-à deux ans de la présidentielle, le débat sur la réforme de la Constitution se résume à une seule question : Joseph Kabila pourra-t-il briguer un troisiÚme mandat ? à la division de la classe politique répond le silence du président.
Pour qui circule de jour sur le boulevard du 30-Juin, ruban triomphal de deux fois quatre voies oĂč se croisent SUV dernier cri et autobus urbains flambant neufs importĂ©s d’Ăgypte, l’avenir paraĂźt radieux. Pour qui se perd la nuit tombĂ©e dans les embouteillages de la Chine populaire, oĂč les minicars hors d’Ăąge bondĂ©s d’humanitĂ© s’engluent dans des hordes de piĂ©tons trompe-la-mort le long de l’axe menant Ă l’aĂ©roport de Ndjili, le prĂ©sent a les couleurs de la souffrance.
Entre espoir et misĂšre, ainsi vit Kinshasa, cette capitale-Moloch qui engloutit les hommes et les richesses d’un pays-continent dont elle concentre un septiĂšme de la population – soit dix millions d’habitants – sans rien lui rendre en retour. Pour les hommes de pouvoir, tenir Kinshasa suffit, mais jamais cette prĂ©hension n’aura paru aussi contrastĂ©e qu’en ce mois d’octobre 2014, Ă deux ans tout juste de la prochaine Ă©lection prĂ©sidentielle.
D’un cĂŽtĂ©, les rĂ©sultats macroĂ©conomiques affichĂ©s par la RDC ont rarement Ă©tĂ© aussi prometteurs : un taux de croissance de 7 % Ă 8 %, une inflation maĂźtrisĂ©e, des salaires rĂ©guliĂšrement payĂ©s et bancarisĂ©s pour les fonctionnaires et les militaires, des grands travaux d’infrastructure et des projets agro-industriels Ă foison, une monnaie stable, des centaines d’Ă©coles et de centres de santĂ© en chantier et un impressionnant plan de rĂ©forme globale de la gouvernance issu de l’accord-cadre pour la paix de 2013, dont les engagements ont, en thĂ©orie, valeur impĂ©rative.
Depuis la dĂ©faite des rebelles du M23 dans l’Est il y a un an, la situation sĂ©curitaire s’est elle aussi globalement amĂ©liorĂ©e. MĂȘme si les sĂ©cessionnistes du chef “GĂ©dĂ©on” Kyungu Mutanga poursuivent leurs exactions dans le triangle de la mort de l’Est katangais et que les rebelles rwandais et ougandais sĂ©vissent toujours dans les deux Kivus, le nombre, le pouvoir d’attraction et la capacitĂ© de nuisance des milices prĂ©datrices se sont singuliĂšrement rĂ©duits, Ă mesure que s’accroĂźt le niveau opĂ©rationnel des forces armĂ©es nationales.

Le boulevard du 30-Juin, Ă Kinshasa.
© Gwenn Dubourthoumieu / Pour J.A
C’est ce cĂŽtĂ© plein de la bouteille congolaise que met systĂ©matiquement en valeur la promotion gouvernementale, tout en reconnaissant, y compris au plus haut niveau, qu’il est impossible de cacher le cĂŽtĂ© vide : un dĂ©ficit social encore bĂ©ant et un climat d’apnĂ©e politique, dont la premiĂšre consĂ©quence est de tĂ©taniser les opĂ©rateurs privĂ©s, tout en gelant les investissements extĂ©rieurs.
Vers une quatriÚme République congolaise?
Cette impression d’attente quelque peu paralysante provient de deux facteurs qui s’emboĂźtent l’un dans l’autre comme une poupĂ©e russe. Le premier, c’est ce fameux gouvernement de cohĂ©sion aux allures d’ArlĂ©sienne, attendu depuis la clĂŽture des concertations nationales il y a un an.
