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  • RDC : les 5 points Ă  retenir du gouvernement Matata 2

    RDC : les 5 points Ă  retenir du gouvernement Matata 2

    Matata-AprĂšs plus d’une annĂ©e d’attente, le gouvernement de “cohĂ©sion nationale” a Ă©tĂ© mis en place dimanche tard dans la nuit. Outre la confiance renouvelĂ©e au Premier ministre Matata Ponyo, voici les premiers enseignements Ă  tirer de cette nouvelle Ă©quipe gouvernementale.

    Joseph Kabila a tranchĂ© : ce sera Matata bis. Le Premier ministre congolais, aux affaires depuis mai 2012, a Ă©tĂ© maintenu, le 7 dĂ©cembre, Ă  la tĂȘte de la nouvelle Ă©quipe gouvernementale. DĂ©cidĂ© Ă  l’issue des “concertations nationales” de septembre et d’octobre 2013 Ă  Kinshasa, le gouvernement de “cohĂ©sion nationale” qu’il va dĂ©sormais diriger comprend Ă  la fois des membres de la majoritĂ© au pouvoir, de l’opposition dite rĂ©publicaine et de la sociĂ©tĂ© civile. Une recomposition de l’Ă©chiquier politique de la RDC qui peut se rĂ©sumer en 5 points.

    1. Matata Ponyo a gagné la bataille

    DĂšs la fin des “concertations nationales”, beaucoup de candidats au poste de Premier ministre se bousculaient au portillon. DĂ©jĂ , en interne, au sein mĂȘme du gouvernement, le nom de Daniel Mukoko Samba, alors vice-Premier ministre en charge du Budget, Ă©tait souvent citĂ© pour remplacer Matata Ponyo Ă  la primature. Il faut dire que le courant ne passait plus entre les deux hommes, le premier ayant dĂ©sertĂ© les rĂ©unions hebdomadaires de la “troĂŻka stratĂ©gique” initiĂ©e par le Premier ministre, des rencontres entre le chef du gouvernement et les responsables du Budget et des Finances consacrĂ©es au “suivi de la situation Ă©conomique du pays”.

    Et Ă  l’extĂ©rieur du gouvernement, en embuscade, LĂ©on Kengo wa Dongo attendait lui aussi son heure. “AutoritĂ© morale” de l’opposition dite “rĂ©publicaine” – ce regroupement de partis et des personnalitĂ©s ayant pris part aux “concertations nationales” -, le prĂ©sident du SĂ©nat se prĂ©sentait comme l’alternative Ă  Matata Ponyo pour bien asseoir la “cohĂ©sion nationale” recherchĂ©e. Enfin, dans la famille politique de Joseph Kabila, des caciques de la majoritĂ© au pouvoir convoitaient aussi le poste. Au fil des mois, les noms des potentiels Premiers ministres revenaient rĂ©guliĂšrement dans la presse kinoise. Mais au final, le chef a renouvelĂ© sa confiance au sortant. Il s’agit donc bien d’une victoire remportĂ©e par Matata Ponyo face Ă  ses nombreux rivaux.

    2. Adieu le ministÚre délégué !

    “Les dĂ©putĂ©s voyaient toujours d’un mauvais Ɠil le concept de ministre dĂ©lĂ©guĂ©”, reconnaĂźt un conseiller de Matata Ponyo. Patrice Kitebi qui en est un dans le prĂ©cĂ©dent gouvernement n’a pas Ă©tĂ© reconduit. “Il Ă©tait le souffre-douleur du gouvernement pour les dĂ©tracteurs de Matata. Ne pouvant pas attaquer directement le Premier ministre, ils s’acharnaient sur son ministre dĂ©lĂ©guĂ©, espĂ©rant atteindre ainsi son chef”, explique le conseiller.

    Dans Matata 2, le cabinet des Finances pour lequel Kitebi exercait une dĂ©lĂ©gation de pouvoir sous le contrĂŽle du Premier ministre lui-mĂȘme, redevient un ministĂšre Ă  part entiĂšre. Et il est confiĂ© Ă  un proche du prĂ©sident de la RĂ©publique. Beaucoup Ă  Kinshasa y voient un coup dur pour Matata Ponyo qui avait jusqu’ici la mainmise dans la gestion du secteur Ă©conomique au sein du gouvernement. D’autant que le ministĂšre du Budget est attribuĂ© Ă  Michel Bongongo, un proche de LĂ©on Kengo wa Dondo, prĂ©sident du SĂ©nat, lequel voulait devenir chef du gouvernement… “L’essentiel est que tout monde arrive Ă  Ă©pouser la vision du chef de l’État telle qu’elle est mise en exĂ©cution par son Premier ministre”, tente de minimiser un proche de Matata Ponyo.

    3. Le retour en force des chefs des partis

    Dans sa premiĂšre Ă©quipe gouvernementale (2012-2014), Matata Ponyo avait prĂ©fĂ©rĂ© travailler avec des “technocrates”, laissant sur le banc les chefs des partis de la majoritĂ©, Ă  quelques exceptions prĂšs. Mais aujourd’hui, les “concertations nationales” ont changĂ© la donne. Dans Matata 2, gouvernement de “cohĂ©sion nationale” oblige, les dirigeants des formations politiques, de la majoritĂ© comme de l’opposition, font leur rentrĂ©e en puissance. C’est le cas notamment d’Évariste Boshab, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Parti du peuple pour la reconstruction et la dĂ©mocratie (PPRD, principal parti de la majoritĂ© au pouvoir), nommĂ© vice-Premier ministre, ministre de l’IntĂ©rieur et SĂ©curitĂ©.

    Il en est de mĂȘme de Thomas Luhaka, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral et numĂ©ro un du Mouvement de libĂ©ration du Congo (MLC) en l’absence de Jean-Pierre Bemba dĂ©tenu Ă  La Haye, propulsĂ© vice-Premier ministre en charge des Postes et TĂ©lĂ©communications. Dans le mĂȘme lot, on peut Ă©galement citer Willy Makiadi, secrĂ©taire permanent du Parti lumumbiste unifiĂ© (Palu), Michel Bongongo, secrĂ©taire exĂ©cutif de l’Union des forces du changement (UFC) de LĂ©on Kengo wa Dongo, Olivier Kamitatu, prĂ©sident de l’Alliance pour le renouveau du Congo (ARC), Elvis Mutiri, 2e vice-prĂ©sident de l’Alliance pour le dĂ©veloppement et la RĂ©publique (ADR)


    4. La participation aux “concertations nationales” rĂ©compensĂ©e

    Sans surprise, le gouvernement Matata 2 offre une prime aux partis et personnalitĂ©s politiques qui ont pris part aux “concertations nationales”. Outre les formations politiques de la coalition au pouvoir qui obtiennent la majoritĂ© des ministĂšres, le MLC s’en sort avec deux portefeuilles importants dont un poste de vice-Premier ministre accordĂ© Ă  son secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral, Thomas Luhuka.

    D’autres partis qui s’Ă©taient regroupĂ©s autour de Kengo wa Dondo au sein de “l’opposition rĂ©publicaine” n’ont pas Ă©tĂ© oubliĂ©s. Ils ont hĂ©ritĂ© entre autres d’un ministĂšre d’État accordĂ© Ă  Michel Bongongo. Voulant ratisser large, un dĂ©putĂ©, membre du groupe parlementaire de l’Union pour la dĂ©mocratie et le progrĂšs social (UDPS, parti d’Étienne Tshisekedi) et alliĂ©s a Ă©tĂ© Ă©galement dĂ©bauchĂ©.

    5. La majoritĂ© s’Ă©largit, l’opposition se fragilise

    Pour marquer le coup, la plateforme “opposition rĂ©publicaine” a Ă©tĂ© lancĂ©e officiellement, ce 9 dĂ©cembre, Ă  Kinshasa. Elle est placĂ©e sous la direction de LĂ©on Kengo wa Dondo, son “autoritĂ© morale”, et du sĂ©nateur Florentin Mokonda Bonza, son “modĂ©rateur”. “C’est le regroupement politique qui a donnĂ© des ministres rĂ©publicains”, s’amuse François Muamba, prĂ©sident de l’ADR, insistant par ailleurs sur le caractĂšre “constructif” de la dĂ©marche des partis de cette opposition qui a fait le choix de participer Ă  la gestion du pays avec la majoritĂ©.

    “Ce n’est pas parce que nous sommes dans une coalition que nous allons ĂȘtre fondus”, soutient-il. À l’en croire, il n’y aurait donc pas de fusion entre majoritĂ© au pouvoir et “opposition rĂ©publicaine”. Une opinion que ne partagent pas les partis d’opposition dite “radicale” qui n’ont pas pris part aux “concertations nationales”. Ces derniers estiment qu’il existe dĂ©sormais une “majoritĂ© Ă©largie Ă  l’opposition rĂ©publicaine” et une “vraie opposition”. DĂ©jĂ , au MLC, le torchon brĂ»le. Les trois membres de la formation politique de Jean-Pierre Bemba nommĂ©s ministres ont Ă©tĂ© “radiĂ©s” par leurs camarables qui leur reprochent d’avoir “violĂ© la ligne politique du parti”.

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    Par Trésor Kibangula

    Jeuneafrique

  • Les pays africains les plus “risquĂ©s” pour les entreprises en 2015

    Les pays africains les plus “risquĂ©s” pour les entreprises en 2015

    control-risk-carte-Le cabinet de conseil Control Risks prĂ©sente l’Ă©dition 2015 de sa carte annuelle des risques sĂ©curitaires et Ă©conomiques Ă  travers le monde. IntitulĂ©e “le nouveau dĂ©sordre mondial”, cette Ă©tude estime qu’il y a un “risque politique Ă©levĂ©” au Sahel – de Bissau Ă  Djibouti -, en Afrique du Nord et dans une grande partie de l’Afrique centrale. Une analyse peu nuancĂ©e.

    Le cabinet de conseil britannique Control Risks a intitulĂ© l’Ă©dition 2015 de sa carte annuelle des risques sĂ©curitaires, gĂ©opolitiques et Ă©conomique pour les entreprises et les personnes Ă  travers le monde, “le nouveau dĂ©sordre mondial”. Le document [PDF] donne un aperçu assez sĂ©vĂšre de l’environnement Ă©conomique et sĂ©curitaire Ă  travers le monde.

    Selon les estimations du cabinet de conseil, les “risques politiques pour les entreprises”, mesurĂ©s en fonction des rĂ©glementations dĂ©favorables, de l’insĂ©curitĂ© juridique, de l’exposition Ă  la corruption, des dangers d’expropriation, de nationalisation ou de sanctions internationales, seraient “assez Ă©levĂ©s” dans la plupart des grands pays Ă©mergents (Chine, Turquie, Inde, Russie, BrĂ©sil et Mexique notamment).

    Peu nuancé

    Qu’il s’agisse de ces “risques politiques” ou des “risques de sĂ»retĂ©” (tels que la fraude, la destruction de biens ou le vol d’informations par exemple), l’Ă©dition 2015 de l’Ă©tude de Control Risks peint un tableau sĂ©vĂšre et peu nuancĂ© de la situation des pays africains.

    S’agissant des premiers, le cabinet estime par exemple qu’il existe “un risque extrĂȘme” sur tout ou une partie du territoire de la Centrafrique et de la Somalie. Constat difficile Ă  contester au vu des conflits frappant ces deux pays africains.

    En revanche, il est plus difficile de comprendre le regroupement dans la mĂȘme catĂ©gorie – celle des zones Ă  “risques politiques Ă©levĂ©s” – de territoires aussi divers que la CĂŽte d’Ivoire et la Libye, le Cameroun et le Somaliland (État non reconnu, situĂ© dans le partie Nord de la Somalie), Madagascar et l’ÉrythrĂ©e, l’AlgĂ©rie et la Gambie, le Burundi et le Zimbabwe, ou encore la RD Congo et l’Égypte.

     

    Bons points

    La plupart des pays d’Afrique orientale et australe s’en sortent mieux, avec un risque politique “moyen”, c’est Ă©galement le cas du Rwanda, du Gabon, de la GuinĂ©e Ă©quatoriale et du Cameroun en Afrique centrale, du SĂ©nĂ©gal, de la Mauritanie, de la Sierra Leone, du Ghana, du BĂ©nin et du Togo en Afrique occidentale.

    Seuls six pays africains, le Maroc, le Cap-Vert, les Seychelles, la Namibie, Maurice et le Botswana se trouvent rangĂ©s dans la catĂ©gorie des pays Ă  “risques politiques bas”.

    >>>> Visualisez l’intĂ©gralitĂ© de la carte ici.

    control-risk-carte

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  • LIBRE OPINION:  Mlc : l’enjeu de la gestion chaotique des ambitions

    LIBRE OPINION:  Mlc : l’enjeu de la gestion chaotique des ambitions

    MLC logo-Sur Facebook circule un kalĂ©idoscope prĂ©sentant une demi-douzaine de cadres politiques du Mlc en rupture de banc avec Jean-Pierre Bemba. Si la mĂ©moire ne trahit pas, on en compterait plutĂŽt une douzaine. Au nombre desquelles Alexis Thambwe Mwamba, JosĂ© Endundo, Vincent Lunda Bululu, Olivier Kamitatu, JosĂ© Makila, Yves Kisombe, Jean-Lucien Bussa, François Mwamba, Elvis Mutiri wa Bashala, Adam Bombole et, maintenant, Thomas Luhaka, Omer Egwake et Christian Kambinga. Les uns ont dĂ» dĂ©missionner, les autres ont Ă©tĂ© dĂ©missionnĂ©s, tous au mois ont en partage le fait de n’avoir pas trouvĂ© satisfaction dans la rĂ©alisation de leurs ambitions…

              Pour la petite histoire, c’est au lendemain de la clĂŽture de la Cns (ConfĂ©rence nationale souveraine) en 1992 et du Cpk (Conclave politique de Kinshasa) en 1993 – c’est-Ă -dire pendant la pĂ©riode prĂ©cĂ©dant la tenue des nĂ©gociations politiques  qui avait instituĂ© la 3Ăšme voie – que la terminologie politique zaĂŻroise s’Ă©tait enrichie de la nouvelle expression ” gestion des ambitions“.

