Tag: Culture & Arts

  • Histoire. Peine capitale, pas si médiévale

    Histoire. Peine capitale, pas si médiévale

    Condamner à mort au Moyen Age, de Claude Gauvard, PUF, 368 p., 24 €.

    Trente-sept ans après l’abolition de la peine de mort en France, le titre du nouveau livre de Claude Gauvard, Condamner à mort au Moyen Age, fait instantanément surgir de sombres images. Celle des pendus de François Villon, ou des roués et des écartelés en place publique, visions d’horreur d’un Moyen Age par essence cruel et violent. Pourtant, la roue et l’écartèlement sont, comme les sorcières, davantage modernes que médiévaux. Sans doute sommes-nous influencés par la vision fantasmée des médiévaux eux-mêmes, qui aimaient à orner les tympans de leurs églises de spectaculaires décapitations de martyrs.

    Dans cet ouvrage longtemps attendu, Claude Gauvard, née en 1942, spécialiste de l’histoire de la justice et de la criminalité (et auteure, notamment, du Dictionnaire de l’historien, avec Jean-François Sirinelli, PUF, 2015), invite à revoir nos préjugés, à commencer par la fréquence des exécutions capitales au Moyen Age. Certes, les sources judiciaires sont peu bavardes avant le XIIIe siècle, mais les données rassemblées montrent que les exécutions – ordonnées pour punir des crimes ou de simples délits, comme le vol ou la fabrication de fausse monnaie – sont rares : une tous les quatre ans à Lyon et, dans les cas extrêmes que sont la Normandie ou le Comtat Venaissin, une par an, contre dix au Texas en 2018. A la peine capitale, le Moyen Age préfère une mort symbolique, le bannissement ou l’amende, voire la composition entre les parties, hors du tribunal.

    Le public, garant de la bonne mise en œuvre du rituel

    L’infamie du bourreau est elle aussi questionnée par l’au­teure. Essentiellement porteuse d’incapacité juridique, elle ne prive pas de reconnaissance sociale, comme le prouve le titre de « maître », souvent accolé à son nom. De même, le public, longtemps accusé de voyeurisme, retrouve…

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  • Pour Paris canaille, suivez Dominique Kalifa

    Pour Paris canaille, suivez Dominique Kalifa

    Paris. Une histoire érotique, d’Offenbach aux Sixties, de Dominique Kalifa, Payot, « Une histoire érotique », 300 p., 21 €.

    Voici un beau livre qu’apprécieront les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics comme les passants honnêtes qui leur jettent des regards obliques. Les uns et les autres comprendront en le lisant comment est né un imaginaire social encore très puissant, qui a fait de Paris une des capitales mondiales, voire la capitale mondiale, des passions éphémères ou plus durables, le lieu par excellence du baiser amoureux, des liaisons adultères et de toutes les formes d’érotisme.

    Cette association si puissante entre une ville, des sentiments et des pratiques a trouvé un historien en la personne de Dominique Kalifa, qui livre avec ce Paris une étude aussi minutieuse que plaisante. Délaissant l’univers du crime et des bas-fonds qu’il a inlassablement parcouru pendant plus de vingt-cinq ans (L’Encre et le Sang, Fayard, 1995 ; Les Bas-Fonds, Seuil, 2013 ; Tu entreras dans le siècle en lisant Fantômas, Vendémiaire, 2017…), ce grand spécialiste d’histoire culturelle, s’il aborde ici une thématique en apparence plus légère, continue de décortiquer avec finesse les ressorts méconnus de nos sociétés contemporaines.

    Les portes cochères

    Pour Dominique Kalifa, l’imaginaire social liant Paris à l’amour et au sexe s’est construit au cours du siècle qui sépare les travaux d’Haussmann, dans les années 1850, aux nouvelles transformations de Paris réalisées durant les années 1960. Dans le Paris du Second Empire, cafés, boulevards, bois et jardins constituèrent des lieux de rencontre que les romans, la presse et même certains guides touristiques ne cessèrent de mettre en scène. Bals populaires et bals de société connurent un apogée dans cette seconde moitié du siècle, entraînant liaisons, mariages et séparations.

