pères Evêques pour que le pays prenne un nouvel élan ? Ils proposent que nous puissions compter sur le Seigneur. Mais comme ils savent que si l’on ne s’aide pas le Ciel risque de demeurer sourd, ils ajoutent : « Il nous faut aussi changer notre échelle de valeurs, opérer des choix courageux et judicieux et prendre le plus bel élan pour bâtir un Congo nouveau ».

Le message de nos Pères Evêques pose l’un des problèmes fondamentaux préoccupant notre pays : la privatisation du bien de l’ensemble, la perte du sens de l’Etat et de sa finalité. D’où ils estiment qu’ « il est donc temps de rappeler à notre peuple et à nos dirigeants qu’il existe des valeurs fondamentales sans lesquelles la vie, le progrès, le développement solidaire et le bonheur de la nation ne sont pas possible. Ce sont notamment ces valeurs du bien commun, du respect absolu de la loi Fondamentale, d’un développement solidaire qu’il nous faut redécouvrir ». Il y a perte du sens de l’Etat, de sa finalité et de la solidarité collective dans la mesure où certains dirigeants commis au service du bien commun le sacrifice au profit de leurs intérêts égoïstes, dans la mesure où les fonds et les biens destinés à l’aide des populations victimes de la violence et de l’humiliation sont détournés par des compatriotes pour leur enrichissement personnel. Et la justice qui peut grandir une nation où il y a une grave inversion des valeurs, c’est celle qui implique « l’existence d’un Etat de droit, dans lequel personne ne concentre tous les pouvoirs entre ses mains. La justice sociale et distributive doit être promue car elle offre à tous une égalité de chance fondée sur les mérites objectifs et non sur le clientélisme. Cette égalité de chance permet à l’Etat et à ses institutions de garantir le bien commun et de promouvoir le développement solidaire et intégral du pays ».

Des acquis à capitaliser et des questions en quête de réponse

Les affres de la guerre d’agression imposée à notre pays par la coalition des multinationales et des gouvernants du Nord avec la collaboration des hommes et femmes liges Ougandais, Rwandais et Congolais a créé « une conscience d’appartenance à une même Nation » et « une cohésion sociale » comme « armes redoutables » contre les « velléités de balkanisation » de notre pays. Cet acquis est à capitaliser, les Maîtres du monde n’ayant pas encore dit leur dernier mot. La conscience collective d’appartenance à une même Nation devrait être entretenue à travers les médias alternatifs accordant une place de choix au débat et aux échanges entre Congolais(es). Mais aussi à travers des plates-formes et des Forum dépassant régulièrement les frontières des ethnies, des partis politiques et d’autres « chapelles diaboliques » pour que les Congolais(es) se rencontrant et échangeant ensemble puissent mieux se connaître, mieux s’aimer, mieux coopérer et mieux protéger la conscience susmentionnée.

Aussi, mettre et remettre en place des institutions démocratiques devrait rentrer dans les mœurs congolaises.

Le message de nos Pères Evêques témoigne pourtant que cela ne suffit pas. Et puis, suffit-il d’organiser, à n’importe quel prix les élections pour croire qu’elles auront comme issue la mise en place des institutions démocratiques ? Si des élections de 2006 sont nées des institutions gérées par des gouvernants ayant perdu le sens et la finalité de l’Etat, des gouvernants ayant privatisé les intérêts de l’ensemble, des individus ayant fait de la corruption, du tribalisme, du clientélisme, du népotisme, de l’égoïsme, de la vénalité et de l’irresponsabilité « les piliers » de la gestion d’un Etat moderne, ce qu’il y a une certaine approche congolaise du pouvoir et de la démocratie qui devrait être revue et corrigée.

Le message de nos Pères Evêques vient reposer la question de l’identité et du parcours de certains animateurs de ces institutions et celle de « leurs mérites objectifs ». Qui étaient-ils ? D’où venaient-ils ? Les élections de 2006 n’ont-elles pas été un moment de légitimation de la coalition des forces externes et internes décidées à affaiblir l’Etat pour avoir « la main-mise sur la RD Congo et ses richesses qu’elles tiennent à contrôler et à exploiter à souhait » et à balkaniser ? Les Congolais(es) ont-ils été suffisamment outillés pour éviter d’opérer des choix compromettant pour leur bonheur collectif partagé ?

Aussi ces forces externes ne sont pas aussi occultes que nous le disent nos Pères Evêques. Elles sont connues et citées dans les différents rapports de l’ONU et dans le dernier livre de Charles Onana intitulé Ces tueurs tutsi, au cœur de la tragédie congolaise.