Conforme Ă la configuration de l’espace politique congolais, oĂč aucune formation n’est en mesure de dĂ©tenir seule la majoritĂ© absolue au Parlement, il est censĂ© regrouper partis du pouvoir et de l’opposition modĂ©rĂ©e afin de prĂ©parer une sĂ©quence Ă©lectorale apaisĂ©e, dĂ©bouchant sur la prĂ©sidentielle de 2016.
AnnoncĂ© pour le 15 septembre, il ne sort toujours pas car sa configuration est liĂ©e Ă la fois Ă la publication d’un agenda prĂ©cis des multiples consultations Ă venir – depuis les communales, les provinciales et les sĂ©natoriales jusqu’aux lĂ©gislatives et Ă la prĂ©sidentielle Ă tour unique – et Ă l’omniprĂ©sence d’un second facteur, capital, envahissant, celui de l’Ă©ventuelle rĂ©forme de la Constitution.
Le Tout-Kinshasa politique retient son souffle, car nul n’ignore qu’au-delĂ d’amĂ©nagements techniques relativement mineurs et peu sujets Ă polĂ©mique – tels la nationalitĂ© ou le mode de scrutin – c’est bien la possibilitĂ© ou non pour le prĂ©sident Joseph Kabila de se reprĂ©senter pour un troisiĂšme mandat de cinq ans qui est en jeu. Parmi les proches du chef de l’Ătat, la suppression de l’article 220 de la loi fondamentale adoptĂ©e par rĂ©fĂ©rendum en dĂ©cembre 2005 n’est plus un dossier tabou.
Argument de fond : afin que la RD Congo puisse poursuivre son dĂ©veloppement, prĂ©server son intĂ©gritĂ© territoriale et renforcer sa sĂ©curitĂ©, le fils du Mzee doit pouvoir rester aux commandes au-delĂ de la prescription des “deux mandats et puis s’en va”, considĂ©rĂ©e comme verrouillĂ©e par la Constitution. Fruit d’une situation d’exception (les accords de Sun City mettant fin Ă la guerre civile), cette derniĂšre a d’ailleurs vocation Ă ĂȘtre remplacĂ©e, via un rĂ©fĂ©rendum populaire, par une autre, donnant naissance Ă la quatriĂšme RĂ©publique congolaise.
Si la trame est identique, chacun joue ici sa partition. Le ministre des MĂ©dias et porte-parole du gouvernement, Lambert Mende Omalanga, estime, dans une tribune publiĂ©e sur le site jeuneafrique.com qu’”il n’est pas intellectuellement honnĂȘte d’affirmer que la possibilitĂ© pour un dirigeant de solliciter plus de deux mandats serait assimilable ipso facto Ă l’avĂšnement d’un systĂšme non dĂ©mocratique”.

Ăvariste Boshab, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du PPRD
© Gwenn Dubourthoumieu / Pour J.A
SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Parti du peuple pour la reconstruction et la dĂ©mocratie (PPRD), leader de la majoritĂ© prĂ©sidentielle – lequel revendique deux millions de militants -, Ăvariste Boshab assure de son cĂŽtĂ© que le souverain primaire qui a dĂ©cidĂ© de verrouiller l’article 220 “peut aussi bien le dĂ©verrouiller”. “Ă moins de croire, ajoute-t-il, que le peuple n’est pas suffisamment Ă©clairĂ© pour opĂ©rer des choix consĂ©quents, autant s’en tenir Ă sa sanction que de dĂ©cider Ă sa place.”
“S’ingĂ©rer en RD Congo, c’est ouvrir la boĂźte de Pandore”
PrĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale, originaire du Bandundu, le juriste Aubin Minaku insiste de son cĂŽtĂ© sur le fait que Joseph Kabila est le seul Ă maĂźtriser l’Ă©quilibre d’un pays toujours volatil, alors que le sĂ©curocrate Kalev Mutond, patron de l’Agence nationale de renseignements, met en avant les piĂštres rĂ©sultats de la communautĂ© internationale chaque fois qu’elle a prĂ©tendu imposer ses propres rĂšgles dans les pays du Sud : “S’ingĂ©rer en RD Congo, c’est ouvrir la boĂźte de Pandore.”