                Alors monseigneur, l’archevĂȘque de Kinshasa Laurent Monsengwo, portĂ© Ă  la tĂȘte du Haut Conseil de la RĂ©publique (Hcr), Ă©taient des premiers Ă  en apprĂ©cier le sens. D’autant plus que la gestion des ambitions Ă©tait devenue un facteur de dĂ©stabilisation des partis et des plateformes politiques, une Ă©pine dans le processus dĂ©mocratique.

                Pour en saisir la portĂ©e, il faut partir du 24 avril 1990 avec la fin du Monopartisme d’Etat (Mpr Parti-Etat), donc la libĂ©ralisation de l’activitĂ© politique.

                Longtemps contenues par le rĂ©gime et le systĂšme en place au moyen de l’Ă©tatisation de l’appareil politique ou la politisation de l’appareil Ă©tatique (au choix), les ambitions avaient du coup implosĂ©.

                RĂ©sultat : en sept ans (1990-1997), 445 partis politiques vont se faire enregistrer aux fins de concourir Ă  la conquĂȘte, Ă  l’exercice et Ă  la conservation du Pouvoir d’Etat.

                C’est Ă  cette Ă©poque qu’apparaĂźt le phĂ©nomĂšne “parti politique-mallette“. Il suffit d’obtenir son agrĂ©ment au ministĂšre de l’IntĂ©rieur, d’accĂ©der Ă  un tout petit financement et d’avoir le bagout pour s’attirer l’attention des mĂ©dias, et on devient… leader. Un premier passage Ă  la tribune de la Cns, un deuxiĂšme Ă  la tribune du Cpk, on se fait remarquer et on se fait passer pour un incontournable. Lors des Concertations nationales en septembre-octobre 2013, on entendra un acteur politique venu dans le cadre de la Cns en 1991 lancer Ă  son collĂšgue dĂ©putĂ© : “Suki pembe na Palais du Peuple“. Oui, cela fait 22 ans qu’il y surfe !

                Seulement voilĂ  : aprĂšs avoir portĂ© soi-mĂȘme sa mallette, le leader rĂ©alise qu’il lui faut un porteur qui, lui-mĂȘme, “tĂ©moin et acteur ” direct ou indirect de l’embonpoint du leader, finit par se dĂ©couvrir les vertus auto-dĂ©terminantes. Ainsi, aux cĂŽtĂ©s du parti “Omer” naĂźt le parti “Omer radical“, suivi du parti “Omer rĂ©publicain” ou “Omer modĂ©rĂ©“.

                Vingt cinq ans aprĂšs, peut-on dire que les choses ont changĂ© ? Pas du tout. La “wenganisation” de l’espace politique est si forte que la derniĂšre expĂ©rience en date, nous la vivons avec deux plateformes politico-sociales dĂ©nommĂ©es “Sauvons la RDC” et “Sauvons le Congo“, alors qu’on peine encore Ă  distinguer les groupes parlementaires “Fac” ! Ne parlons mĂȘme pas de l’Udps oĂč on a un groupe parlementaire dĂ©savouĂ© par la direction politique du parti continue d’engager ce dernier aussi bien Ă  l’intĂ©rieur qu’Ă  l’extĂ©rieur.

                Oui, c’est toute la problĂ©matique de la gestion des ambitions.

                Ce qui se passe au sein du Mlc ne devrait pas (nous) étonner. Au contraire, il y a là matiÚre à interpellation pour toutes les personnes physiques en charge du leadership.

                Sur Facebook, rĂ©agissant Ă  un statut, observation a Ă©tĂ© faite de la responsabilitĂ© que requiert le leadership.  En politique comme en culture, en affaires comme en religion, quand on accepte d’ĂȘtre leader, il faut savoir qu’on se met au service de la communautĂ© et non l’inverse. On se sacrifie pour la communautĂ© avant d’exiger de la communautĂ© des sacrifices en votre faveur. On cultive l’art du partage.

                Le fondement culturel africain, pour ne pas dire nĂ©gro-africain, est que l’Ă©goĂŻsme se conçoit mal. Si la culture hellĂšne nous dit que lĂ  oĂč il y en a pour un, il y en a aussi pour deux, la culture nĂšgre soutient plutĂŽt que lĂ  oĂč il y en a pour un, il y en a surtout pour dix !

                Tant mieux : d’aucuns y trouvent matiĂšre Ă  pauvretĂ©, et mĂȘme Ă  corruption. HĂ©las !, on a le choix entre faire avec ou non.

                DĂ©jĂ , en les observant, les leaders politiques qui ont des problĂšmes rĂ©currents dans leurs partis ou dans leurs plateformes sont ceux qui entretiennent la paupĂ©risation autour d’eux, ceux qui rĂ©duisent les membres Ă  un marchepied, ceux qui se croient soit maĂźtres aprĂšs Dieu, soit maĂźtres avant Dieu, soit mĂȘme maitres sans Dieu. Ils sont le centre du monde. Ou, pour reprendre le poĂšte latin Ovide dans “MĂ©tamorphoses”, ils pratiquent le narcissisme au point de ” se complaire Ă  s’admirer soi-mĂȘme“, d’”avoir la prĂ©tention de se trouver (croire) le plus beau du monde“. En psychanalyse, on y trouve “un frein Ă  l’Ă©volution de la personnalitĂ©“.

                Au Mlc, il est de notoriĂ©tĂ© publique que Jean-Pierre Bemba a sale caractĂšre. En tĂ©moignent ceux qui l’ont frĂ©quentĂ© ou le frĂ©quentent. On ne peut alors dire de la douzaine de personnalitĂ©s politiques citĂ©es en introduction qu’elles pratiquent de gaitĂ© de coeur la transhumance.

                A l’instar de bien des leaders politiques ayant pignon sur rue, Chairman a un dĂ©faut caractĂ©riel connu : la gestion chaotique des ambitions. C’est, du reste, ce qui avait fait perdre au Mlc et Ă  l’Un le gouvernorat de la ville de Kinshasa et de la province du Bas-Congo. Dans son milieu, il se dit qu’il n’avait voulu entendre personne, surtout aucune objection.

                Or, un leader avisĂ©, c’est celui qui sait consulter, qui se met Ă  l’Ă©coute des siens. De sorte que la communautĂ© se sente coresponsable du succĂšs si succĂšs il y a, mais aussi de l’Ă©chec, si Ă©chec il y a.

     

    Faites comme les Burkinabé : chassez-le du parti !

               

                De tristes événements de Bangui en 2002 aux non moins tristes événements de Kinshasa en 2008, Jean-Pierre Bemba, laisse-t-on entendre, imposait pratiquement sa volonté.

                Aussi, a-t-il connu non seulement l’exil, mais en plus le procĂšs en cours Ă  la Cpi. Il a ruinĂ©, au sens propre comme au sens figurĂ©, l’espoir des membres de son parti, des membres de sa famille biologique et de sa famille Ă©largie, voire du personnel de son groupe industriel et commercial.

                Les militants, qui ne cotisent d’ailleurs rien pour faire fonctionner le parti, de mĂȘme que les analystes et les chroniqueurs politiques peuvent qualifier les “transhumants” de traĂźtres, de taupes etc., mais l’Ă©vidence reste tĂȘtue : Bemba ne sait pas gĂ©rer les ambitions des siens. Il n’a jamais su le faire mĂȘme quand il Ă©tait Ă  la tĂȘte de Scibe-ZaĂŻre.

                Au final – et c’est un proche de Thomas Luhaka qui le rĂ©vĂšle – “FidĂšle Babala (prĂ©venu devant la CPI), Alexis Lenga et Jacques Lungwana Ă©taient tous candidats ministres, de mĂȘme que la petite sƓur de Jean-Pierre Bemba, la nommĂ©e Françoise Bemba. Leur colĂšre Ă  l’endroit du SG du MLC dĂ©coulerait de leur absence de la liste du gouvernement“.

                Cet Ă©pisode n’est pas sans rappeler celui de l’Udps, l’un des partis qui souffrent terriblement de la mauvaise gestion des ambitions. QualifiĂ©e Ă  tort de fille aĂźnĂ©e de l’Opposition, l’Udps a vu 33 des 41 dĂ©putĂ©s Ă©lus sur sa liste oser dĂ©fier Etienne Tshisekedi en s’en allant siĂ©ger Ă  l’AssemblĂ©e nationale qualifiĂ©e d’”illĂ©gitime”, au motif que cette institution est issue des “Ă©lections frauduleuses”. Parmi les dĂ©putĂ©s frondeurs se trouve, hĂ©las !, une parente du lider maximo.

                L’enseignement Ă  tirer est que le parti politique se crĂ©e pour conquĂ©rir, exercer et conserver le pouvoir d’Etat. Si, d’aventure, vous vous trouvez dans un parti qui ne veut pas conquĂ©rir le pouvoir ou, s’il le conquiert, il ne veut pas l’exercer, ou encore, s’il l’exerce, il ne veut pas le conserver  au profit de sa communautĂ©, alors ne vous arrĂȘtez Ă  vous indigner. Faites comme les BurkinabĂ© : chassez-le du parti !

                Si donc vous vous trouvez avec un leader qui gĂšre mal les ambitions de son Ă©quipe, il ne vous reste qu’Ă  faire ce que recommande la Bible : sortez de son milieu…

     

    Omer Nsongo die Lema

  • Ma part c’est combien?: la formule magique du Katanga…

    Ma part c’est combien?: la formule magique du Katanga…

    Moise-PrĂšs d’un million de tonnes de cuivre par an ! Jamais, ni durant l’époque coloniale ni sous le rĂšgne de Mobutu le Katanga n’avait atteint un tel record de production. Et cependant, dans la capitale du Katanga, l’atmosphĂšre est morose. Faute de contournement, d’immenses semi remorques, immatriculĂ©s en Zambie, au Zimbabwe, en Afrique du Sud, traversent le centre ville et les quartiers densĂ©ment peuplĂ©s dans un halo de poussiĂšre et de pollution. Ils transportent des ballots de minerais bruts, qui seront transformĂ©s hors des frontiĂšres, ou des produits chimiques hautement toxiques. « En cas d’accident, nous connaĂźtrons un Seveso Ă  la puissance dix » s’inquiĂšte un mĂ©decin expatriĂ© qui constate aussi une explosion de cancers affectant mĂȘme de enfants en bas Ăąge. Un ophtalmologue confirme : « Ă  cause de la poussiĂšre et de la pollution, nous assistons Ă  un multiplication de cancers de la rĂ©tine, entre autres chez les jeunes enfants
 »
    A la lisiĂšre de la ville, le site du Ruashi Ă©tait autrefois le domaine des creuseurs artisanaux. Des milliers d’hommes, Ă  mains nues, taillaient des galeries dans la terre meuble et en ramenaient des blocs striĂ©s de traĂźnĂ©es rouges et brillantes. Aux abords de la carriĂšre se pressaient les nĂ©gociants, les femmes proposaient des brochettes, des bananes plaintain. Au milieu d’une musique assourdissante, l’argent, par petites coupures ou grosses poignĂ©es, circulait de main en main et il n’était pas rare de rencontrer des Ă©tudiants qui finançaient leurs Ă©tudes en devenant creuseurs Ă  temps partiel. Ruashi aujourd’hui offre un paysage lunaire : la terre semble avoir Ă©tĂ© retournĂ©e par des mains de gĂ©ants, les derniers arbres ont disparu, quelques silhouettes furtives se faufilent encore sur les collines de terre fraĂźchement retournĂ©es, dans l’espoir d’en ramener quelque caillou nĂ©gligĂ© par les excavatrices gĂ©antes. Des gardes sud africains dĂ©fendent le site, des barbelĂ©s barrent l’horizon. Au volant de son taxi dĂ©glinguĂ©, Jacques se lamente : « les creuseurs ont Ă©tĂ© chassĂ©s et mĂȘme les sites qui avaient Ă©tĂ© lĂ©galement attribuĂ©s Ă  l’exploitation artisanale ont Ă©tĂ© cĂ©dĂ©s aux grandes compagnies miniĂšres
 Elles amĂšnent leurs propres travailleurs, originaires d’Afrique australe et pour nous il n’y a rien. »
    Depuis la signature des contrats chinois en 2007 et l’irruption des gĂ©ants de l’industrie miniĂšre, le Katanga connaĂźt un boom spectaculaire, mais la population n’en bĂ©nĂ©ficie guĂšre. Comment s’en Ă©tonner ? Le Congo est en passe d’ĂȘtre exclu de l’ITIE (Initiative pour la transparence des industries extractives) car 25 des principales sociĂ©tĂ©s miniĂšres de la place n’ont toujours pas pu prouver qu’elles payaient des impĂŽts !
    Certaines d’entre elles assurent qu’elles bĂ©nĂ©ficient d’exemptions aussi longtemps que leurs investissements n’ont pas Ă©tĂ© amortis, d’autres ont contournĂ© la loi en bĂ©nĂ©ficiant de complicitĂ©s politiques. « Ta kwangu ni ngapi ? », « ma part est de combien ? » VoilĂ  une phrase que tous connaissent par cƓur et qui a fini par ĂȘtre collĂ©e comme un surnom aux plus hautes autoritĂ©s de l’Etat
 Par ailleurs, le gouverneur du Katanga, MoĂŻse Katumbi Chapwe, ne cesse de rĂ©clamer que Kinshasa, au minimum, applique la loi qui prĂ©voit de rĂ©trocĂ©der aux autoritĂ©s provinciales 40% des taxes perçues dans la capitale. « L’an dernier, le Katanga a envoyĂ© Ă  Kinshasa trois milliards de dollars et il en a reçu trente en retour
 » assure un responsable qui tient Ă  rester discret, « c’est notre province qui finance la reconstruction du pays
 Voyez les pĂ©ages routiers : chaque camion qui franchit la frontiĂšre Ă  Kasumbalesa doit payer une taxe de 300 dollars, et chaque jour, ce sont 1500 camions qui se dirigent vers la Zambie et les ports de l’OcĂ©an Indien
Faites le compte
 »
    MoĂŻse Katumbi, le gouverneur du Katanga, est un personnage paradoxal : chacun sait que sa flotte de camions, heureusement appelĂ©e « Hakuna Matata » (pas de problĂšme) franchit, elle, les pĂ©ages sans rien dĂ©bourser, que l’homme politique est aussi un homme d’affaires avisĂ©, qui possĂšde des journaux Ă  sa dĂ©votion, une station de tĂ©lĂ©vision et une fortune personnelle se chiffrant en dizaines de millions de dollars. Mais nul ne lui en tient rigueur, bien au contraire : « puisqu’il est dĂ©jĂ  riche, il ne volera plus » disent les uns, tandis que d’autres soulignent combien « MoĂŻse » est un homme charismatique, qui adore les bains de foule et sait se montrer gĂ©nĂ©reux. Et tous les Lushois (habitants de Lubumbashi) de nous montrer avec fiertĂ© la route de l’aĂ©roport, Ă©largie et asphaltĂ©e de neuf, le robot « made in RDC » qui, comme Ă  Kinshasa rĂšgle la circulation du centre ville, les lotissements de luxe qui, du cĂŽtĂ© du Golf ou de l’hĂŽtel Karavia, abritent des nouveaux riches
En outre, le gouverneur est le « patron » de l’équipe de football locale, le Tout Puissant Mazembe, l’une des plus redoutables du continent. Aujourd’hui, en plus d’une aura qui dĂ©passe largement les frontiĂšres de sa province, MoĂŻse Katumbi apparaĂźt comme une victime : alors qu’il sĂ©journe Ă  l’étranger depuis deux mois, entre autres Ă  Londres, toutes les sources « bien informĂ©es » assurent qu’il aurait Ă©tĂ© empoisonnĂ© et que ses relations sont exĂ©crables avec le prĂ©sident Kabila depuis qu’il aurait exprimĂ© son opposition Ă  tout changement de constitution