    Au-delà, c’est une véritable…

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  • Camille Bordas fait son jeune homme

    Camille Bordas fait son jeune homme

    Isidore et les autres, de Camille Bordas, Inculte, 414 p., 19,90 €.

    Sur le plan scolaire, les cinq premiers enfants de la famille Mazal peuvent être considérés comme des surdoués. Ils remplissent des dossiers de candidature en classe prépa quand les enfants de leur âge sont encore au collège. Ils cherchent un nouveau sujet de thèse à peine leur premier doctorat obtenu. Rien ne leur plaît tant, lorsqu’ils sont réunis, que d’organiser une « soirée condescendance ». Quoi de plus drôle, eneffet, que de pointer l’étroitesse d’esprit de ceux qui n’ont jamais lu Aristote, Deleuze et Bourdieu ? Ou de relever les naïvetés et maladresses d’un photographe amateur qui ne connaîtrait pas en détail l’histoire de l’art ? Sûrs de leur bon goût comme de leur intelligence, ils ne doutent pas un instant de leur capacité à réussir leur vie. Aucune difficulté ne devrait leur résister, puisqu’ils ont toutes les clés pour comprendre le monde qui les entoure. Encore faudrait-il, bien sûr, qu’ils y prêtent attention. Le réel, on s’en doute, va se rappeler à eux avec brutalité.

    La satire pourrait s’annoncer féroce. Elle est, sous la plume de Camille Bordas, douce-amère. Comme si l’auteure réévaluait, plutôt qu’elle ne les reniait, des codes et des valeurs qu’elle avait elle-même, un temps, adoptés. Ni anti-intellectualiste ni empreint d’excessifs bons sentiments, Isidore et les autres est tout simplement un roman vivifiant. Un texte en apparence léger, qui ausculte pourtant avec une généreuse lucidité la façon dont chacun des personnages – chacun de nous, aussi bien – organise le passage des livres à la vie, et inversement. Si la culture académique et sa prétention à tout expliquer sont égratignées, la tonalité du roman n’est en rien désenchantée. Le tableau que la jeune romancière (née en 1987) brosse de cette famille d’intellectuels névrosés, mal à l’aise avec les émotions, est suffisamment impressionniste…

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  • Les guerres perdues de Rabih Alameddine

    Les guerres perdues de Rabih Alameddine

    L’Ange de l’histoire (The Angel of History), de Rabih Alameddine, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard, Les Escales, 388 p., 21,90 €.

    A Paris, au printemps 1940, quelques mois avant de se donner la mort, Walter Benjamin rédige ce qui deviendra Sur le concept d’histoire, une suite d’aphorismes parmi lesquels l’emblématique évocation du tableau de Paul Klee, Angelus Novus (1920) : « Il représente un ange (…). Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. C’est à cela que doit ressembler l’ange de l’histoire. Il a le visage tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. »

    Cette vision d’apocalypse semble avoir été écrite pour Rabih Alameddine, né en 1959 et auteur, notamment de Hakawati (Flammarion, 2009), qui pourrait bien s’en être inspiré pour son nouveau roman. Jusqu’au titre de celui-ci, L’Ange de l’histoire, que l’écrivain libano-américain a choisi pour ce récit, hanté par le passé et absolument désespéré, d’une existence placée sous le sceau de la mort, de l’ostracisme et de l’exil.

    L’histoire en question se déroule au cours d’une seule et unique nuit, aux urgences d’un hôpital psychiatrique de San Francisco où s’est rendu Jacob, un poète d’origine yéménite établi en Californie, violemment ébranlé par les dernières et insoutenables images qui lui sont parvenues de son Moyen-Orient natal – en particulier celles d’une enfant syrienne de 3 ans, mortellement blessée et dont les derniers mots – « Je vais tout raconter à Dieu » – l’ont ravagé.