Aubin Minaku, prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale
© Gwenn Dubourthoumieu / Pour J.A
TrĂšs Ă l’aise enfin dans son rĂŽle de voltigeur de pointe, le patron de presse Tryphon Kin-Kiey Mulumba, fondateur du Soft, ministre des TĂ©lĂ©coms et des Nouvelles Technologies, se veut encore plus explicite. Il a créé le club de rĂ©flexion Kabila DĂ©sir, dont le message s’adresse aussi bien Ă une diaspora traditionnellement favorable Ă l’opposition qu’aux Congolais de l’intĂ©rieur et dont l’antienne interprĂ©tĂ©e en lingala sur un rythme de rumba par la star Tshala Muana est sans Ă©quivoque : “Nous ne sommes pas encore rassasiĂ©s de toi Kabila, notre envie de toi n’est pas encore passĂ©e.”
Le registre sur lequel opĂšre la garde rapprochĂ©e du chef emprunte largement Ă une rĂ©currence de l’histoire du Congo indĂ©pendant : le nationalisme, la volontĂ© d’ĂȘtre enfin maĂźtre de son destin, de combattre l’impuissance et la mĂ©sestime de soi, de sortir une fois pour toutes de cette culture dĂ©bilitante de la prise en charge par le monde extĂ©rieur des maux qui minent le pays. Un peu Ă part, mais Ă part entiĂšre dans le carrĂ© des gardiens du temple kabiliste, se tient Augustin Matata Ponyo, 50 ans, Premier ministre depuis 2012. En sursis certes, car nul n’ignore que le futur gouvernement de cohĂ©sion nationale finira par se faire sans lui, mais toujours droit dans ses bottes.

Le Premier ministre actuel, Augustin Matata Ponyo
© Gwenn Dubourthoumieu / Pour J.A
Dans le jardin qu’il a fait amĂ©nager en face de la primature, le long du fleuve, cet ancien cadre de la Banque centrale, originaire du Maniema, Ă©conomiste passĂ© par le ministĂšre des Finances, a fait Ă©riger les bustes de tous ses prĂ©dĂ©cesseurs depuis les gouverneurs gĂ©nĂ©raux belges jusqu’Ă lui-mĂȘme, en passant par Lumumba, dont l’effigie trĂŽne Ă©galement dans son propre bureau. Mais il a, d’ores et dĂ©jĂ , rĂ©servĂ© pour son successeur un socle surmontĂ©… d’un point d’interrogation.
Sa partition Ă lui, c’est celle de l’excellence et de l’Ă©litisme. Au bureau avant l’aube, il convoque ses visiteurs dĂšs 6 heures du matin et ne dĂ©teste pas que cela se sache, fait Ă©valuer les performances des membres de son cabinet par les experts français de KPMG (“ceux qui ont moins de 55 % de taux de satisfaction sont Ă©cartĂ©s”), porte invariablement une cravate rouge, a refusĂ© de se faire Ă©lire dĂ©putĂ© “pour ne pas avoir Ă siĂ©ger dans une telle assemblĂ©e” et n’hĂ©site pas Ă s’opposer aux gĂ©nĂ©raux ou Ă tel ou tel membre de la famille prĂ©sidentielle, en dĂ©licatesse avec les rĂšgles de la bonne gouvernance.
Les bailleurs de fonds attribuent volontiers Ă Matata, survivant du crash de l’avion qui coĂ»ta la vie Ă l’Ă©minence grise Augustin Katumba Mwanke en fĂ©vrier 2012, la paternitĂ© des bons rĂ©sultats macroĂ©conomiques de la RD Congo – en oubliant un peu vite que ce technocrate, qui ne cache guĂšre le mĂ©pris que lui inspirent les jeux politiciens, n’est lĂ que par la seule volontĂ© du prĂ©sident (ce qu’il reconnaĂźt d’ailleurs volontiers).