    Hier membre de la majoritĂ© prĂ©sidentielle Ă  la tĂȘte de son parti, « SolidaritĂ© katangaise pour la dĂ©mocratie et le dĂ©veloppement » Me Muyambo nous reçoit dans une luxueuse villa qui domine un parking oĂč sont alignĂ©es des Hummer et autres 4x4de luxe. PassĂ© Ă  l’opposition, le bĂątonnier se dit « hostile Ă  l’idĂ©e d’un troisiĂšme mandat prĂ©sidentiel. Il est certain que le changement de la Constitution provoquera des troubles au Congo : la population, au Katanga comme ailleurs, dit non. » Selon lui, dans la perspectives de prochaines contestations, le pouvoir se durcit : « alors que j’avais affrĂ©tĂ© un avion privĂ© pour pouvoir aller tenir un meeting Ă  Mbuji Mayi, au KasaĂŻ oriental, c’est le Ministre de l’IntĂ©rieur lui-mĂȘme qui, depuis Kinshasa, a ordonnĂ© Ă  l’appareil de faire demi-tour. »
    Le dĂ©saveu de l’avocat est partagĂ© par l’opinion : alors que le Katanga est considĂ©rĂ© comme le fief Ă©lectoral, la « base » du prĂ©sident Kabila , nous n’y avons rencontrĂ© personne, ni dans la rue ni dans les milieux intellectuels, qui soutienne l’idĂ©e d’une reconduction du chef de l’Etat aprĂšs 2016. Pourquoi ? Ici aussi, la formule magique revient « de combien est ma part ? » et chacun, exemples ou rumeurs Ă  l’appui, Ă©numĂšre les propriĂ©tĂ©s du « chef » et de sa famille dans la province : une ferme sur la route de Kasumbalesa, l’acquisition d’un domaine de 26.000 hectares Ă  proximitĂ© de la rĂ©serve naturelle des Kundelungu, la transformation d’Ankoro, lieu d’origine de la famille Kabila, en « petit Gbadolite » katangais dotĂ© d’un aĂ©roport flambant neuf, des participations dans les innombrables stations service qui ponctuent chaque carrefour de Lubumbashi. Tenues par des Somaliens, elles fournissent le carburant des vĂ©hicules privĂ©s mais aussi des innombrables groupes Ă©lectrogĂšnes qui tentent de compenser les coupures d’électricitĂ© et autres dĂ©lestages quotidiens.
    Le boom minier, l’abattage des arbres, la multiplication des gĂ©nĂ©ratrices sont en passe de modifier le climat gĂ©nĂ©ralement tempĂ©rĂ© de Lubumbashi, situĂ©e Ă  800 mĂštres d’altitude : en pleine saison des pluies, le thermomĂštre est montĂ© Ă  42 degrĂ©s. Sur le plan politique, la capitale du cuivre est tout aussi chaude : chacun assure que s’il devait s’avĂ©rer que « MoĂŻse » a bel et bien Ă©tĂ© empoisonnĂ©, les explosions de colĂšre seront inĂ©vitables. « Le Burkina, ce sera ici », proclame un Ă©tudiant, taximan Ă  ses heures


    Colette Braeckman

  • OIF : les couacs du sommet de Dakar, une ombre sur la diplomatie africaine de la France

    OIF : les couacs du sommet de Dakar, une ombre sur la diplomatie africaine de la France

    francophonieProblĂšmes de protocole, dĂ©clarations de François Hollande jugĂ©es humiliantes par certains chefs d’État du continent et surtout, Ă©lection d’une non-Africaine Ă  la tĂȘte de l’OIF. Retour sur un sommet qui laissera des traces dans les rapports entre l’Afrique et la France.

    Il y eut bien sĂ»r les louanges unanimes Ă  l’Ă©gard d’Abdou Diouf, qui a engrangĂ© les hommages de ses pairs du dĂ©but Ă  la fin de l’Ă©vĂ©nement. Mais le XVe sommet de l’OIF qui s’est tenu du 29 au 30 novembre Ă  Dakar, a aussi engendrĂ© quelques dĂ©sagrĂ©ments parmi les dĂ©lĂ©gations africaines, traditionnellement chouchoutĂ©es mais qui, cette annĂ©e, sont reparties de Dakar non sans amertume.

    Premier impair, vis-vis de l’Union africaine (UA). Le jour de l’ouverture, alors que seize chefs d’État ou dignitaires doivent se succĂ©der Ă  la tribune pour y lire leur discours, le prĂ©sident en exercice de l’UA, le Mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, se trouve relĂ©guĂ© en deuxiĂšme partie de cĂ©rĂ©monie, derriĂšre la directrice gĂ©nĂ©rale de l’Unesco, la Bulgare Irina Bokova. FroissĂ©, il renonce Ă  son discours.

    Mais pour les chefs d’État africains prĂ©sents Ă  Dakar, la principale fausse note du sommet est venue de trois petites phrases nichĂ©es dans le discours de François Hollande : ” […] ce qu’a fait le peuple burkinabĂš doit faire réflĂ©chir ceux qui voudraient se maintenir a la tĂȘte de leur pays en violant l’ordre constitutionnel. Parce que ce sont les peuples qui dĂ©cident. Ce sont les Ă©lections qui permettent de savoir qui est lĂ©gitime et qui ne l’est pas.”

    Mécontentement
 en coulisses

    S’ils n’en laissent rien paraĂźtre officiellement, plusieurs chefs d’État ou de dĂ©lĂ©gation potentiellement visĂ©s par l’allusion ne dissimulent pas, en coulisses, leur mĂ©contentement. Congo-Brazzaville, Djibouti, RDC, GuinĂ©e-Équatoriale, Rwanda, Tchad, Togo… Le clan des mĂ©contents n’apprĂ©cie pas de recevoir cette leçon de gouvernance venue de Paris, a fortiori lors de la session inaugurale d’un sommet couvert par 800 journalistes venus du monde entier.

    FidĂšle Ă  son franc-parler coutumier, le Rwanda, la ministre des Affaires Ă©trangĂšres rwandaise, Louise Mushikiwabo, lance un pavĂ© dans la mare dĂšs le lendemain, dĂ©nonçant sur France 24 un procĂ©dĂ© “inĂ©lĂ©gant”. Loin des camĂ©ras, plusieurs dĂ©lĂ©gations africaines viendront lui tĂ©moigner leur soutien. “Ça fait deux fois qu’un prĂ©sident français vient humilier l’Afrique sur son sol, Ă  Dakar, tempĂȘte un ministre d’Afrique centrale. De quelle lĂ©gitimitĂ© peut se prĂ©valoir un chef d’État dont la cote de popularitĂ© dans son pays ne dĂ©passe pas 12% pour venir donner des leçons au continent?” “La rĂ©action de votre ministre est lĂ©gitime, assurent les reprĂ©sentants d’une autre dĂ©lĂ©gation africaine Ă  leurs homologues rwandais. Mais de notre cĂŽtĂ©, on n’a pas osĂ© dĂ©noncer ouvertement le discours de Hollande.”

    Le discours de François Hollande a Ă©galement fait tousser l’Ivoirien Alassane Ouattarra, qui a obtenu de changer la rĂ©solution du sommet sur la crise au Burkina. “Saluons” la transition est devenu “prenons acte de” la transition. Et la mention de la “charte de la transition”, qu’il estimait dangereuse car remettant potentiellement en cause les “institutions”, a Ă©tĂ© supprimĂ©e. Quant au mouvement Y’en a marre, hier fer de lance de la fronde anti-Abdoulaye Wade lorsque l’ex-prĂ©sident sĂ©nĂ©galais dĂ©cidait de briguer un troisiĂšme mandat au mĂ©pris d’une Constitution qu’il avait lui-mĂȘme fait adopter, il juge le discours prĂ©sidentiel “dĂ©placĂ©”.

    “C’est une tentative de rĂ©cupĂ©ration des luttes de libĂ©ration de la jeunesse africaine, qui, du SĂ©nĂ©gal au Burkina, a obtenu gain de cause par ses propres moyens, sans l’aide des grandes chancelleries occidentales, estime Fadel Barro, co-fondateur du mouvement. Nous appelons les jeunes du continent Ă  se dĂ©tourner de ce genre de discours, qui rappelle celui de François Mitterrand Ă  La Baule, pour se concentrer sur leurs propres luttes. Ce n’est pas l’Occident qui viendra nous sauver.”

    “Les jeux Ă©taient faits”

    Enfin, parmi le clan des déçus du sommet, les dĂ©lĂ©gations qui soutenaient l’un ou l’autre des quatre candidats africains en lice n’ont guĂšre apprĂ©ciĂ© de se voir ravir le trĂŽne d’Abdou Diouf, jusque-lĂ  chasse gardĂ©e du continent, par la candidate canadienne. “La France n’a rien fait pour aider l’Afrique Ă  parvenir Ă  un consensus”, dĂ©plore un candidat malheureux. “Les jeux Ă©taient faits, analyse un ministre d’Afrique centrale. Paris misait sur la division africaine, et les Africains sont tombĂ©s dans le panneau.” Alors que certains de ces pays Ă©taient prĂȘts Ă  tenter leur chance au vote, le prĂ©sident français aura pesĂ© de tout son poids pour reconduire une dĂ©signation par consensus qui, pour la premiĂšre fois, s’est retournĂ©e contre l’Afrique. “Je trouve surprenant que la France ait laissĂ© ce poste Ă©chapper Ă  l’Afrique, analyse le Mauricien Jean Claude de l’Estrac. Et je ne suis pas sĂ»r que cela soit dans son intĂ©rĂȘt.”

    À l’arrivĂ©e, avec une quinzaine de dĂ©lĂ©gations africaines sur vingt-huit froissĂ©es, contrariĂ©es, voire courroucĂ©es, le XVe sommet de l’OIF pourrait bien laisser des sĂ©quelles dans la diplomatie africaine de François Hollande.

    ________

    Mehdi Ba, Ă  Dakar

    Jeuneafrique.

  • “Appel Ă  soulĂšvement des populations” :  F. Hollande : bavure de Dakar, bavure de trop !

    “Appel Ă  soulĂšvement des populations” :  F. Hollande : bavure de Dakar, bavure de trop !

    joseph-kabila-abdou-diouf-francois-hollande-et-alassane-ouatara-Seule l’histoire dira si l’instruction – car c’en est une – donnĂ©e aux populations africaines de s’inspirer de l’exemple burkinabĂ© pour en finir avec leurs “Blaise CompaorĂ©” figurait dans le texte originel de son discours ou s’il s’agit d’une improvisation dans l’envolĂ©e oratoire observĂ©e lors de la cĂ©rĂ©monie d’ouverture du XV° Sommet de l’Oif Ă  Dakar le samedi 29 novembre 2014. Car, aprĂšs le sommet de Kinshasa oĂč il s’est montrĂ© insolent Ă  l’Ă©gard du chef d’Etat hĂŽte, le prĂ©sident français a crevĂ© cette fois-ci les limites de la biensĂ©ance en mettant Ă  mal Macky Sall, d’autant plus qu’il atteint dans leur dignitĂ© les invitĂ©s de son homologue sĂ©nĂ©galais. Pour rappel, ce n’est pas l’Oif qui invite les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres. C’est le Chef de l’Etat hĂŽte. En plus, la “prĂ©fĂ©rence” portĂ©e Ă  MichaĂ«l Jean au poste de secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’institution francophone, au grand dam des Africains, est de nature Ă  refroidir les relations Afrique-France. Le XVI° sommet prĂ©vu Ă  Madagascar pourrait mĂȘme en faire les frais. On ne voit pas des tĂȘtes couronnĂ©es africaines y participer si François Hollande s’y prĂ©sentait. A moins de recourir encore Ă  la sagesse d’Abdou Diouf…

                 Avec 13 % dans le sondage – baisse de popularitĂ© jamais enregistrĂ©e dans l’histoire de la VĂšme RĂ©publique pour un chef d’Etat français – F. Hollande peut se rĂ©jouir d’avoir accru son audience auprĂšs de certaines forces politiques et sociales d’Afrique, en mĂȘme temps qu’il dresse contre lui d’autres forces politiques et sociales, mĂ©contentes de sa façon d’aborder les questions sensibles du continent noir.