    Pages pudiques

    Plus encore, ce sont les échos d’une autre guerre qui viennent peupler la nuit du poète : l’épidémie de sida dont l’assaut a emporté ses amis, notamment Doc, son grand amour, qu’il ne se…

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  • Denis Soula dans la peau de deux femmes

    Denis Soula dans la peau de deux femmes

    Deux femmes, de Denis Soula, Joëlle Losfeld, 120 p., 12,50 €.

    C’est la chronique de deux vies qui n’ont d’autre choix que de s’accommoder de la mort. L’une a vécu celle de sa fille, l’autre – tireuse d’élite – la donne au quotidien. Deux femmes confronte l’existence à sa fin, histoire de voir ce qu’il en reste lorsque les malheurs s’y empilent. Denis Soula poursuit son exploration de la vie intérieure de personnages féminins, à laquelle Mektoub et Les Frangines (Joëlle Losfeld, 2012 et 2015), ses deux précédents romans, avaient déjà ouvert la voie. Il en confie cette fois les rênes à deux narratrices dont les parcours croisés se heurtent à la même question existentielle : que reste-t-il de bon à vivre lorsqu’on a été traversé par des drames ?

    Un regard littéraire empathique et engagé

    « Je suis en jupe, le vent cingle mes jambes. » Denis Soula change de genre, comme d’autres changent de nom, et écrit l’histoire des femmes comme s’il les était toutes. Deux femmes déploie une écriture que le féminin rend universelle. Un regard littéraire empathique et engagé, qui guide tout autant le propos que la dramaturgie. Les héroïnes de Deux femmes parlent peu, l’auteur prend donc le parti – par une narration aux tonalités de journal intime – de les comprendre de l’intérieur. « La plupart du temps, je reste en tête à tête avec ma peine (…). Je réponds, mais c’est de l’automatique, du congelé. »

    La première narratrice (celle des chapitres impairs) est une mère qui s’accroche à la fille qui lui reste. L’écriture nous transporte dans son quotidien rétréci où résonnent, sans cesse, la perte et « les solitudes » des endeuillés. Pour faire face et « occuper le champ de bataille », l’héroïne s’appuie sur les quelques béquilles qui rendent la vie supportable. Parmi elles, la musique, remède à tout, et la moto – pour…

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  • Exposition : vivacité des arts japonais sous l’ère Meiji

    Exposition : vivacité des arts japonais sous l’ère Meiji

    On le découvre sur une photographie datée du 8 octobre 1873, assis dans un fauteuil Louis XVI en tenue militaire occidentale, pantalon et veste ajustés à galons, raie sur le côté, fine moustache, sabre à la ceinture, un bicorne posé près de lui. C’est l’une des très rares représentations photographiques de l’empereur Mutsuhito (1852-1912), dont le règne, de 1867 à 1912, se traduisit par une transformation tellement radicale du Japon qu’on lui a donné le nom d’ère « Meiji » (« politique de la lumière »). Cette photographie figure en ouverture de l’exposition « Meiji, splendeurs du Japon impérial », présentée au Musée national des arts asiatiques-Guimet, à Paris, à l’occasion des 150 ans du début de cette période. Une époque d’ouverture du pays sans précédent, après deux cent cinquante ans de repli sur soi, qui s’accompagne de bouleversements dans tous les domaines – politique, économique, sociétal, religieux, culturel, artistique.

    « Le Japon devenu empire se dotera d’un Parlement, d’un code civil de droit romain, d’une conscription mettant à bas les reliques de l’antique système des samouraïs, interdira le port du sabre, encouragera l’adoption du costume occidental, s’industrialisera à une vitesse étonnante, changera l’aspect de ses villes… », expose Sophie Makariou, présidente du Musée Guimet et commissaire de l’exposition, avec le conservateur Michel Maucuer. Le pays entend désormais faire rayonner ses talents à travers le monde, et les artistes ont pour mission d’exalter sa puissance créatrice. Un goût pour le « japonisme », alimenté par les récits d’écrivains-voyageurs tel Pierre Loti (1850-1923) et par les industriels collectionneurs comme Emile Guimet (1836-1918) ou Henri Cernuschi (1821-1896), se manifeste alors en Occident.