Vital Kamerhe, ancien proche collaborateur du président
© Vincent Fournier / Pour J.A
La politique, une dĂ©fense d’intĂ©rĂȘts particuliers
Les a-t-il trop laissĂ© dire ? C’est possible, car le Premier ministre n’a pas que des amis, surtout dans son propre camp. Et comme Ă Kinshasa tout se retrouve instantanĂ©ment dans la rue, il est de notoriĂ©tĂ© publique que Matata et le ministre du Budget Daniel Mukoko Samba ne se parlent plus – ce dernier est d’ailleurs banni des rĂ©unions de cabinet Ă la primature – et qu’un conflit sĂ©rieux l’oppose au prĂ©sident du Parlement, Aubin Minaku.
Lorsque ce dernier a vu à la télévision un film sur les grands chantiers, dans lequel son rival semblait tirer un peu trop la couverture à lui, il en a aussitÎt fait part à Joseph Kabila. Lequel a dû convoquer le 7 octobre une réunion du bureau politique de la majorité présidentielle dans sa ferme de Kingakati, à  80 km de la capitale, au cours de laquelle chacun a vidé son sac.
Pour l’occasion, face Ă des hommes tous plus ĂągĂ©s que lui, le fils du Mzee s’est muĂ© en mwalimu (“instituteur”), gourmandant les uns et calmant les autres. Ce n’est un secret pour personne en effet que les fortes personnalitĂ©s de l’entourage du chef ne s’entendent guĂšre entre elles, le cas le plus Ă©trange Ă©tant celui de son propre conseiller spĂ©cial en matiĂšre de sĂ©curitĂ©, Pierre Lumbi, dont le parti, pourtant membre de la majoritĂ© prĂ©sidentielle, s’oppose Ă toute rĂ©vision de la Constitution.
Rien de nouveau dans ce constat certes, mais un impĂ©ratif : remettre de l’ordre dans la perspective de 2016. Face Ă Joseph Kabila, dont le score au prĂ©cĂ©dent scrutin prĂ©sidentiel n’a pas atteint la barre des 50 %, se dresse l’autre moitiĂ© du Congo, celle qui vote pour une opposition composite, divisĂ©e, mais dĂ©terminĂ©e. Dans ce maquis de formations scissipares dont les leaders, de par leur comportement et leur positionnement changeants, rappellent chaque jour aux Congolais que la politique ici est d’abord la dĂ©fense d’intĂ©rĂȘts particuliers, se distinguent deux grands pĂŽles : celui qui s’est rĂ©solu Ă collaborer avec le rĂ©gime en espĂ©rant qu’il tire pour lui les marrons du feu et celui dont l’obsession est de s’installer Ă sa place. Ancien Premier ministre de Mobutu dans les annĂ©es 1980 et 1990, LĂ©on Kengo wa Dondo, 79 ans, est la figure rĂ©fĂ©rente du premier pĂŽle.
L’actuel prĂ©sident du SĂ©nat, qui s’impatiente de voir ses poulains intĂ©grer le haras du gouvernement de cohĂ©sion nationale, prĂŽne une opposition “rĂ©publicaine” et modĂ©rĂ©e, avec un oeil sur sa propre candidature Ă la prĂ©sidentielle – une perspective qu’il juge “prĂ©maturĂ©e”, maniĂšre de signifier qu’il ne l’exclut pas. Sa position dans le dĂ©bat sur la Constitution est toute en nuances : “Je suis contre une rĂ©vision du texte en vigueur, en particulier de l’article 220″, explique celui qu’un dazibao accrochĂ© au mur de son salon qualifie d’”icĂŽne”. “Maintenant, si le camp prĂ©sidentiel veut une autre Constitution, qu’il le dise clairement, nous en discuterons.” Toujours laisser une porte ouverte Ă double battant, cĂŽtĂ© pouvoir comme cĂŽtĂ© opposition, ainsi est Kengo.