                On le savait cassant (mĂȘme pour ses proches du Parti socialiste), mais sa “sortie” de Dakar s’est rĂ©vĂ©lĂ© une bavure. Une grosse bavure. Simplement parce que la tradition veut qu’Ă  l’occasion d’un sommet comme celui-lĂ , il soit prĂ©vu deux rencontres. La publique pour arrondir les angles, la privĂ©e, pour les aiguiser.

                Or, Ă  Dakar hier, comme Ă  Kinshasa avant-hier, François Hollande s’est prĂ©sentĂ© en “prĂ©fet de discipline”. RĂ©sultat : plusieurs chefs d’Etat – mĂȘme parmi ceux qui lui sont proches – ont quittĂ© le SĂ©nĂ©gal prĂ©cipitamment. Bon nombre n’ont pris part ni Ă  la dĂ©signation du nouveau secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’Oif, ni Ă  la cĂ©rĂ©monie de clĂŽture du sommet. MĂȘme s’il ne l’a pas manifestĂ© ouvertement, Macky Sall n’a certainement pas apprĂ©ciĂ© cette prestation. Tournant quasiment en dĂ©rision Blaise CompaorĂ©, François Hollande a sĂ»rement choquĂ© son homologue sĂ©nĂ©galais, tout comme Alassane Ouattara qui sera parmi les premiers Ă  repartir Ă  Abidjan. ” Les Africains n’ont pas de leçons Ă  recevoir“, a-t-il dĂ©clarĂ©. Autre fait significatif : Macky Sall a dĂ» se dĂ©placer seul avec François Hollande au cimetiĂšre des tirailleurs sĂ©nĂ©galais massacrĂ©s Ă  Dakar en 1944 alors que, de retour de France aprĂšs la 2Ăšme Guerre mondiale, ces soldats rĂ©clamaient leurs droits. Au nombre de ces tirailleurs, relĂšvent les Historiens, des Africains originaires de plusieurs pays subsahariens. Autre fait tout aussi significatif : la rĂ©action d’Alpha CondĂ©, prĂ©sident guinĂ©en pourtant proche de Hollande. Dans une interview Ă  Rfi lundi 1er dĂ©cembre 2014, il n’a voulu commentĂ© ni le cas Blaise ComparaorĂ©, ni la rĂ©vision constitutionnelle, ni la position de Denis Sassou Nguesso aprĂšs l’Ă©limination du candidat Henri Lopes. MĂȘme Alain JuppĂ©, interviewĂ© le mardi 2 dĂ©cembre, a dĂ©plorĂ© la “formulation” utilisĂ©e.   

     

    Et si Kinshasa, Brazza, Luanda, Kigali, Kampala brûlaient instantanément ?

     

                Quelle mouche a alors piquĂ© le chef de l’Etat français pour en arriver Ă  pareil gĂąchis ? Serait-ce le retour sur la scĂšne politique d’un certain Nicolas Sarkozy, portĂ© la veille du sommet de Dakar Ă  la prĂ©sidence de l’Ump et, de ce fait, candidat potentiel Ă  la prĂ©sidentielle 2017, prĂȘt Ă  lui rappeler son “Moi, PrĂ©sident…“?

                Ce qui est au moins prĂ©visible, c’est qu’ayant peu de chances de s’offrir un second mandat (d’ailleurs bon nombre de membres de son parti prĂ©fĂšrent ne pas le voir rempiler), il dĂ©couvre dans l’Afrique le seul continent oĂč il peut “investir” pour sa survie politique. Il entend se crĂ©er, lui aussi, son “rĂ©seau” avec personnalitĂ©s politiques dont il sera le parrain. Et rĂ©putĂ©e terre de tous les opportunismes (donc de tous les opportunistes), la RDC s’y prĂȘte. On le voit avec les “fĂ©licitations” envoyĂ©es Ă  Hollande-Le-TĂ©mĂ©raire. On espĂšre, Ă  Kinshasa, que si jamais ça barde, l’ElysĂ©e fera exactement ce qu’il fait au Mali et en Rca.

                Seulement voilĂ  : on ne voit raisonnablement pas comment l’ElysĂ©e s’en sortirait en cas d’un mouvement spontanĂ© brĂ»lant Ă  la fois Kinshasa, Brazzaville, Luanda, Kigali et Kampala, sous l’effet du fameux “printemps africain” parti d’Ouagadougou. Il faut plutĂŽt admettre qu’au final, c’est la carte de la rĂ©gion inflammable des Grands-Lacs qui serait redessinĂ©e, avec comme premiĂšre victime la RDC, pays sur lequel continue de peser (lisez exercer) le fameux droit de prĂ©emption reconnu en France Ă  Berlin 1885.

     

    Ce n’est pas une “prophĂ©tie”, mais…

     

                Croisons alors les doigts pour (nous) Ă©viter ce sort. Car le sort qui guette l’Oif est, dĂ©sormais, celui d’un dĂ©samour qui ne pourrait que plaire aux AmĂ©ricains (ils en rĂȘvent depuis l’aube des indĂ©pendances africaines) et les Chinois (qui accroissent des conquĂȘtes).

                En clair, sous François Hollande, la France – qui perd dĂ©jĂ  de gros investissements en terre africaine – risque d’en perdre davantage d’autant plus qu’ils ne se laisseront pas marcher sur les pieds, les chefs d’Etat et de gouvernement dont les populations sont visĂ©es directement ou indirectement par ASD (Appel Ă  SoulĂšvement de Dakar).

                Ce n’est pas une “prophĂ©tie”, mais on assistera de moins en moins, d’ici Ă  2017, Ă  des visites de chefs d’Etat africains Ă  Paris. L’un des signaux forts, on le vivra Ă  l’occasion du sommet sur le Climat prĂ©vu en 2015 dans la capitale française. François Hollande risque de compter sur les doigts de la main des collĂšgues africains qui feront ce dĂ©placement. A moins d’avoir la sagesse de rĂ©activer, sur ces entrefaites, les bons offices d’un certain Abdou Diouf,  pas du tout content non plus d’avoir vu sa fĂȘte de retraite gĂąchĂ©e par un ex-collĂšgue, entrĂ© dans l’Histoire comme ordonnateur des soulĂšvements populaires. 

                La bavure de Dakar – il faut bien l’admettre – est celle de trop !

               

    Omer Nsongo die Lema

  • RDC : une sociĂ©tĂ© malade de ses politiciens et de son Ă©lite

    RDC : une société malade de ses politiciens et de son élite

    Les Parlemenataires Congolais en plein debat pour adoption
    Les Parlemenataires Congolais en plein debat pour adoption

    -Freddy Matungulu Mbuyamu Ilankir a Ă©tĂ© ministre de l’Économie, des Finances, et du Budget de la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo (avril 2001-fĂ©vrier 2003).

    J’accuse et je crie ma rĂ©volte, au nom de tous les congolais de la majoritĂ© silencieuse; de ces compatriotes mĂ©ritants, indignĂ©s et déçus, qui ne comprennent plus ce qui se passe chez nous en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo et sont Ă  la recherche lĂ©gitime de nouvelles façons d’ĂȘtre, d’agir, et d’exister. Tous ces nombreux congolais du nord au sud, de l’est Ă  l’ouest, ceux de l’intĂ©rieur et ceux de l’extĂ©rieur, qui pensent que la dignitĂ©, l’excellence et la dĂ©mocratie peuvent aussi ĂȘtre congolais. Ma rĂ©volte entend honorer la mĂ©moire de toutes les victimes de la tragĂ©die congolaise, de mĂȘme que la bravoure de ces compatriotes de grande rĂ©fĂ©rence, d’hier et d’aujourd’hui, qui ont excellĂ© dans leurs domaines professionnels ou ont dit non Ă  la compromission pour que vive la nation congolaise de Kasumbalesa Ă  Gbadolite, et de Boma Ă  Aru, en passant par Kinshasa et Goma.

    La sociĂ©tĂ© congolaise est malade ; malade de ses politiciens, malade de son Ă©lite, malade de ses antivaleurs. Le Congo plus beau qu’avant dont nous rĂȘvons devient chaque jour plus lointain qu’avant. Je dĂ©nonce notre sociĂ©tĂ© si avariĂ©e qui ne crĂ©e finalement plus que de la corruption, de la mĂ©fiance, de l’hostilitĂ© mutuelle et de la misĂšre. Je dĂ©nonce la destruction de notre nation par ceux qui transforment l’homme congolais en ĂȘtre passif, mallĂ©able et corvĂ©able Ă  souhait, privĂ© du sentiment d’avoir de la valeur.

    AprĂšs chaque victoire dĂ©cisive sur l’ennemi, les plus vaillants de nos officiers militaires, nos hĂ©ros, sont systĂ©matiquement et impunĂ©ment Ă©liminĂ©s, fauchĂ©s comme de l’herbe inutile. Au nom de tous les sans voix, je dĂ©nonce ces forfaitures !

    Je dénonce ce débat faux et anachronique sur la révision et le référendum constitutionnels

    Je dĂ©nonce cette â€˜â€™Ă©lite’’ intellectuelle et politique qui affectionne les titres d’Honorable et d’Excellence, mais qui chaque jour se dĂ©shonore en excellant dans toutes les vilĂ©nies, absolument toutes, pour parvenir au sommet d’une hiĂ©rarchie sociale devenue nausĂ©abonde ou s’y maintenir Ă  tout prix, en entretenant la dĂ©tresse et la dĂ©shumanisation de notre sociĂ©tĂ© dĂ©semparĂ©e.

    Je dĂ©nonce ces dirigeants politiques qui, aprĂšs avoir exclu le peuple du processus de dĂ©signation de ses reprĂ©sentants, mettent toute leur Ă©nergie Ă  vanter une croissance Ă©conomique sans pain pour l’homme de la rue, dont ils sont en rĂ©alitĂ© les seuls vrais bĂ©nĂ©ficiaires visibles.

    Je dĂ©nonce ce dĂ©bat faux et anachronique sur la rĂ©vision et le rĂ©fĂ©rendum constitutionnels ; rĂ©fĂ©rendum que leurs Excellences n’auraient jamais osĂ© envisager si le principe d’un scrutin transparent et Ă©quitable Ă©tait acquis.

    J’appelle la majoritĂ© silencieuse de notre peuple et l’ensemble de la communautĂ© internationale au nĂ©cessaire sursaut en faveur de la RĂ©publique. À la jeunesse congolaise, Ă  juste titre si frustrĂ©e, je rappelle que, comme l’a dĂ©montrĂ© celle du Burkina Faso, chaque gĂ©nĂ©ration a le choix entre trahir et accomplir sa mission, et que si celui qui lutte peut perdre, celui qui ne lutte pas a dĂ©jĂ  tout perdu !

    En tant que peuple, nous, congolais, avons la responsabilitĂ© collective de forger le chemin qui nous mĂšnera Ă  ce Congo plus beau qu’avant,  pourvoyeur d’harmonie et de prospĂ©ritĂ© pour la majoritĂ© dĂ©sireuse de travailler dans le respect des lois de la RĂ©publique. Ce chemin ne nous sera pas donnĂ©. Notre devoir sacrĂ© est de le tailler, au besoin dans la pierre, en  levant nos fronts longtemps courbĂ©s !
    Jeuneafrique

  • Portrait: les mille et une facettes de Blaise CompaorĂ©

    Portrait: les mille et une facettes de Blaise Compaoré

    blaise-compaore--Alors que son pays se remet lentement des journĂ©es de braise de fin octobre/dĂ©but novembre, l’ancien prĂ©sident burkinabĂš a posĂ© ses valises Ă  Yamoussoukro. Retour sur quelques-unes des facettes mĂ©connues du dernier « baobab » d’Afrique de l’Ouest.

    De Yamoussoukro, oĂč il a trouvĂ© refuge aprĂšs son dĂ©part prĂ©cipitĂ© de Ouagadougou, Blaise CompaorĂ© doit se mordre les doigts ! Faute d’avoir Ă©coutĂ© ceux qui, comme certains de ses proches et mĂȘme son Ă©pouse ivoirienne, Chantal Terrasson de FougĂšres, lui conseillaient d’abandonner son projet fou de rĂ©vision constitutionnelle, il est tombĂ©, comme une mangue mĂ»re. Avec une foule en colĂšre massĂ©e aux abords de son palais, il a prĂ©fĂ©rĂ© fuir avant d’ĂȘtre exfiltrĂ© en CĂŽte d’Ivoire – suprĂȘme injure pour un ex-officier rĂ©volutionnaire au nationalisme chevillĂ© au corps – Ă  bord d’aĂ©ronefs français. Pitoyable sortie de scĂšne d’un homme naguĂšre sĂ»r de son fait, calculateur et cynique, que rien, ni les tentatives de putsch, ni les mutineries, encore moins les manifestations de rue, ne semblait jusque-lĂ  pouvoir Ă©branler.

    Tout Ă  ses rĂȘves d’omnipotence rĂ©gionale et Ă  sa quĂȘte frĂ©nĂ©tique du prix Nobel de la paix, il en a oubliĂ© ses propres ouailles, l’usure du temps, le ras-le-bol grandissant tout comme l’aspiration irrĂ©pressible des nouvelles gĂ©nĂ©rations Ă  davantage de libertĂ©. Tel un bateau ivre, le rĂšgne de celui qui Ă©tait encore, il y a peu, le champion toutes catĂ©gories des chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest pour le nombre d’annĂ©es passĂ©es au pouvoir, a sombrĂ©.