    Plus de trois cents pièces – porcelaines, céramiques, étoffes, laques, peintures, sculptures, meubles – témoignant de cette virtuosité ont été réunies grâce à de nombreux prêts, une part venant des…

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  • Le Japon de l’ère Meiji expose ses splendeurs à Paris

    Le Japon de l’ère Meiji expose ses splendeurs à Paris

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    LE MONDE |


    • Mis à jour le

    Intitulée « Meiji, splendeurs du Japon impérial (1868-1912) », l’exposition – qui a lieu, jusqu’au 14 janvier 2019, au Musée national des arts asiatiques-Guimet (MNAAG) à Paris – réunit près de 350 objets conservés sous et depuis le règne de l’empereur Mutsuhito. Un choix de pièces d’orfèvrerie, de textiles, de peintures, de céramiques et de photographies révèle la richesse et la diversité de la création artistique à cette période, qui s’étend sur une durée de quarnate-quatre ans. En voici un aperçu en images commentées par Michel Maucuer, conservateur à la section Japon du Musée national des arts asiatiques-Guimet (MNAAG).

    Lire la critique (en édition abonnés) : Vivacité des arts japonais sous l’ère Meiji

    Chargement en cours…

    Uchida Kuichi (1844-1875) : « Mutsuhito, l’empereur Meiji » ‒ épreuve sur papier albuminé, colorée ‒ Japon, 8 octobre 1873

    « Ce portrait est connu à titre posthume sous le nom de Meiji. C’est une rare photographie officielle de l’empereur ‒ qui a accédé au trône en 1867, à l’âge de 15 ans ‒ , bien sûr orchestrée et mise en scène : il pose vêtu d’un costume militaire occidental. Cela signifie la fin du pouvoir des “shoguns”. L’uniforme est ici le signe de la modernité. »


    RMN-GP (MNAAG, PARIS)

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  • Abdellatif Kechiche visé par une plainte pour agression sexuelle : une enquête ouverte

    Abdellatif Kechiche visé par une plainte pour agression sexuelle : une enquête ouverte

    Les faits se seraient déroulés dans la nuit du 23 au 24 juin. Ils font désormais l’objet d’une enquête pour agression sexuelle ouverte contre le réalisateur français Abdellatif Kechiche. Confirmant une information publiée mardi 31 octobre par BFM-TV, une source proche du dossier a indiqué au Monde qu’à la suite d’une plainte déposée le 6 octobre contre le réalisateur, « une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris du chef d’agression sexuelle ».

    D’après les informations de BFM-TV, la plainte en question a été déposée par une actrice de 29 ans qui affirme avoir été agressée sexuellement alors qu’elle s’était endormie, dans un appartement du 20e arrondissement de Paris où elle avait dîné plus tôt dans la soirée avec Abdellatif Kechiche et l’un de ses amis. C’est en se réveillant qu’elle dit avoir vu que son pantalon était ouvert et qu’elle subissait des attouchements de la part du réalisateur.

    L’avocat d’Abdellatif Kechiche, Palme d’or en 2013 pour La vie d’Adèle, a déclaré à BFM-TV que ce dernier contestait « catégoriquement la véracité de ces accusations ». L’enquête a été confiée au deuxième district de police judiciaire (DPJ), qui couvre le Nord et l’Est de Paris.

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  • « Les Simpson » : pourquoi le sort du personnage d’Apu est en question

    « Les Simpson » : pourquoi le sort du personnage d’Apu est en question

    « Apu va quitter Les Simpson. » Depuis vendredi 26 octobre, un grand nombre de publications affirment que ce personnage, apparu dans la célèbre série animée américaine en 1990, s’apprête à disparaître des écrans, après une polémique sur les stéréotypes racistes qu’il est accusé de véhiculer sur les Indiens. Qu’en est-il exactement ?

    • Qui est Apu ?

    Apu Nahasapeemapetilon est un personnage récurrent des Simpson depuis bientôt trente ans. Né en Inde, émigré aux Etats-Unis, docteur en informatique, il tient une petite épicerie à Springfield, la ville des Simpson. Passionné de cricket et de rock, il est le père de huit enfants nés d’un mariage arrangé. Il est doublé, en version originale, par Hank Azaria, qui interprète aussi d’autres personnages de la série comme le barman Moe ou le policier Ralph Wiggum.