A ce point nommé, le courage prophétique de nos Pères Evêques pose quand même problème. Comment peuvent-ils, malgré toute la documentation existant sur la tragédie congolaise, parler des forces occultes là où les acteurs pléniers et les collabos de cette tragédie sont connus ? Il est possible que ça soit par mesure de prudence. Mais cela peut aussi être porté par ce besoin de moraliser la vie publique en passant à côté du risque pris par le dernier grand prophète du premier testament, Jean-Baptiste : regarder les grands tout droit dans les yeux et dire à Hérode : « Il ne t’ai pas permis de prendre la femme de ton frère ». Moraliser la vie publique en généralisant les responsabilités n’est pas mal. Néanmoins, il nous semble comporter le danger de contribuer à l’irresponsabilité collective. Quand dans un Etat dit démocratique, « tout le monde se plaint » de la corruption, même ceux qui disent avoir eu le mandat du peuple ( ?) pour éradiquer les antivaleurs, cela semble être un signal qui ne trompe pas : ces mandataires ne sont pas à la hauteur de leurs tâches. La conséquence logique découlant de ce constat serait d’enclencher des mécanismes pouvant conduire à leur démission. Ailleurs, en Grande-Bretagne, par exemple, ils sont déjà 13 ministres à avoir quitté le gouvernement pour des questions de viol du code de bonne conduite dans la gestion des affaires de l’Etat. La réplique à cette approche pourrait être : « L’église est au milieu du village. Elle doit éviter la stigmatisation ». Très bien ! Mais le jour où le triomphe des antivaleurs emportera « le village », où que l’église se placera-t-elle ?

Oui. C’est bien de moraliser la vie publique. Mais cela devrait se faire sans oublier la parabole de « la paille et de la poutre » exigeant que « la correction fraternelle » commence une conversion personnelle. Quand nos Pères Evêques parlent des institutions rongées par la corruption, ils notent : « Aucune institution en RD Congo n’en est épargnée tant la pratique tend à devenir normale aux yeux de beaucoup de Congolais. De l’école primaire à l’université, dans les cours et tribunaux comme dans d’autres instances de décision et d’exécution, des réseaux maffieux continuent, imperturbable, d’opérer ». Où se situent les églises dans tout ça ? Est-ce vrai qu’elles sont toujours, tout le temps, au-dessus de la mêlée ? Quand nos Pères Evêques affirment que pendant que notre peuple clochardisé croupit dans la misère, « des gouvernants, des gestionnaires de la chose publique et des hommes d’affaires malhonnêtes s’adonnent à un enrichissement éhonté, injustifiable par rapport à ce qu’ils gagneraient loyalement », ne devraient-ils pas ajouter « certains hommes de Dieu » à cette liste ?

Le péché d’idolâtrie de l’argent aurait aussi élu domicile dans les institutions ecclésiales. Cela rendrait inoffensifs et inefficaces tous ces messages de moralisation de la vie publique dans la mesure où aucune institution n’étant épargnée, donner des leçons du haut de la chaire de vérité deviendrait très peu crédible.

Prenons un exemple. Qu’est-ce qu’un Pasteur peut donner comme leçon de morale à un gouvernant lui ayant acheté une maison en Europe ou sachant qu’il a détourné l’argent destiné à telle ou telle autre œuvre à son propre profit ? Quelle leçon de solidarité collective peut donner cet autre Pasteur qui ne peut travailler pastoralement qu’entouré de compatriotes de sa coterie ? Où cet autre qui clochardise ses collaborateurs au point d’en faire « les amis de Bacchus », les tuant ainsi à petit feu ? « Faites ce qu’ils vous disent et non ce qu’ils font » devient un appel moralisant tellement facile qu’il décrédibilise ceux qui le lancent.

Redécouvrir les valeurs fondamentales

L’appel à la redécouverte des valeurs fondamentales lancée par nos Pères Evêques devrait être entendu aussi au sein des églises. Les populations de nos quartiers, de nos villes et de nos villages ont tant besoin d’un leadership politique consciencieux, des élites intellectuelles de qualité que d’un leadership religieux responsable, des guides qui ne soient pas aveuglés par l’idolâtrie de l’argent, du pouvoir et du sexe.

Redécouvrir les valeurs fondamentales nous paraît être urgemment une question de conversion, de retournement profond, d’une metanoia que les discours seuls ne peuvent pas produire. Il nous semble que la corruption dont il est question chez nous soit d’abord une question d’idolâtrie des biens matériels : l’avoir a pris toute la place de l’être et « aucune institution n’est épargnée ».

A l’aube des indépendances africaines, Cheik Amidou Kane posait déjà cette question en pensant à ses jeunes congénères africains : « Ce qu’ils vont apprendre à l’école vaudra-t-il ce qu’ils vont oublier », le bomoto, le bumumtu ? Quelle serait la réponse de l’église-mère, éducatrice et famille de Dieu à cette question? Peut-elle faire un bilan interne, sans complaisance ? Assumer son rôle prophétique pour s’adresser à ceux du dehors, c’est plus facile que d’être prophète chez soi. Quelle peut être la part de l’église à la consolidation de la dictature de Mobutu et de celle de Joseph Kabila ? Ce bilan mérite aussi d’être dressé au cours de l’année du Jubilé. Ne fût-ce qu’à l’intérieur de l’église… (à suivre)