    Défait par la génération internet et les rastas

    Vingt-sept ans de pouvoir, c’est, aprĂšs tout, un bail ! Lorsqu’il accĂ©da de maniĂšre tonitruante Ă  la tĂȘte de son pays, le 15 octobre 1987, Ronald Reagan Ă©tait encore aux affaires. Depuis, George H. Bush, Bill Clinton, George W. Bush et Barack Obama se sont succĂ©dĂ© Ă  la Maison Blanche. Comme si le temps s’était figĂ© au « pays des hommes intĂšgres », le locataire du palais de Kosyam est restĂ© le mĂȘme. Il a fallu la dĂ©termination de la jeunesse urbaine prĂ©cĂ©dĂ©e d’un travail de fourmi de l’opposition pour abattre le dernier baobab ouest-africain et mettre un terme Ă  son entĂȘtement de rĂ©viser la Constitution pour s’installer durablement au pouvoir. La gĂ©nĂ©ration internet, les geeks, les rappeurs et autres rastas, notamment du « Balai citoyen », ont rĂ©ussi lĂ  oĂč bien des politiques et des mutins ont Ă©chouĂ© ces derniĂšres annĂ©es.

    Curieux destin que celui de ce sexagĂ©naire ayant subtilement troquĂ© le treillis contre un costume europĂ©en, au point de faire oublier son corps d’origine. Si l’essentiel de sa carriĂšre militaire et politique et les rĂšglements de comptes sanglants et autres assassinats qui ont accompagnĂ© son ascension au pouvoir et Ă©maillĂ© son rĂšgne sont connus, les multiples facettes et casquettes du personnage le sont moins.

    Tous les journalistes qui l’ont rencontrĂ© un jour vous le diront : Blaise CompaorĂ© ne rĂ©pondait jamais Ă  une question ou mĂȘme Ă  une banale interpellation en public sans marquer un temps d’arrĂȘt. Dans son regard, l’on devinait alors qu’il retournait la question dans sa tĂȘte, sans doute pour en extirper les piĂšges Ă©ventuels. Constamment sur le qui-vive, le tombeur de Thomas Sankara flairait le guet-apens en tout et partout.

    Une coterie de journalistes à sa dévotion

    A son actif, un cĂŽtĂ© « gros bosseur » qui lui valait l’admiration mĂȘme de certains de ses adversaires. Aussi, un bon carnet d’adresses et une connaissance surprenante des rouages complexes de l’économie et des finances ouest-africaines.

    SĂ©rieux, ponctuel, il pouvait donner un rendez-vous deux mois Ă  l’avance et le respecter, Ă  un quart d’heure prĂšs. Sur la gĂ©opolitique rĂ©gionale, il n’y avait pas meilleur expert, tout comme d’ailleurs sur les pĂ©ripĂ©ties de la politique intĂ©rieure française. Il entretenait de solides rĂ©seaux oĂč se croisaient, parfois sans se rencontrer, des officiers, des Ă©lus de droite comme de gauche, des notables francs-maçons et des universitaires français conquis par son calme, une certaine rigueur martiale, une bonne connaissance des dossiers, une discrĂ©tion Ă  toute Ă©preuve et, ce qui ne gĂąchait rien, une gĂ©nĂ©rositĂ© Ă  la mesure des finances de son pays.

    AprĂšs des dĂ©buts calamiteux, en termes d’image, le tombeur de Thomas Sankara avait, sur les conseils d’un ami journaliste, appris Ă  utiliser le tĂ©lĂ©prompteur lors de ses prestations tĂ©lĂ©visĂ©es. Il avait mis en place, en Afrique et bien au-delĂ , une coterie de journalistes, bien souvent de la gent fĂ©minine, qu’il alimentait rĂ©guliĂšrement en informations, et qui, en retour, Ă©taient autant d’informateurs apprĂ©ciĂ©s. On l’aura compris : Blaise CompaorĂ© savait se faire du bien en faisant du bien. Et c’est bien ce que lui reprochent ses contempteurs.

    « Un monstre froid ». Ainsi le qualifia un jour, en privĂ©, une dame envoyĂ©e au Burkina par une maison d’édition pour nouer un premier contact en vue de rĂ©diger une biographie Ă  sa gloire. Sans doute pour l’impressionner, Blaise CompaorĂ© emmena la visiteuse dans son domaine de ZiniarĂ©, Ă  35 kilomĂštres au nord-est de Ouagadougou, oĂč le maĂźtre de cĂ©ans vit entourĂ© d’animaux sauvages. Commentaires de cette derniĂšre, aprĂšs avoir observĂ© son hĂŽte contemplant d’un regard jouissif un fauve du domaine dĂ©vorant une biche prise au piĂšge : « Cet homme n’a pas peur du sang. Pire, cela l’excite. C’est un monstre froid ».

    Surnom : Ravaillac

    « Blaise CompaorĂ© a un sĂ©rieux problĂšme avec le sommeil », analyse par ailleurs au tĂ©lĂ©phone le docteur Mamadou Mbodji, psychologue Ă  Dakar. SurnommĂ© « Ravaillac », du nom de l’assassin du roi de France Henri IV, par ses camarades de lycĂ©e, CompaorĂ© eut en effet cette rĂ©ponse dĂ©sarmante lorsqu’on lui demanda en octobre 1987 de s’expliquer sur la liquidation de Sankara qu’il considĂ©rait, la veille encore, comme « son frĂšre » : « Je ne sais pas ce qui s’est passĂ©, je dormais », lĂącha-t-il.

    Lorsque, deux ans plus tard, deux autres de ses frĂšres d’armes et proches compagnons, le commandant Jean-Baptiste Lingani et le capitaine Henri Zongo, furent sommairement exĂ©cutĂ©s, Blaise CompaorĂ© se trouvait de nouveau dans les bras de MorphĂ©e. « Comment est-ce possible qu’un tribunal rĂ©volutionnaire condamne Ă  mort et fasse exĂ©cuter les numĂ©ros 2 et 3 du rĂ©gime sans que l’on ne rĂ©veille le numĂ©ro 1 pour prendre son avis prĂ©alable ? », risqua, Ă  l’époque, un journaliste. « Ce sont des jeunes qui assument parfaitement leurs responsabilitĂ©s », s’entendit rĂ©pondre l’intĂ©ressĂ©. Nouvelle question : « Dans ce cas, ils peuvent bien se lever un matin, se saisir du numĂ©ro 1, le juger et le faire exĂ©cuter ». RĂ©plique du prĂ©sident du Faso : « Ah non ! Ce sont des jeunes Ă©veillĂ©s et responsables  »

    « L’invocation du sommeil permet Ă  Blaise CompaorĂ© de dĂ©gager sa propre responsabilitĂ©, de se dĂ©fausser sur autrui, en l’espĂšce sur sa garde rapprochĂ©e, comme si celle-ci pouvait agir Ă  sa guise et Ă  son insu, poursuit le psychologue dakarois Mamadou Mbodji. Mais quand il a fallu modifier la Constitution ou lorsqu’il a fallu prendre la poudre d’escampette, il a curieusement oubliĂ© de dormir. »

    La hantise des autres chefs d’Etat

    RedoutĂ© au pays, « Ravaillac » donnait des sueurs froides Ă  nombre de ses pairs d’Afrique qui en Ă©taient arrivĂ©s Ă  considĂ©rer le Burkina comme un sanctuaire de la subversion. Si Kadhafi tenait CompaorĂ© en haute estime, le BĂ©ninois Thomas Yayi Boni s’en mĂ©fiait comme de la peste. Tout comme les prĂ©sidents malien, Ibrahim Boubacar KeĂŻta, et nigĂ©rien, Mahamadou Issoufou qui critiquaient mezza voce sa duplicitĂ© dans la crise au Sahel. Le Mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz voyait sa main (et celle du trĂšs redoutĂ© conseiller officieux de CompaorĂ©, Moustapha Chaffi) derriĂšre les multiples tentatives de putsch dans son pays. Le Congolais Denis Sassou Nguesso le tenait Ă  distance depuis l’assassinat de Sankara.

    Depuis sa prison nĂ©erlandaise, oĂč il attend d’ĂȘtre jugĂ©, l’ancien prĂ©sident ivoirien Laurent Gbagbo tient pour le principal responsable de ses malheurs un homme qui, Ă  ses yeux, poussait le cynisme jusqu’à proposer ses services aprĂšs avoir lui-mĂȘme allumĂ© l’incendie : « J’ai largement versĂ© la dĂźme pour avoir la paix, mais cela n’a semble-t-il pas suffi », confia Gbagbo Ă  l’auteur de ces lignes lors d’un entretien en juin 2013 Ă  La Haye. Le GuinĂ©en Alpha CondĂ© faisait ami-ami avec Blaise CompaorĂ© tout en maintenant constamment un Ɠil ouvert.

    Il Ă©tait aussi la bĂȘte noire des dirigeants successifs du Nigeria, le « gĂ©ant » de l’Afrique de l’Ouest, Ă  cause de son activisme dans le conflit libĂ©rien et de son soutien avĂ©rĂ© au chef de guerre Charles Taylor. Et, mĂȘme Alassane Ouattara, son gĂ©nĂ©reux hĂŽte du moment qui lui doit en partie son pouvoir, a failli, au dĂ©but des annĂ©es 1990, faire les frais d’un coup fourrĂ© de ce grand cynique. C’est, du moins, ce que racontait en privĂ©, il y a quelques annĂ©es encore, l’ancien prĂ©sident ivoirien Henri Konan BĂ©diĂ©, hĂ©raut de l’idĂ©ologie « ivoiritaire » et longtemps pourfendeur de Ouattara, avant de rallier ce dernier sur le tard.

    BĂ©diĂ© rapporte ainsi qu’avant de nommer Ouattara aux postes de « coordonnateur de l’action gouvernementale », puis de Premier ministre de la CĂŽte d’Ivoire, en 1990, HouphouĂ«t envoya des Ă©missaires Ă  Ouagadougou pour s’enquĂ©rir de l’avis de Blaise CompaorĂ©. Laconique et Ă©nigmatique, comme Ă  son habitude, le BurkinabĂš demanda alors aux missi dominici si le prĂ©sident HouphouĂ«t-Boigny connaissait suffisamment Ouattara pour lui confier de telles responsabilitĂ©s. De retour Ă  Abidjan, les envoyĂ©s spĂ©ciaux auraient rĂ©sumĂ© au « Vieux » l’avis de CompaorĂ© en ces termes : « Il pense que vous devriez vous en mĂ©fier ».

    Depuis la chute de leur tĂ©nĂ©breux et belliqueux voisin, inutile de dire que, de Cotonou Ă  Nouakchott, en passant par Accra, Niamey, Conakry et Bamako, on a poussĂ© un « ouf » de soulagement. Seuls Alassane Ouattara et le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale ivoirienne, Guillaume Soro, qui ont offert l’asile Ă  CompaorĂ©, semblent porter le deuil. Loin des riches lambris et dorures du palais de Kosyam, le cercle des amis, rĂ©els ou supposĂ©s, a commencĂ© Ă  se rĂ©trĂ©cir.


    A Ouaga, comme naguĂšre Ă  Dakar ?

    Beaucoup d’analystes ont comparĂ©, ces derniers temps, les Ă©vĂ©nements du Burkina Faso Ă  la situation qui prĂ©valait au SĂ©nĂ©gal avant la prĂ©sidentielle de 2012. Le raccourci est quelque peu rapide.

    Certes, il y a quelques similitudes. La premiĂšre se trouve dans la maniĂšre dont la population, Ă  Dakar comme Ă  Ouagadougou, s’est soulevĂ©e contre des projets jugĂ©s pĂ©rilleux pour la dĂ©mocratie.

    En 2011, les Sénégalais se sont ainsi opposés à une transmission dynastique du pouvoir entre le président Abdoulaye Wade et son fils, Karim Wade. Devant la furie populaire, le projet a été abandonné.

    Au Burkina, Blaise CompaorĂ© a, un moment, caressĂ© le rĂȘve d’une succession adelphique (d’un frĂšre Ă  un autre) au profit de son jeune frĂšre, François CompaorĂ©. Face Ă  une forte opposition, y compris dans sa propre famille politique, le projet a Ă©tĂ© enterrĂ©.

    LĂ  s’arrĂȘtent les similitudes

    Wade a Ă©tĂ© dĂ©mocratiquement Ă©lu en mars 2000 face au sortant, Abdou Diouf. On peut certes contester la dĂ©cision, mais, douze ans plus tard, sa candidature a Ă©tĂ© bel et bien validĂ©e par le Conseil constitutionnel. Et ce sont les Ă©lecteurs qui, en mars 2012, lui ont indiquĂ© la porte de sortie en Ă©lisant Macky Sall. Ce n’est pas la rue qui l’a fait partir.

    CompaorĂ©, lui, est arrivĂ© au pouvoir Ă  la faveur d’un coup d’état. Il l’a perdu, vingt-sept ans plus tard, aprĂšs un soulĂšvement populaire au terme duquel l’armĂ©e s’est emparĂ©e du pouvoir.

    F.K.

    RFI

  • La fuite inespĂ©rĂ©e de Blaise CompaorĂ©

    La fuite inespérée de Blaise Compaoré

    blaise-La fuite inespérée de Blaise Compaoré

    Une rĂ©volution populaire au goĂ»t d’inachevĂ©

    La démocratie politique est-elle un échec africain ou un échec francophone ?