    • D’où vient l’information selon laquelle il va disparaître ?

    Tout est parti d’Adi Shankar, un producteur américain aux manettes notamment de la série animée Castlevania. Mécontent de la façon dont était dépeint Apu dans Les Simpson, il a lancé un concours de scénario afin « de le faire évoluer, d’un produit de scénaristes blancs et masculins sortis de Harvard pour le transformer en un portrait drôle, rafraîchissant et réaliste des Indiens aux Etats-Unis ». Mais après avoir reçu « le scénario parfait », il dit avoir appris que les producteurs des Simpson « allaient laisser tomber le personnage d’Apu », a-t-il annoncé au site IndieWire dans un article publié vendredi. Il dit tenir son information « de plusieurs sources » travaillant sur la série, et que l’éviction se fera discrètement, « juste pour éviter la controverse ».

    • Les créateurs de la série ont-ils confirmé le départ d’Apu ?

    Non. La Fox, qui produit et diffuse la série, a donné une réponse laconique à IndieWire : « Apu est apparu dans l’épisode du 14 octobre 2018 “My Way or the Highway to Heaven”. » Apu y apparaît en effet, mais seulement comme figurant au sein d’une foule.

    Al Jean, qui travaille comme scénariste sur la série depuis son lancement en 1989, a publié lundi un tweet pour dissiper tout malentendu, en soulignant qu’Adi Shankar ne travaille pas sur Les Simpson : « Je lui souhaite le meilleur, mais il ne s’exprime pas au nom de la série. »

    • Mais alors, finalement, va-t-il disparaître ou non ?

    Cela reste difficile à dire. Aucune source officielle n’a confirmé cette information – mais les déclarations de la Fox et d’Al Jean ne la démentent pas non plus. Qui plus est, la disparition a peut-être déjà eu lieu : si Apu continue à apparaître à la manière d’un figurant, le personnage « a à peine eu une ligne de texte en trois saisons », déclarait Matt Reiss, un des scénaristes de la série, au magazine Vanity Fair en mai. « Les gens disent : “Retirez Apu de la série.” Eh bien, il n’y est plus ! » En juillet, néanmoins, le créateur de la série, Matt Groening, interrogé par le New York Times sur l’existence d’un « moratoire » sur de futures apparitions d’Apu, avait répondu : « Si une bonne histoire nous vient, on la racontera. »

    • Qu’est-il reproché à Apu ?

    Cela fait plusieurs années que ce personnage est critiqué, accusé de véhiculer des stéréotypes racistes sur les Indiens. L’an dernier, le comédien américain Hari Kondabolu, originaire d’Inde, a même consacré un documentaire à cette question, The Problem with Apu (« le problème avec Apu »). Avec un regard amer sur son enfance : « au bout d’un moment, tu regardes Les Simpson le dimanche et tu as une idée de comment on va se moquer de toi le lundi, en fonction de ce qu’Apu a fait dans le dernier épisode », expliquait-il à la BBC, regrettant qu’Apu ne soit défini que par son travail, qu’il ait huit enfants – « une blague sur le fait qu’il y ait tant de gens en Inde » – et un mariage arrangé.

    « Apu est le seul Indien qu’on voyait à la télé, donc j’étais content d’être représenté quand j’étais enfant. Et bien sûr qu’il est drôle, mais ça ne veut pas dire que cette représentation est correcte, ou juste. C’est là qu’on en arrive à l’aspect insidieux du racisme, parce que vous ne le remarquez pas, même quand c’est juste en face de vous. »

    Le fait qu’Apu soit doublé par un homme blanc, Hank Azaria, lui pose aussi problème : « On dirait un mec blanc qui imiterait un mec blanc qui se moquerait de mon père. »

    D’autres personnalités ont aussi exprimé leur malaise face à Apu, comme l’actrice indienne Priyanka Chopra, qui a passé sa jeunesse aux Etats-Unis et déclaré qu’Apu avait « empoisonné » son enfance. Un rédacteur en chef du New York Times, Vikas Bajaj, a beau trouver « une certaine vérité » dans le personnage d’Apu, il regrette dans une tribune qu’il s’agisse « d’une caricature conçue pour se moquer d’une minorité, afin d’amuser la majorité ».