InterrogĂ© sur un Ă©ventuel glissement du calendrier Ă©lectoral, hypothĂšse de rechange frĂ©quemment Ă©voquĂ©e Ă Kinshasa et qui aurait pour consĂ©quence de repousser l’Ă©chĂ©ance suprĂȘme Ă 2018, voire au-delĂ , le natif de Libenge, sur les rives de l’Oubangui, rĂ©pond Ă sa maniĂšre : “Le prĂ©alable impĂ©ratif Ă toute Ă©lection, c’est un recensement sur la base duquel sera Ă©laborĂ© un nouveau fichier Ă©lectoral incontestĂ©.” Dans un pays de 2,3 millions de kmÂČ, peuplĂ© de 70 millions d’habitants, une telle opĂ©ration pourrait prendre deux, voire trois ans et ĂȘtre achevĂ©e Ă temps, Ă condition de la dĂ©marrer immĂ©diatement et d’en trouver le financement.
Autant dire que, sans l’avouer, le trĂšs consensuel Kengo wa Dondo n’est fermĂ© Ă aucune Ă©ventualitĂ©. rupture totale. Cette notion, finalement trĂšs bantoue, de la convivialitĂ© n’est en rien partagĂ©e au sein de l’autre pĂŽle, celui d’une opposition radicale en totale rupture avec le pouvoir. Difficile de s’y retrouver dans l’entrelacs mouvant des sigles et appellations de ceux dont le but essentiel est de “dĂ©gager” Joseph Kabila.
Ă moins d’ĂȘtre initiĂ©, l’Ă©ventail formĂ© par sa soixantaine de partis ou associations de la sociĂ©tĂ© civile est en effet indĂ©chiffrable. Mieux vaut donc s’attacher aux personnes, chaque parti ou front Ă©tant en l’occurrence un regroupement rĂ©gional, voire familial, autour d’un entrepreneur politique. Jean-Pierre Bemba et Ătienne Tshisekedi durablement hors-jeu, le premier pour crimes de guerre dans une cellule de la Cour pĂ©nale internationale et le second pour cause de grand Ăąge et de maladie dans un appartement bruxellois, place Ă la nouvelle gĂ©nĂ©ration des anti-Kabila irrĂ©ductibles.
>>> Lire auss: l’interview de FĂ©lix Tshisekedi

FĂ©lix Tshisekedi qui fait partie du camp de l’opposition
© Gwenn Dubourthoumieu / Pour J.A
Du vibrionnant Vital Kamerhe, ancien “attaquant de pointe” polyglotte de Joseph Kabila passĂ© par la prĂ©sidence de l’AssemblĂ©e nationale avant de couper le cordon ombilical, au fils Ă papa FĂ©lix Tshisekedi que sa maman aimerait tant voir succĂ©der au “lĂder mĂĄximo” Ă la tĂȘte de l’historique Union pour la dĂ©mocratie et le progrĂšs social (UDPS), en passant par un autre “fils de”, Nzanga Mobutu, sans oublier l’homme d’affaires et ancien collaborateur du groupe pĂ©trolier ExxonMobil Martin Fayulu et une dizaine d’autres leaders, cette opposition-lĂ ne communie que dans l’intransigeance : on ne touche pas Ă la Constitution et Joseph Kabila Kabange – considĂ©rĂ© comme “illĂ©gitime” depuis la prĂ©sidentielle de 2011 – est priĂ© de faire ses valises dans deux ans.