    ‘‘Un fruit ne tombe que lorsqu’il est mĂ»r. Mais, devant l’ouragan ou la tempĂȘte de l’histoire, mĂ»r ou pas mĂ»r, il tombe quand mĂȘme’’, le MarĂ©chal-tyran Joseph DĂ©sirĂ© Mobutu Sese Seko du ZaĂŻre, AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de l’Organisation des Nations unies, New York, le 4 octobre 1973

    Par Joël Asher Lévy-Cohen *

    Le capitaine de PĂŽ, Blaise CompaorĂ©, est parti ! Qui l’eĂ»t cru ? ÉvĂ©nement Incroyable pour certains, impensable pour d’autres, l’homme fort d’Ouagadougou est prĂ©cipitamment Ă©jectĂ© de l’histoire. Comme il y est vraiment entrĂ©, diraient certaines mauvaises langues. Par la petite porte. En effet, Blaise CompaorĂ© voulait, Ă  tout prix, modifier les dispositions de l’article 37 de la Constitution qui est, pourtant, la Loi fondamentale du pays pour se reprĂ©senter, Ă  n’en plus finir, Ă  la tĂȘte du Burkina Faso. Malheureusement, en sourd politique, celui-ci n’a pas daignĂ© Ă©couter sa propre population. Il n’a pas voulu prĂȘter l’oreille aux revendications lĂ©gitimes de l’ensemble de ses compatriotes qui rejetaient, contre vents et marĂ©es, l’éventualitĂ© de le voir dominer au sommet du pouvoir d’État aprĂšs vingt-sept ans de rĂšgne.

    Oui, Blaise CompaorĂ© est parti. Oui, un dinosaure de la politique africaine vient de s’effacer Ă  jamais. La queue entre les pattes. Celui-ci n’a vraiment pu rien faire ni rĂ©sister Ă  la soif de dĂ©mocratie inextinguible, bruyamment exprimĂ©e par la trĂšs grande majoritĂ© de ses Concitoyens. Ce dĂ©part on ne peut plus hĂątif et surtout chaotique – son mandat aurait Ă©chu en 2015 – signifie donc que, ce jeudi 30 octobre 2014, le Continent africain a sans doute vĂ©cu un moment historique. Il a Ă©crit ses plus belles pages d’histoire. Ceci Ă  double titre.

    D’abord, Blaise CompaorĂ© est le seul chef de l’État de l’ancienne Haute-Volta, ex-colonie française, qui a rĂ©gnĂ© le plus longtemps. En cinquante-quatre ans d’indĂ©pendance, il sera indubitablement restĂ© la moitiĂ© de ce temps au sommet du pouvoir. Ce qui est en soi un record absolu. Ensuite, ce dirigeant fort controversĂ© prĂ©sente cette particularitĂ© et cette singularitĂ© d’avoir renversĂ© brutalement son propre frĂšre d’armes : l’illustrissime capitaine ‘‘Thomas Sankara’’, dit le ‘‘Che Guevara africain’’.

    Force est de souligner que le progressiste Thomas Sankara qui a trouvĂ© violemment la mort Ă  la suite d’un coup d’État militaire orchestrĂ© par la France et mis en Ɠuvre par Blaise CompaorĂ© – aidĂ©, Ă  cet effet, par la CĂŽte d’Ivoire de FĂ©lix HouphouĂ«t-Boigny –, est en rĂ©alitĂ© le prĂ©curseur du socialisme de type bolivarien en Afrique. Ceci bien entendu avant mĂȘme l’avĂšnement politique du VĂ©nĂ©zuĂ©lien ‘‘Hugo Chavez de Frias’’. En effet, le ‘‘Che africain’’ avait pratiquement initiĂ©, au milieu des annĂ©es quatre-vingts, une ‘‘rĂ©volution populaire’’ substantiellement fondĂ©e sur une utilisation rationnelle des ressources humaines et matĂ©rielles pour garantir un dĂ©veloppement Ă©conomique autonome – et non point intĂ©grĂ© comme c’est le cas au sein de la Françafrique –, et surtout, asseoir un systĂšme de progrĂšs social qui rend rĂ©ellement justice aux masses laborieuses.

    Il sied de noter que la vision politique et idĂ©ologique de Thomas Sankara qui affirme une vĂ©ritable indĂ©pendance des pays africains, irritait au plus haut point bon nombre de puissants intĂ©rĂȘts Ă©trangers dont l’Afrique s’avĂšre incontestablement le marchepied. Pour ajouter la crainte aux inquiĂ©tudes exprimĂ©es par l’ancienne puissance coloniale, cette rĂ©volution sankariste avait trĂšs largement trouvĂ© Ă©cho auprĂšs d’une jeunesse africaine autant dĂ©sƓuvrĂ©e que dĂ©shĂ©ritĂ©e. Aussi faisait-elle littĂ©ralement peur Ă  maints rĂ©gimes fantoches de la sous-rĂ©gion, d’ailleurs confrontĂ©s Ă  un public juvĂ©nile rĂ©cusant le nĂ©ocolonialisme et son bras armĂ©, la tyrannie.

    Certes, le capitaine Blaise CompaorĂ© est parti. Le peuple trĂ©saille de joie d’autant plus qu’il a rĂ©ussi historiquement un grand coup. Il a rĂ©ussi un vĂ©ritable coup de force en tant que souverain primaire. Celui-ci a mis fin au verrouillage de la dĂ©mocratie politique par l’installation des dirigeants ou chefs d’État inamovibles. Il importe, Ă  cet Ă©gard, de souligner que l’institutionnalisation des prĂ©sidences Ă  vie en tant que stratĂ©gie de confiscation du pouvoir est, en rĂ©alitĂ©, un vestige du parti unique, une survivance du Parti-État, d’ailleurs, globalement rejetĂ© dans les annĂ©es quatre-vingt-dix lors de la fameuse pĂ©riode de confĂ©rences nationales ayant pour objet la mise en place des sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques en Afrique.

    Toutefois, le dĂ©part prĂ©cipitĂ©, hĂątif de CompaorĂ© laisse un goĂ»t sans nul conteste amer. L’amertume est telle que l’on ne peut vraiment pas s’empĂȘcher de se poser la question de savoir si cette rĂ©volution populaire n’a pas Ă©tĂ©, sans autre forme de procĂšs, confisquĂ©e par l’armĂ©e…

    Au Burkina Faso, ce scĂ©nario n’est pas sans rappeler les contradictions du printemps arabe en Égypte et en Tunisie. Dans ces deux États, les forces armĂ©es ont accaparĂ© le pouvoir en lieu et place des manifestants. Il y a lieu d’admettre que la plupart des dignitaires militaires burkinabĂš qui ont suspendu les institutions politiques et gouvernementales, sont pratiquement tous, sans exception, des crĂ©ations artificielles du mĂȘme Blaise CompaorĂ© que la population civile ne voudrait plus voir jouer un quelconque rĂŽle politique. Imaginez alors la suite…

    À cet Ă©gard, il convient de mentionner que le Tunisien Zine el-Abidine Ben Ali n’a jamais Ă©tĂ© rĂ©ellement arrĂȘtĂ© ni mĂȘme inquiĂ©tĂ©. Il se la coule douce en Arabie saoudite ! En Égypte, le vieux lion Hosni Moubarak a Ă©tĂ©, certes, mis aux arrĂȘts. Cependant, tout le monde sait trĂšs bien que le RaĂŻs vit dans une prison dorĂ©e.

    Ce qui est sĂ»r et certain, l’Afrique dĂ©mocratique est corrompue. Elle est trĂšs malade. Celle-ci est vraiment moribonde dans les pays d’extraction francophone. Hormis les deux exemples bĂ©ninois et sĂ©nĂ©galais dans lesquels l’alternance politique est pratiquement devenue une culture et le respect de la constitution une tradition, la majoritĂ© des anciennes possessions coloniales françaises sont, Ă  n’en pas douter, verrouillĂ©es par des systĂšmes qui dĂ©tournent impunĂ©ment le processus Ă©lectoral. Ces rĂ©gimes se servent des scrutins non pas pour transformer le quotidien de leurs populations respectives mais plutĂŽt pour se recycler, se blanchir Ă  n’en plus finir et, pourquoi pas, se perpĂ©tuer.

    Ceci est vrai du Cameroun de Paul Biya, du Tchad d’Idriss DĂ©by Itno, de la RĂ©publique du Congo-Brazzaville de Denis Sassou Nguesso, du Togo de Faure Gnassingbe et du Gabon d’Ali Ben Bongo. Sans compter la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo dont les dirigeants Ă©tatiques et gouvernementaux sans doute inspirĂ©s par la RĂ©publique populaire de Chine ne croient nullement aux vertus de la dĂ©mocratie en termes de dĂ©veloppement Ă©conomique de la CollectivitĂ© publique et de progrĂšs social du Citoyen.

    Pourtant, en Afrique anglophone, l’alternance dĂ©mocratique ou le changement de garde politique s’opĂšre gĂ©nĂ©ralement sans aucun problĂšme majeur. Tout n’y est pas rose. Ce serait Ă©videmment faux de dire que les couacs n’existent pas. À cet effet, l’exemple kenyan peut ĂȘtre mis en relief. Y compris celui du Lesotho en Afrique australe qui connaĂźt de temps en temps des remous politiques. Il faut Ă©galement inclure dans cette liste des moutons noirs, la Gambie du prĂ©sident-guĂ©risseur Yahya Jammeh qui prĂ©tend soigner les malades ayant contractĂ© le sida, avec une potion magique Ă  base de banane. Toutefois, dans la trĂšs grande majoritĂ© des États qui se rĂ©clament de cette obĂ©dience linguistique, il y a au moins la volontĂ© dĂ©mocratique de respecter les suffrages populaires. C’est-Ă -dire : ‘‘la souverainetĂ© du Peuple’’.

    Ceci est vrai de l’Afrique du Sud, du Botswana, de la Zambie, de la Tanzanie, du Malawi, de la Namibie, du Nigeria, de la Sierra Leone, du Ghana. Les deux seules exceptions qui confirment sans hĂ©siter la rĂšgle dĂ©mocratique d’alternance et de changement de garde politique, sont bien entendu l’Ouganda de Yoweri Kaguta Museveni dont l’élection prĂ©sidentielle est souvent sujette Ă  caution et le Zimbabwe de Robert Gabriel Mugabe qui s’accroche au pouvoir aprĂšs avoir dĂ©truit tous les fondamentaux de son indĂ©pendance en commençant par la monnaie. Qui dit mieux ?

    • JoĂ«l Asher LĂ©vy-Cohen

    Journaliste indépendant

  • Dans la tĂȘte de Joseph Kabila

    Dans la tĂȘte de Joseph Kabila

    Kabila-main-À deux ans de la prĂ©sidentielle, le dĂ©bat sur la rĂ©forme de la Constitution se rĂ©sume Ă  une seule question : Joseph Kabila pourra-t-il briguer un troisiĂšme mandat ? À la division de la classe politique rĂ©pond le silence du prĂ©sident.

    Pour qui circule de jour sur le boulevard du 30-Juin, ruban triomphal de deux fois quatre voies oĂč se croisent SUV dernier cri et autobus urbains flambant neufs importĂ©s d’Égypte, l’avenir paraĂźt radieux. Pour qui se perd la nuit tombĂ©e dans les embouteillages de la Chine populaire, oĂč les minicars hors d’Ăąge bondĂ©s d’humanitĂ© s’engluent dans des hordes de piĂ©tons trompe-la-mort le long de l’axe menant Ă  l’aĂ©roport de Ndjili, le prĂ©sent a les couleurs de la souffrance.

    Entre espoir et misĂšre, ainsi vit Kinshasa, cette capitale-Moloch qui engloutit les hommes et les richesses d’un pays-continent dont elle concentre un septiĂšme de la population – soit dix millions d’habitants – sans rien lui rendre en retour. Pour les hommes de pouvoir, tenir Kinshasa suffit, mais jamais cette prĂ©hension n’aura paru aussi contrastĂ©e qu’en ce mois d’octobre 2014, Ă  deux ans tout juste de la prochaine Ă©lection prĂ©sidentielle.

    D’un cĂŽtĂ©, les rĂ©sultats macroĂ©conomiques affichĂ©s par la RDC ont rarement Ă©tĂ© aussi prometteurs : un taux de croissance de 7 % Ă  8 %, une inflation maĂźtrisĂ©e, des salaires rĂ©guliĂšrement payĂ©s et bancarisĂ©s pour les fonctionnaires et les militaires, des grands travaux d’infrastructure et des projets agro-industriels Ă  foison, une monnaie stable, des centaines d’Ă©coles et de centres de santĂ© en chantier et un impressionnant plan de rĂ©forme globale de la gouvernance issu de l’accord-cadre pour la paix de 2013, dont les engagements ont, en thĂ©orie, valeur impĂ©rative.

    Depuis la dĂ©faite des rebelles du M23 dans l’Est il y a un an, la situation sĂ©curitaire s’est elle aussi globalement amĂ©liorĂ©e. MĂȘme si les sĂ©cessionnistes du chef “GĂ©dĂ©on” Kyungu Mutanga poursuivent leurs exactions dans le triangle de la mort de l’Est katangais et que les rebelles rwandais et ougandais sĂ©vissent toujours dans les deux Kivus, le nombre, le pouvoir d’attraction et la capacitĂ© de nuisance des milices prĂ©datrices se sont singuliĂšrement rĂ©duits, Ă  mesure que s’accroĂźt le niveau opĂ©rationnel des forces armĂ©es nationales.

     


    Le boulevard du 30-Juin, Ă  Kinshasa.
    © Gwenn Dubourthoumieu / Pour J.A

    C’est ce cĂŽtĂ© plein de la bouteille congolaise que met systĂ©matiquement en valeur la promotion gouvernementale, tout en reconnaissant, y compris au plus haut niveau, qu’il est impossible de cacher le cĂŽtĂ© vide : un dĂ©ficit social encore bĂ©ant et un climat d’apnĂ©e politique, dont la premiĂšre consĂ©quence est de tĂ©taniser les opĂ©rateurs privĂ©s, tout en gelant les investissements extĂ©rieurs.