    • Que répondent les créateurs des « Simpson » ?

    Dès 2016, un épisode entier des Simpson fut consacré à cette question, intitulé Much Apu about nothing (une référence à la pièce de William Shakespeare, qu’on pourrait traduire par « Beaucoup d’Apu pour rien »). Un épisode dans lequel le maire Quimby veut expulser les immigrés clandestins, dont Apu, et dans lequel sont moqués les stéréotypes sur les Indiens. Après la sortie du documentaire The Problem with Apu en 2017, une scène d’un autre épisode des Simpson a aussi fait référence à la polémique.

    En avril, Matt Groening, interrogé par USA Today au sujet d’Apu, avait répondu : « Je crois que nous sommes à une époque, dans notre culture, où les gens adorent prétendre qu’ils sont choqués. » Une réponse qui lui avait attiré des critiques, et qu’il avait étoffée quelques mois plus tard dans le New York Times :

    « J’adore Apu. J’adore ce personnage, et je me sens mal qu’il ait pu faire se sentir mal d’autres personnes. Mais en même temps, tout cela est désormais entaché – le débat, il n’y a plus de nuance dans le débat maintenant. »

    Hank Azaria, la voix d’Apu dans la version originale, avait de son côté annoncé en avril qu’il était prêt à renoncer au doublage de ce personnage. Quelques mois plus tôt, il avait fait état de son malaise à l’idée « que quiconque ait pu se retrouver marginalisé » ou « harcelé » à cause du personnage d’Apu. Tout en soulignant que la série s’était toujours moquée de tout un tas de personnes, « les républicains, les Brésiliens, les présidents, les chefs d’établissements scolaires, les Italiens, tout ce que vous voulez » :

    « Et ils ont toujours mis un point d’honneur à ne jamais s’en excuser. Je pense qu’au fil des années, ils ont tout à fait réussi, si je puis dire, à se moquer de tout le monde uniformément, sans se monter vraiment blessant. »

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  • « Le regard égrillard de l’homme blanc a été un élément constituant de la colonisation »

    « Le regard égrillard de l’homme blanc a été un élément constituant de la colonisation »

    L’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch revient sur la polémique suscitée par les images du livre « Sexe, race et colonies ». Un procès qui, selon elle, détourne du vrai sujet.

    Tribune. La réception du gros ouvrage (4 kg) Sexe, race et colonies, qui vient de sortir aux éditions La Découverte, provoque des réactions contrastées voire virulentes. En qualité d’historienne engagée – qualificatif qui n’est pas synonyme de militante –, je pense que l’un des principaux devoirs de l’historien est de privilégier le savoir, et tout le savoir. D’où la nécessité d’aborder quelque question que ce soit de façon sinon frontale du moins dégagée autant que possible de tout affect. Cela implique de lutter contre les non-dits, les réticences d’ordre extra-scientifique, les préjugés de toute sorte, bref d’une façon générale les tabous de l’histoire ou réputés tels.

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    Le sexe aux colonies a fait partie de ces « tabous ». Tabou n’implique pas ignorance. On a étudié les signares, les ménagères, les concubines, les esclaves. Néanmoins c’est l’historienne américaine Ann Stoler qui a, la première, mis en lumière une évidence : le regard égrillard de l’homme blanc, la sexualité, voire la pornographie n’ont pas été un corollaire marginal de la colonisation : c’en est un élément constituant.

    L’ouvrage s’en veut la démonstration visuelle. On l’a écrit, on l’a peu montré, et jamais de façon systématique. D’aucuns, choqués par la crudité des images, ont réagi.