Destination, si l’on suit dans sa dĂ©marche passablement surrĂ©aliste le trio Tshisekedi-Kamerhe-Fayalu, qui a adressĂ© en juillet une demande en ce sens au Conseil de sĂ©curitĂ© de l’ONU : la Cour pĂ©nale internationale (CPI), pour “crimes contre l’humanitĂ©”, rien de moins. Tous, Ă©videmment, ne sont pas d’accord avec cette guerre Ă outrance : Samy Badibanga, qui prĂ©side le groupe des dĂ©putĂ©s UDPS au Parlement (une participation aux institutions qui lui vaut d’ĂȘtre quasi excommuniĂ© par le clan Tshisekedi) juge ainsi “aberrant” ce recours Ă la CPI et insiste au contraire pour qu’aprĂšs son dĂ©part du pouvoir Joseph Kabila soit nommĂ© sĂ©nateur Ă vie et entourĂ© de toutes les garanties d’immunitĂ© nĂ©cessaires.

Le cardinal Monsengwo
© Gwenn Dubourthoumieu / Pour J.A
Cet opĂ©rateur privĂ©, qui a montĂ© une belle affaire d’import-export entre Bruxelles et Kinshasa, plaide Ă©galement pour une direction collĂ©giale de son parti, seule Ă mĂȘme de recoller les piĂšces du puzzle UDPS aprĂšs l’effacement de son fondateur. CompliquĂ©… cĂ©nacle. Pour fĂ©dĂ©rer cette opposition au sein de laquelle on retrouve tout et son contraire – patriotisme, xĂ©nophobie, nĂ©potisme, dĂ©mocratie, tribalisme, violence et non-violence – une autoritĂ© morale est apparue ces derniers mois, Ă la fois masquĂ©e et omniprĂ©sente : le cardinal Laurent Monsengwo. Ce prĂ©lat de 75 ans, originaire du Bandundu et membre du cĂ©nacle fermĂ© des conseillers du pape François chargĂ© de rĂ©former la Curie romaine, a toujours Ă©tĂ© une Ă©minence trĂšs politique.
L’archevĂȘque de Kisangani qui prĂ©sida la ConfĂ©rence nationale puis le Haut Conseil de transition au cours des annĂ©es 1990, l’homme qui fit plier Mobutu, a conservĂ© de cette pĂ©riode la nostalgie des faiseurs de rois et une dĂ©fiance Ă l’Ă©gard de tout pouvoir qui n’aurait pas la bĂ©nĂ©diction de l’Ăglise. Contrairement Ă Kengo wa Dondo puis Ă Jean-Pierre Bemba, qui tous deux eurent les faveurs du prĂ©lat, Joseph Kabila n’est pas catholique, mais fidĂšle de l’Ăglise du Christ au Congo, d’obĂ©dience protestante, et son Ă©pouse, Olive, frĂ©quente les Ăglises du RĂ©veil.

Olive Lembe Kabila, lors d’une marche pour les droits des femmes, en 2010.
© Gwenn Dubourthoumieu / AFP
Le couple n’est donc pas de ses ouailles, au point qu’il a pris le risque Ă la mi-septembre de faire publier depuis Rome, via la confĂ©rence Ă©piscopale nationale du Congo, une lettre cinglante de dĂ©fiance Ă l’encontre de tout projet de rĂ©forme de la Constitution, lue Ă travers toutes les Ă©glises du pays. Un risque, car en dĂ©plaçant ainsi la chapelle du centre du village, le cardinal a fait ressurgir le vieux clivage est-ouest parmi les quelque 28 millions de catholiques du Congo : au Katanga, au Maniema, dans les deux Kivus et dans une partie de l’Oriental, les Ă©vĂȘques et les fidĂšles grognent.
“Monsengwo est en rupture avec tout ce qui, de prĂšs ou de loin, apparaĂźt comme liĂ© Ă Kabila”, commente un diplomate en poste Ă Kinshasa. “Il entretient ainsi des rapports exĂ©crables avec le prĂ©sident de la Commission Ă©lectorale nationale indĂ©pendante, l’abbĂ© Malu Malu, pourtant son subordonnĂ© et qui le lui rend bien. En rĂ©alitĂ©, le principal opposant au prĂ©sident, c’est lui. Mais son parti, l’Ăglise, n’est pas uni.” Une mĂ©diation entre les deux hommes est-elle encore possible ? Le prĂ©sident congolais Denis Sassou Nguesso, dont le cardinal est trĂšs proche, serait dit-on disponible pour la mener. Joseph Kabila est, comme on l’imagine, demandeur.