     

    Vers une quatriÚme République congolaise?

    Cette impression d’attente quelque peu paralysante provient de deux facteurs qui s’emboĂźtent l’un dans l’autre comme une poupĂ©e russe. Le premier, c’est ce fameux gouvernement de cohĂ©sion aux allures d’ArlĂ©sienne, attendu depuis la clĂŽture des concertations nationales il y a un an.

    Conforme Ă  la configuration de l’espace politique congolais, oĂč aucune formation n’est en mesure de dĂ©tenir seule la majoritĂ© absolue au Parlement, il est censĂ© regrouper partis du pouvoir et de l’opposition modĂ©rĂ©e afin de prĂ©parer une sĂ©quence Ă©lectorale apaisĂ©e, dĂ©bouchant sur la prĂ©sidentielle de 2016.

    AnnoncĂ© pour le 15 septembre, il ne sort toujours pas car sa configuration est liĂ©e Ă  la fois Ă  la publication d’un agenda prĂ©cis des multiples consultations Ă  venir – depuis les communales, les provinciales et les sĂ©natoriales jusqu’aux lĂ©gislatives et Ă  la prĂ©sidentielle Ă  tour unique – et Ă  l’omniprĂ©sence d’un second facteur, capital, envahissant, celui de l’Ă©ventuelle rĂ©forme de la Constitution.

    Le Tout-Kinshasa politique retient son souffle, car nul n’ignore qu’au-delĂ  d’amĂ©nagements techniques relativement mineurs et peu sujets Ă  polĂ©mique – tels la nationalitĂ© ou le mode de scrutin – c’est bien la possibilitĂ© ou non pour le prĂ©sident Joseph Kabila de se reprĂ©senter pour un troisiĂšme mandat de cinq ans qui est en jeu. Parmi les proches du chef de l’État, la suppression de l’article 220 de la loi fondamentale adoptĂ©e par rĂ©fĂ©rendum en dĂ©cembre 2005 n’est plus un dossier tabou.

    Argument de fond : afin que la RD Congo puisse poursuivre son dĂ©veloppement, prĂ©server son intĂ©gritĂ© territoriale et renforcer sa sĂ©curitĂ©, le fils du Mzee doit pouvoir rester aux commandes au-delĂ  de la prescription des “deux mandats et puis s’en va”, considĂ©rĂ©e comme verrouillĂ©e par la Constitution. Fruit d’une situation d’exception (les accords de Sun City mettant fin Ă  la guerre civile), cette derniĂšre a d’ailleurs vocation Ă  ĂȘtre remplacĂ©e, via un rĂ©fĂ©rendum populaire, par une autre, donnant naissance Ă  la quatriĂšme RĂ©publique congolaise.

    Si la trame est identique, chacun joue ici sa partition. Le ministre des MĂ©dias et porte-parole du gouvernement, Lambert Mende Omalanga, estime, dans une tribune publiĂ©e sur le site jeuneafrique.com qu’”il n’est pas intellectuellement honnĂȘte d’affirmer que la possibilitĂ© pour un dirigeant de solliciter plus de deux mandats serait assimilable ipso facto Ă  l’avĂšnement d’un systĂšme non dĂ©mocratique”.


    Évariste Boshab, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du PPRD
    © Gwenn Dubourthoumieu / Pour J.A

    SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Parti du peuple pour la reconstruction et la dĂ©mocratie (PPRD), leader de la majoritĂ© prĂ©sidentielle – lequel revendique deux millions de militants -, Évariste Boshab assure de son cĂŽtĂ© que le souverain primaire qui a dĂ©cidĂ© de verrouiller l’article 220 “peut aussi bien le dĂ©verrouiller”. “À moins de croire, ajoute-t-il, que le peuple n’est pas suffisamment Ă©clairĂ© pour opĂ©rer des choix consĂ©quents, autant s’en tenir Ă  sa sanction que de dĂ©cider Ă  sa place.”

    “S’ingĂ©rer en RD Congo, c’est ouvrir la boĂźte de Pandore”

    PrĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale, originaire du Bandundu, le juriste Aubin Minaku insiste de son cĂŽtĂ© sur le fait que Joseph Kabila est le seul Ă  maĂźtriser l’Ă©quilibre d’un pays toujours volatil, alors que le sĂ©curocrate Kalev Mutond, patron de l’Agence nationale de renseignements, met en avant les piĂštres rĂ©sultats de la communautĂ© internationale chaque fois qu’elle a prĂ©tendu imposer ses propres rĂšgles dans les pays du Sud : “S’ingĂ©rer en RD Congo, c’est ouvrir la boĂźte de Pandore.”

     


    Aubin Minaku, prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale
    © Gwenn Dubourthoumieu / Pour J.A

    TrĂšs Ă  l’aise enfin dans son rĂŽle de voltigeur de pointe, le patron de presse Tryphon Kin-Kiey Mulumba, fondateur du Soft, ministre des TĂ©lĂ©coms et des Nouvelles Technologies, se veut encore plus explicite. Il a créé le club de rĂ©flexion Kabila DĂ©sir, dont le message s’adresse aussi bien Ă  une diaspora traditionnellement favorable Ă  l’opposition qu’aux Congolais de l’intĂ©rieur et dont l’antienne interprĂ©tĂ©e en lingala sur un rythme de rumba par la star Tshala Muana est sans Ă©quivoque : “Nous ne sommes pas encore rassasiĂ©s de toi Kabila, notre envie de toi n’est pas encore passĂ©e.”

    Le registre sur lequel opĂšre la garde rapprochĂ©e du chef emprunte largement Ă  une rĂ©currence de l’histoire du Congo indĂ©pendant : le nationalisme, la volontĂ© d’ĂȘtre enfin maĂźtre de son destin, de combattre l’impuissance et la mĂ©sestime de soi, de sortir une fois pour toutes de cette culture dĂ©bilitante de la prise en charge par le monde extĂ©rieur des maux qui minent le pays. Un peu Ă  part, mais Ă  part entiĂšre dans le carrĂ© des gardiens du temple kabiliste, se tient Augustin Matata Ponyo, 50 ans, Premier ministre depuis 2012. En sursis certes, car nul n’ignore que le futur gouvernement de cohĂ©sion nationale finira par se faire sans lui, mais toujours droit dans ses bottes.


    Le Premier ministre actuel, Augustin Matata Ponyo
    © Gwenn Dubourthoumieu / Pour J.A

    Dans le jardin qu’il a fait amĂ©nager en face de la primature, le long du fleuve, cet ancien cadre de la Banque centrale, originaire du Maniema, Ă©conomiste passĂ© par le ministĂšre des Finances, a fait Ă©riger les bustes de tous ses prĂ©dĂ©cesseurs depuis les gouverneurs gĂ©nĂ©raux belges jusqu’Ă  lui-mĂȘme, en passant par Lumumba, dont l’effigie trĂŽne Ă©galement dans son propre bureau. Mais il a, d’ores et dĂ©jĂ , rĂ©servĂ© pour son successeur un socle surmontĂ©… d’un point d’interrogation.

    Sa partition Ă  lui, c’est celle de l’excellence et de l’Ă©litisme. Au bureau avant l’aube, il convoque ses visiteurs dĂšs 6 heures du matin et ne dĂ©teste pas que cela se sache, fait Ă©valuer les performances des membres de son cabinet par les experts français de KPMG (“ceux qui ont moins de 55 % de taux de satisfaction sont Ă©cartĂ©s”), porte invariablement une cravate rouge, a refusĂ© de se faire Ă©lire dĂ©putĂ© “pour ne pas avoir Ă  siĂ©ger dans une telle assemblĂ©e” et n’hĂ©site pas Ă  s’opposer aux gĂ©nĂ©raux ou Ă  tel ou tel membre de la famille prĂ©sidentielle, en dĂ©licatesse avec les rĂšgles de la bonne gouvernance.

    Les bailleurs de fonds attribuent volontiers Ă  Matata, survivant du crash de l’avion qui coĂ»ta la vie Ă  l’Ă©minence grise Augustin Katumba Mwanke en fĂ©vrier 2012, la paternitĂ© des bons rĂ©sultats macroĂ©conomiques de la RD Congo – en oubliant un peu vite que ce technocrate, qui ne cache guĂšre le mĂ©pris que lui inspirent les jeux politiciens, n’est lĂ  que par la seule volontĂ© du prĂ©sident (ce qu’il reconnaĂźt d’ailleurs volontiers).


    Vital Kamerhe, ancien proche collaborateur du président
    © Vincent Fournier / Pour J.A

    La politique, une dĂ©fense d’intĂ©rĂȘts particuliers

    Les a-t-il trop laissĂ© dire ? C’est possible, car le Premier ministre n’a pas que des amis, surtout dans son propre camp. Et comme Ă  Kinshasa tout se retrouve instantanĂ©ment dans la rue, il est de notoriĂ©tĂ© publique que Matata et le ministre du Budget Daniel Mukoko Samba ne se parlent plus – ce dernier est d’ailleurs banni des rĂ©unions de cabinet Ă  la primature – et qu’un conflit sĂ©rieux l’oppose au prĂ©sident du Parlement, Aubin Minaku.

    Lorsque ce dernier a vu à la télévision un film sur les grands chantiers, dans lequel son rival semblait tirer un peu trop la couverture à lui, il en a aussitÎt fait part à Joseph Kabila. Lequel a dû convoquer le 7 octobre une réunion du bureau politique de la majorité présidentielle dans sa ferme de Kingakati, à 80 km de la capitale, au cours de laquelle chacun a vidé son sac.

    Pour l’occasion, face Ă  des hommes tous plus ĂągĂ©s que lui, le fils du Mzee s’est muĂ© en mwalimu (“instituteur”), gourmandant les uns et calmant les autres. Ce n’est un secret pour personne en effet que les fortes personnalitĂ©s de l’entourage du chef ne s’entendent guĂšre entre elles, le cas le plus Ă©trange Ă©tant celui de son propre conseiller spĂ©cial en matiĂšre de sĂ©curitĂ©, Pierre Lumbi, dont le parti, pourtant membre de la majoritĂ© prĂ©sidentielle, s’oppose Ă  toute rĂ©vision de la Constitution.

    Rien de nouveau dans ce constat certes, mais un impĂ©ratif : remettre de l’ordre dans la perspective de 2016. Face Ă  Joseph Kabila, dont le score au prĂ©cĂ©dent scrutin prĂ©sidentiel n’a pas atteint la barre des 50 %, se dresse l’autre moitiĂ© du Congo, celle qui vote pour une opposition composite, divisĂ©e, mais dĂ©terminĂ©e. Dans ce maquis de formations scissipares dont les leaders, de par leur comportement et leur positionnement changeants, rappellent chaque jour aux Congolais que la politique ici est d’abord la dĂ©fense d’intĂ©rĂȘts particuliers, se distinguent deux grands pĂŽles : celui qui s’est rĂ©solu Ă  collaborer avec le rĂ©gime en espĂ©rant qu’il tire pour lui les marrons du feu et celui dont l’obsession est de s’installer Ă  sa place. Ancien Premier ministre de Mobutu dans les annĂ©es 1980 et 1990, LĂ©on Kengo wa Dondo, 79 ans, est la figure rĂ©fĂ©rente du premier pĂŽle.

    L’actuel prĂ©sident du SĂ©nat, qui s’impatiente de voir ses poulains intĂ©grer le haras du gouvernement de cohĂ©sion nationale, prĂŽne une opposition “rĂ©publicaine” et modĂ©rĂ©e, avec un oeil sur sa propre candidature Ă  la prĂ©sidentielle – une perspective qu’il juge “prĂ©maturĂ©e”, maniĂšre de signifier qu’il ne l’exclut pas. Sa position dans le dĂ©bat sur la Constitution est toute en nuances : “Je suis contre une rĂ©vision du texte en vigueur, en particulier de l’article 220″, explique celui qu’un dazibao accrochĂ© au mur de son salon qualifie d’”icĂŽne”. “Maintenant, si le camp prĂ©sidentiel veut une autre Constitution, qu’il le dise clairement, nous en discuterons.” Toujours laisser une porte ouverte Ă  double battant, cĂŽtĂ© pouvoir comme cĂŽtĂ© opposition, ainsi est Kengo.

    InterrogĂ© sur un Ă©ventuel glissement du calendrier Ă©lectoral, hypothĂšse de rechange frĂ©quemment Ă©voquĂ©e Ă  Kinshasa et qui aurait pour consĂ©quence de repousser l’Ă©chĂ©ance suprĂȘme Ă  2018, voire au-delĂ , le natif de Libenge, sur les rives de l’Oubangui, rĂ©pond Ă  sa maniĂšre : “Le prĂ©alable impĂ©ratif Ă  toute Ă©lection, c’est un recensement sur la base duquel sera Ă©laborĂ© un nouveau fichier Ă©lectoral incontestĂ©.” Dans un pays de 2,3 millions de kmÂČ, peuplĂ© de 70 millions d’habitants, une telle opĂ©ration pourrait prendre deux, voire trois ans et ĂȘtre achevĂ©e Ă  temps, Ă  condition de la dĂ©marrer immĂ©diatement et d’en trouver le financement.

    Autant dire que, sans l’avouer, le trĂšs consensuel Kengo wa Dondo n’est fermĂ© Ă  aucune Ă©ventualitĂ©. rupture totale. Cette notion, finalement trĂšs bantoue, de la convivialitĂ© n’est en rien partagĂ©e au sein de l’autre pĂŽle, celui d’une opposition radicale en totale rupture avec le pouvoir. Difficile de s’y retrouver dans l’entrelacs mouvant des sigles et appellations de ceux dont le but essentiel est de “dĂ©gager” Joseph Kabila.