    Ne pas s’en tenir au premier degré

    Quelques journalistes pourtant sérieux s’en sont offusqués avant d’avoir vu le livre, d’autres l’ont fait sans l’avoir lu. Ce n’est pas admissible. Certes, il faut tenir compte des réactions, mais peut-être seulement si elles émanent de femmes noires – les sujets apparemment objectivés de l’ouvrage. Je suis réservée sur les réactions gênées, voire scandalisées de critiques blancs.

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    Car c’est au public blanc que s’adresse le livre, qui exige de ne pas s’en tenir au premier degré. Le propos n’est pas de se régaler de la vue du corps de femmes noires, il est de démontrer le caractère massif, pendant des siècles, de l’utilisation de ces corps par le regard et les actes des hommes (voire des femmes) blancs.

    Ce processus a commencé dès les premiers contacts, au tout début de l’esclavage de couleur, de la traite des unes par les autres. Le documentaire Les Routes de l’esclavage, diffusé le 1er mai 2018 sur Arte et auquel j’ai participé, a entrepris de le visualiser sans complexe.

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    Les images apparaissent avec la traite arabo-berbère, elles se démultiplient avec la traite atlantique. Quoi de plus convaincant que de le montrer ? Comme l’explique l’historien Jean‑Claude Schmitt, « l’image a été un élément clé de l’expansion européenne ».

    C’est le sujet de cet ouvrage. Les auteurs ont visualisé 70 000 images pendant quatre ans. Ils en ont sélectionné 1 200. Certaines étaient connues, ne serait-ce qu’au travers des cartes postales qui circulaient dès les années 1900 et de publications antérieures. La plupart sont inédites, oubliées, ou dissimulées. La masse confirme la thèse du livre : l’usage sexuel et la manipulation coloniale des femmes ont été aussi abondants que permanents. Le fait même que certaines aient été « fabriquées » est une preuve de la sexualisation coloniale.

    Savoir visuel

    La virulence des critiques répond à la violence sexuelle coloniale. On a opposé ce corpus à Shoah, ce monument de Claude Lanzmann (1985), qui évoque tout en ne montrant rien. La comparaison est doublement inacceptable. Shoah repose sur un savoir visuel préalable qui permet à l’imaginaire de se représenter l’inacceptable. Qui plus est, ce « savoir visuel » a été fabriqué, car il n’existe guère d’images des camps d’extermination en action, les cendres étant englouties dans les fours crématoires.

    Les amas de cadavres squelettiques photographiés par les Britanniques et les Américains ne sont pas les restes des juifs et des Tziganes gazés à Auschwitz, mais les victimes du typhus dans les camps de déportation (et non d’extermination) abandonnés par les nazis, notamment Bergen-Belsen. Néanmoins, sans ce travail visuel préalable, Shoah serait incompréhensible pour le public non concerné ou non spécialiste.

    Le savoir visuel réalisé ici est authentique. Il affirme que tous les colonisateurs – administrateurs, commerçants, voyageurs, explorateurs, voire missionnaires – pouvaient (même s’ils ne l’ont pas tous fait) se livrer sur les femmes africaines à ce qui leur était interdit en métropole. Après avoir vu, on ne peut plus faire comme si on ne savait pas. Ces images sont dérangeantes par ce qu’elles font voir qu’il devient impossible de ne pas voir. Je me méfie des réactions effarouchées de lecteurs qui préfèrent se voiler la face plutôt que d’affronter une réalité déstabilisante.

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    J’aurai une réserve ; celle d’une historienne blanche. Car la réaction affective, viscérale, de femmes noires est réelle. L’« insensibilité affective » devient difficile sinon impossible. La chercheuse sait que c’est vrai. La femme a du mal à faire la distinction entre la maltraitance des colonisées et sa propre personne. Elle voit son image : que faire ?

    Entendre l’avis des Africaines d’Afrique

    Expliquer. Inlassablement expliquer que le fait de se voir « noire » sur l’image est le fruit du racisme de couleur instauré depuis des siècles à la faveur de l’esclavage atlantique. Des siècles de dépréciation lui ont fait intégrer la réalité du racisme de couleur. C’est, il me semble, une réaction plus française qu’africaine. En France, les femmes noires font globalement partie d’une minorité menacée, donc fragile.