Mais celui qui fut en son temps le premier Africain docteur en Ă©critures saintes Ă Rome et dont le frĂšre, François Kaniki, sĂ©nateur proche de Kengo wa Dondo, est un homme d’affaires prospĂšre de la capitale, est un personnage altier et parfois immodeste qui, il y a dix ans, dĂ©clarait que son pouvoir ecclĂ©siastique Ă©tait “mille fois supĂ©rieur au pouvoir politique”. Il n’Ă©tait alors qu’archevĂȘque. DĂ©sormais revĂȘtu de la pourpre cardinalice, Laurent Monsengwo Pasinya, l’enfant de MongobelĂ©, a dĂ» multiplier ce chiffre par dix…

Joseph Kibula et John Kerry, secrĂ©taire d’Etat amĂ©ricain, au Palais de la nation, en mai 2014.
© Saul Loeb / AFP
La communautĂ© internationale sur la mĂȘme ligne que l’opposition congolaise
Reste, bien sĂ»r, la communautĂ© internationale, acteur majeur en RD Congo depuis l’indĂ©pendance, pour le meilleur comme pour le pire. Ă y voir de loin, elle est sur la mĂȘme ligne que l’opposition : on ne touche pas Ă la Constitution. Ă y regarder de plus prĂšs, les choses sont moins simples. Certes, les AmĂ©ricains et en particulier l’envoyĂ© spĂ©cial de Barack Obama pour la rĂ©gion des Grands Lacs, Russ Feingold, ancien sĂ©nateur et archĂ©type de l’aile gauche du parti dĂ©mocrate, ne cachent pas leur dĂ©termination de voir Joseph Kabila se retirer du pouvoir Ă l’issue de la prochaine Ă©lection.
Les Britanniques et les Belges estiment eux aussi qu’on ne change pas les rĂšgles du jeu au milieu de la partie, mais ils y mettent les formes et se refusent Ă faire de la RD Congo un cas d’Ă©cole. Les Français, eux, ne disent rien publiquement, mĂȘme s’ils partagent en off un souci identique. “Le prĂ©sident Hollande n’Ă©voque ce type de sujet avec ses pairs africains que lorsque ces derniers l’abordent en premier”, confie-t-on Ă l’ĂlysĂ©e.
RĂ©sultat : lors de la derniĂšre visite de Kabila Ă Paris en mai, il a Ă©tĂ© question de Total, d’Air France, d’Orange ou de GDF-Suez beaucoup plus que de politique. ConfortĂ©s par la position de non-ingĂ©rence de la Chine, de l’Inde et du BrĂ©sil, encouragĂ©s par l’amorce d’un “front du refus” aux injonctions occidentales menĂ© par l’Afrique du Sud, l’Angola et l’Union africaine, les dirigeants congolais savent trĂšs bien que les immenses richesses de leur pays interfĂ©reront toujours avec les discours des Ă©trangers, y compris les plus radicaux.
Ambassadeur itinĂ©rant trĂšs proche de Kabila, dont il est un peu le sherpa Ă l’international, SĂ©raphin Ngwej vit presque quotidiennement cette Ă©trange schizophrĂ©nie diplomatique : “Ce que nos interlocuteurs disent le jour, ils ne le rĂ©pĂštent pas la nuit. Une fois les micros dĂ©branchĂ©s, le discours n’est plus le mĂȘme.”
Il apparaĂźt ainsi de plus en plus Ă©vident que les partenaires occidentaux de la RD Congo pourraient s’accommoder d’un glissement du calendrier dĂ©mocratique, le temps d’Ă©tablir un nouveau recensement, le temps aussi de rĂ©unir les quelque 750 millions de dollars (plus de 590 millions d’euros) nĂ©cessaires au financement de la sĂ©quence Ă©lectorale.