    À moins d’ĂȘtre initiĂ©, l’Ă©ventail formĂ© par sa soixantaine de partis ou associations de la sociĂ©tĂ© civile est en effet indĂ©chiffrable. Mieux vaut donc s’attacher aux personnes, chaque parti ou front Ă©tant en l’occurrence un regroupement rĂ©gional, voire familial, autour d’un entrepreneur politique. Jean-Pierre Bemba et Étienne Tshisekedi durablement hors-jeu, le premier pour crimes de guerre dans une cellule de la Cour pĂ©nale internationale et le second pour cause de grand Ăąge et de maladie dans un appartement bruxellois, place Ă  la nouvelle gĂ©nĂ©ration des anti-Kabila irrĂ©ductibles.

    >>> Lire auss: l’interview de FĂ©lix Tshisekedi


    FĂ©lix Tshisekedi qui fait partie du camp de l’opposition
    © Gwenn Dubourthoumieu / Pour J.A

    Du vibrionnant Vital Kamerhe, ancien “attaquant de pointe” polyglotte de Joseph Kabila passĂ© par la prĂ©sidence de l’AssemblĂ©e nationale avant de couper le cordon ombilical, au fils Ă  papa FĂ©lix Tshisekedi que sa maman aimerait tant voir succĂ©der au “lĂ­der mĂĄximo” Ă  la tĂȘte de l’historique Union pour la dĂ©mocratie et le progrĂšs social (UDPS), en passant par un autre “fils de”, Nzanga Mobutu, sans oublier l’homme d’affaires et ancien collaborateur du groupe pĂ©trolier ExxonMobil Martin Fayulu et une dizaine d’autres leaders, cette opposition-lĂ  ne communie que dans l’intransigeance : on ne touche pas Ă  la Constitution et Joseph Kabila Kabange – considĂ©rĂ© comme “illĂ©gitime” depuis la prĂ©sidentielle de 2011 – est priĂ© de faire ses valises dans deux ans.

    Destination, si l’on suit dans sa dĂ©marche passablement surrĂ©aliste le trio Tshisekedi-Kamerhe-Fayalu, qui a adressĂ© en juillet une demande en ce sens au Conseil de sĂ©curitĂ© de l’ONU : la Cour pĂ©nale internationale (CPI), pour “crimes contre l’humanitĂ©”, rien de moins. Tous, Ă©videmment, ne sont pas d’accord avec cette guerre Ă  outrance : Samy Badibanga, qui prĂ©side le groupe des dĂ©putĂ©s UDPS au Parlement (une participation aux institutions qui lui vaut d’ĂȘtre quasi excommuniĂ© par le clan Tshisekedi) juge ainsi “aberrant” ce recours Ă  la CPI et insiste au contraire pour qu’aprĂšs son dĂ©part du pouvoir Joseph Kabila soit nommĂ© sĂ©nateur Ă  vie et entourĂ© de toutes les garanties d’immunitĂ© nĂ©cessaires.


    Le cardinal Monsengwo
    © Gwenn Dubourthoumieu / Pour J.A

    Cet opĂ©rateur privĂ©, qui a montĂ© une belle affaire d’import-export entre Bruxelles et Kinshasa, plaide Ă©galement pour une direction collĂ©giale de son parti, seule Ă  mĂȘme de recoller les piĂšces du puzzle UDPS aprĂšs l’effacement de son fondateur. CompliquĂ©… cĂ©nacle. Pour fĂ©dĂ©rer cette opposition au sein de laquelle on retrouve tout et son contraire – patriotisme, xĂ©nophobie, nĂ©potisme, dĂ©mocratie, tribalisme, violence et non-violence – une autoritĂ© morale est apparue ces derniers mois, Ă  la fois masquĂ©e et omniprĂ©sente : le cardinal Laurent Monsengwo. Ce prĂ©lat de 75 ans, originaire du Bandundu et membre du cĂ©nacle fermĂ© des conseillers du pape François chargĂ© de rĂ©former la Curie romaine, a toujours Ă©tĂ© une Ă©minence trĂšs politique.

    L’archevĂȘque de Kisangani qui prĂ©sida la ConfĂ©rence nationale puis le Haut Conseil de transition au cours des annĂ©es 1990, l’homme qui fit plier Mobutu, a conservĂ© de cette pĂ©riode la nostalgie des faiseurs de rois et une dĂ©fiance Ă  l’Ă©gard de tout pouvoir qui n’aurait pas la bĂ©nĂ©diction de l’Église. Contrairement Ă  Kengo wa Dondo puis Ă  Jean-Pierre Bemba, qui tous deux eurent les faveurs du prĂ©lat, Joseph Kabila n’est pas catholique, mais fidĂšle de l’Église du Christ au Congo, d’obĂ©dience protestante, et son Ă©pouse, Olive, frĂ©quente les Églises du RĂ©veil.


    Olive Lembe Kabila, lors d’une marche pour les droits des femmes, en 2010.
    © Gwenn Dubourthoumieu / AFP

    Le couple n’est donc pas de ses ouailles, au point qu’il a pris le risque Ă  la mi-septembre de faire publier depuis Rome, via la confĂ©rence Ă©piscopale nationale du Congo, une lettre cinglante de dĂ©fiance Ă  l’encontre de tout projet de rĂ©forme de la Constitution, lue Ă  travers toutes les Ă©glises du pays. Un risque, car en dĂ©plaçant ainsi la chapelle du centre du village, le cardinal a fait ressurgir le vieux clivage est-ouest parmi les quelque 28 millions de catholiques du Congo : au Katanga, au Maniema, dans les deux Kivus et dans une partie de l’Oriental, les Ă©vĂȘques et les fidĂšles grognent.

    “Monsengwo est en rupture avec tout ce qui, de prĂšs ou de loin, apparaĂźt comme liĂ© Ă  Kabila”, commente un diplomate en poste Ă  Kinshasa. “Il entretient ainsi des rapports exĂ©crables avec le prĂ©sident de la Commission Ă©lectorale nationale indĂ©pendante, l’abbĂ© Malu Malu, pourtant son subordonnĂ© et qui le lui rend bien. En rĂ©alitĂ©, le principal opposant au prĂ©sident, c’est lui. Mais son parti, l’Église, n’est pas uni.” Une mĂ©diation entre les deux hommes est-elle encore possible ? Le prĂ©sident congolais Denis Sassou Nguesso, dont le cardinal est trĂšs proche, serait dit-on disponible pour la mener. Joseph Kabila est, comme on l’imagine, demandeur.

    Mais celui qui fut en son temps le premier Africain docteur en Ă©critures saintes Ă  Rome et dont le frĂšre, François Kaniki, sĂ©nateur proche de Kengo wa Dondo, est un homme d’affaires prospĂšre de la capitale, est un personnage altier et parfois immodeste qui, il y a dix ans, dĂ©clarait que son pouvoir ecclĂ©siastique Ă©tait “mille fois supĂ©rieur au pouvoir politique”. Il n’Ă©tait alors qu’archevĂȘque. DĂ©sormais revĂȘtu de la pourpre cardinalice, Laurent Monsengwo Pasinya, l’enfant de MongobelĂ©, a dĂ» multiplier ce chiffre par dix…


    Joseph Kibula et John Kerry, secrĂ©taire d’Etat amĂ©ricain, au Palais de la nation, en mai 2014.
    © Saul Loeb / AFP

     

    La communautĂ© internationale sur la mĂȘme ligne que l’opposition congolaise

    Reste, bien sĂ»r, la communautĂ© internationale, acteur majeur en RD Congo depuis l’indĂ©pendance, pour le meilleur comme pour le pire. À y voir de loin, elle est sur la mĂȘme ligne que l’opposition : on ne touche pas Ă  la Constitution. À y regarder de plus prĂšs, les choses sont moins simples. Certes, les AmĂ©ricains et en particulier l’envoyĂ© spĂ©cial de Barack Obama pour la rĂ©gion des Grands Lacs, Russ Feingold, ancien sĂ©nateur et archĂ©type de l’aile gauche du parti dĂ©mocrate, ne cachent pas leur dĂ©termination de voir Joseph Kabila se retirer du pouvoir Ă  l’issue de la prochaine Ă©lection.

    Les Britanniques et les Belges estiment eux aussi qu’on ne change pas les rĂšgles du jeu au milieu de la partie, mais ils y mettent les formes et se refusent Ă  faire de la RD Congo un cas d’Ă©cole. Les Français, eux, ne disent rien publiquement, mĂȘme s’ils partagent en off un souci identique. “Le prĂ©sident Hollande n’Ă©voque ce type de sujet avec ses pairs africains que lorsque ces derniers l’abordent en premier”, confie-t-on Ă  l’ÉlysĂ©e.

    RĂ©sultat : lors de la derniĂšre visite de Kabila Ă  Paris en mai, il a Ă©tĂ© question de Total, d’Air France, d’Orange ou de GDF-Suez beaucoup plus que de politique. ConfortĂ©s par la position de non-ingĂ©rence de la Chine, de l’Inde et du BrĂ©sil, encouragĂ©s par l’amorce d’un “front du refus” aux injonctions occidentales menĂ© par l’Afrique du Sud, l’Angola et l’Union africaine, les dirigeants congolais savent trĂšs bien que les immenses richesses de leur pays interfĂ©reront toujours avec les discours des Ă©trangers, y compris les plus radicaux.

    Ambassadeur itinĂ©rant trĂšs proche de Kabila, dont il est un peu le sherpa Ă  l’international, SĂ©raphin Ngwej vit presque quotidiennement cette Ă©trange schizophrĂ©nie diplomatique : “Ce que nos interlocuteurs disent le jour, ils ne le rĂ©pĂštent pas la nuit. Une fois les micros dĂ©branchĂ©s, le discours n’est plus le mĂȘme.”

    Il apparaĂźt ainsi de plus en plus Ă©vident que les partenaires occidentaux de la RD Congo pourraient s’accommoder d’un glissement du calendrier dĂ©mocratique, le temps d’Ă©tablir un nouveau recensement, le temps aussi de rĂ©unir les quelque 750 millions de dollars (plus de 590 millions d’euros) nĂ©cessaires au financement de la sĂ©quence Ă©lectorale.

    En ce mercredi 8 octobre, aprĂšs avoir inaugurĂ© une nouvelle aile du mythique Grand HĂŽtel, Joseph Kabila dĂ©cide de rentrer Ă  pied chez lui. SituĂ©e Ă  quelques centaines de mĂštres de lĂ , sur une petite presqu’Ăźle noyĂ©e de verdure et lĂ©chĂ©e par les eaux du fleuve nourricier, sa rĂ©sidence n’a rien du palais qu’habitait Mobutu. Un court de tennis, une piscine, quelques jeux de plein air pour Laurent-DĂ©sirĂ©, 6 ans, le cadet de la famille et un dispositif de sĂ©curitĂ© somme toute lĂ©ger par les temps qui courent.

    Joseph Kabila en route vers 2016

    À quoi pense-t-il, cet homme de 43 ans, alors qu’il marche sur le ruban de goudron ensoleillĂ©, entourĂ© de ses gardes du corps ? À la prĂ©diction du prophĂšte Simon Kimbangu, “l’envoyĂ© du Dieu tout-puissant”, le pape de Nkamba, rĂ©duit au silence par les colons et qui affirma un jour de la fin des annĂ©es 1940 que le quatriĂšme prĂ©sident du Congo libĂ©rĂ© serait un homme jeune et qu’il accomplirait des miracles ?

    À l’impossibilitĂ© de gouverner un pays-continent gangrenĂ© par des dĂ©cennies de mĂ©gestion Ă©rigĂ©e au niveau des beaux-arts et oĂč, toujours, quelque part, il se passe quelque chose de rĂ©prĂ©hensible que les ONG et les “nokos” blancs ne manqueront pas de relever, eux dont les convoitises ont fait tant de mal ? Ou, plus prosaĂŻquement, est-il en train de calculer les prochains Ă©pisodes de la stratĂ©gie combinatoire qui le conduira vers 2016 et peut-ĂȘtre au-delĂ  ?

    Il y a quelque chose d’asiatique autant que d’africain derriĂšre le masque impĂ©nĂ©trable de celui qui pratique la politique Ă  la maniĂšre d’un joueur de go. L’adversaire n’est pas pour lui un ennemi que l’on Ă©crase, mais une force que l’on encercle, que l’on paralyse, que l’on Ă©touffe. La gestion du temps et du silence joue ici un rĂŽle capital, et tant mieux si celui qui vous fait face de l’autre cĂŽtĂ© du tablier vous sous-estime – ce qui a longtemps Ă©tĂ© le cas.

    Quels que soient les signes avant-coureurs donnĂ©s par ses partisans dans le sens d’une candidature annoncĂ©e, laquelle pourrait ĂȘtre rendue possible dĂšs l’annĂ©e prochaine via un rĂ©fĂ©rendum sur la Constitution, que le camp prĂ©sidentiel n’envisage pas un instant de perdre, Joseph Kabila ne se prononcera donc sur ses propres intentions qu’au dernier moment – sans doute pas avant juin 2016, soit Ă  six mois de l’Ă©chĂ©ance officielle.

    À moins que tout bouge encore pour que rien ne change et que le calendrier dĂ©rape. Une seule chose est sĂ»re, en rĂ©alitĂ© : rien ne pourra se faire contre cet homme qui tient l’armĂ©e “utile”, contrĂŽle les provinces – y compris le riche Katanga dont le gouverneur, MoĂŻse Katumbi, a un pied de part et d’autre de l’Ă©chiquier politique – et commence Ă  se constituer un bilan prĂ©sentable tout en Ă©tant le seul Ă  pouvoir rĂ©unir les 30 millions de dollars (minimum) requis pour mener en RD Congo une campagne Ă©lectorale digne de ce nom. Rien sans lui, certes. Avec lui ? C’est une autre histoire, dont seuls les gĂ©nies du fleuve dĂ©tiennent la clĂ©.

    Par François Soudan
    Jeuneafrique