En ce mercredi 8 octobre, aprĂšs avoir inaugurĂ© une nouvelle aile du mythique Grand HĂŽtel, Joseph Kabila dĂ©cide de rentrer Ă pied chez lui. SituĂ©e Ă quelques centaines de mĂštres de lĂ , sur une petite presqu’Ăźle noyĂ©e de verdure et lĂ©chĂ©e par les eaux du fleuve nourricier, sa rĂ©sidence n’a rien du palais qu’habitait Mobutu. Un court de tennis, une piscine, quelques jeux de plein air pour Laurent-DĂ©sirĂ©, 6 ans, le cadet de la famille et un dispositif de sĂ©curitĂ© somme toute lĂ©ger par les temps qui courent.
Joseph Kabila en route vers 2016
Ă quoi pense-t-il, cet homme de 43 ans, alors qu’il marche sur le ruban de goudron ensoleillĂ©, entourĂ© de ses gardes du corps ? Ă la prĂ©diction du prophĂšte Simon Kimbangu, “l’envoyĂ© du Dieu tout-puissant”, le pape de Nkamba, rĂ©duit au silence par les colons et qui affirma un jour de la fin des annĂ©es 1940 que le quatriĂšme prĂ©sident du Congo libĂ©rĂ© serait un homme jeune et qu’il accomplirait des miracles ?
Ă l’impossibilitĂ© de gouverner un pays-continent gangrenĂ© par des dĂ©cennies de mĂ©gestion Ă©rigĂ©e au niveau des beaux-arts et oĂč, toujours, quelque part, il se passe quelque chose de rĂ©prĂ©hensible que les ONG et les “nokos” blancs ne manqueront pas de relever, eux dont les convoitises ont fait tant de mal ? Ou, plus prosaĂŻquement, est-il en train de calculer les prochains Ă©pisodes de la stratĂ©gie combinatoire qui le conduira vers 2016 et peut-ĂȘtre au-delĂ ?
Il y a quelque chose d’asiatique autant que d’africain derriĂšre le masque impĂ©nĂ©trable de celui qui pratique la politique Ă la maniĂšre d’un joueur de go. L’adversaire n’est pas pour lui un ennemi que l’on Ă©crase, mais une force que l’on encercle, que l’on paralyse, que l’on Ă©touffe. La gestion du temps et du silence joue ici un rĂŽle capital, et tant mieux si celui qui vous fait face de l’autre cĂŽtĂ© du tablier vous sous-estime – ce qui a longtemps Ă©tĂ© le cas.
Quels que soient les signes avant-coureurs donnĂ©s par ses partisans dans le sens d’une candidature annoncĂ©e, laquelle pourrait ĂȘtre rendue possible dĂšs l’annĂ©e prochaine via un rĂ©fĂ©rendum sur la Constitution, que le camp prĂ©sidentiel n’envisage pas un instant de perdre, Joseph Kabila ne se prononcera donc sur ses propres intentions qu’au dernier moment – sans doute pas avant juin 2016, soit Ă six mois de l’Ă©chĂ©ance officielle.
Ă moins que tout bouge encore pour que rien ne change et que le calendrier dĂ©rape. Une seule chose est sĂ»re, en rĂ©alitĂ© : rien ne pourra se faire contre cet homme qui tient l’armĂ©e “utile”, contrĂŽle les provinces – y compris le riche Katanga dont le gouverneur, MoĂŻse Katumbi, a un pied de part et d’autre de l’Ă©chiquier politique – et commence Ă se constituer un bilan prĂ©sentable tout en Ă©tant le seul Ă pouvoir rĂ©unir les 30 millions de dollars (minimum) requis pour mener en RD Congo une campagne Ă©lectorale digne de ce nom. Rien sans lui, certes. Avec lui ? C’est une autre histoire, dont seuls les gĂ©nies du fleuve dĂ©tiennent la clĂ©.
Par François Soudan
Jeuneafrique