    En Afrique, des collègues africains consultés ne sont pas aussi choqués que leurs partenaires français. Alain Mabanckou l’a également exprimé à Blois lors d’une table ronde. Ce que montre le livre est vrai, et ils l’ont toujours su. Alors ? Alors, avant de parler à leur place ou en leur nom, il faut d’abord entendre l’avis et les réactions des Africaines d’Afrique.

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    C’est ici que l’intelligence des textes qui accompagnent les images apparaît fondamentale. Comme le souligne Jean‑François Dortier dans un numéro de la revue Les Grands Dossiers des sciences humaines édité à l’occasion des Rendez-vous de l’histoire de Blois, « le pouvoir des images n’existe pas sans un texte et un contexte qui l’accompagnent ».

    Le nombre de critiques qui n’ont pas lu, ou si peu, les textes paraît considérable. Les vingt textes de fond ont été pensés, discutés et écrits par les cinq éditeurs du volume. Ils traitent de ces questions fondamentales en faisant le partage entre le savoir historique et l’usage que l’on peut en faire. Qui a pris le temps de les lire avec attention ?

    Du paradis terrestre au paradis sexuel

    Les auteurs ont procédé au travail chronologique de l’historien, distinguant les phases de la représentation : la première, à partir des XVe et XVIe siècles, révèle, de la part des graveurs et peintres concernés, un mélange détonnant de fascination – pour ces corps étrangers au monde occidental de l’époque – et de domination (présente quelle que soit la période) ; fascination non dépourvue d’obscénité, surtout à partir des XVIIe et XVIIIe siècles, pour ces sociétés qui s’autorisaient des « femmes nues » alors que le puritanisme occidental allait s’accentuer une fois passés les « excès » de la Renaissance.

    La rupture remonte au début du XIXe siècle : c’est la fin du « paradis terrestre », qui va se transmuter en paradis sexuel pour les hommes blancs, dont les épouses, en Europe, sont dorénavant « corsetées au propre comme au figuré », tandis que se généralise l’idée de la sexualité irrépressible de l’homme. Les espaces sexuels sont rejetés vers les colonies. C’est l’épanouissement de la pornographie coloniale, la seule tolérée et même magnifiée en Occident.

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    La centaine de notices complémentaires rédigées par 97 spécialistes internationaux apporte des mises au point n’éludant aucun problème, pédérastie incluse (volontairement sans illustration). On peut ne pas être d’accord. Encore faut-il le démontrer plutôt que de se livrer de façon plutôt répétitive à des attaques ad hominem visant une équipe de chercheurs de qualité.

    Un ciment de l’entreprise coloniale

    L’image et le texte sont inséparables, c’est une exigence historienne. Or beaucoup de lecteurs ne savent pas interpréter les images. Une table ronde à Blois [lors de l’édition 2018 des Rendez-vous de l’histoire dont le thème était « La puissance des images »] était consacrée au retard en France du décryptage de l’image comme source des non-dits contemporains. Ces images assumées par les colonisateurs y compris dans leur esthétisme sont aujourd’hui condamnables. Mais les textes font éviter l’anachronisme.

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    On dira que c’est un vœu pieux, car il existe encore, hélas, nombre de racistes qui pourraient ainsi se « rincer l’œil ». Mais au moins le livre peut-il montrer à tous les autres, qui ne le savaient guère (à l’exception de quelques spécialistes), à quel point les abus sexuels ne furent pas des accidents épisodiques ou marginaux, mais qu’ils constituèrent un des ciments constitutionnels de l’entreprise coloniale.

    Le sujet traité n’est pas la femme noire ou orientale, mais l’idée que s’en faisaient et que s’en font encore certains Blancs. Les auteurs n’auraient-ils pas suffisamment souligné leur propos dans le titre ?

    Encore faut-il tenir compte des exigences de l’édition : faire vendre. On pense ainsi au titre accrocheur de la sérieuse revue L’Histoire en octobre 2018 : « Le Moyen Age a tout osé : l’obscène et le sacré », le thème et ses images n’occupant que 10 % du numéro.

    Le thème du livre n’est pas la sexualité de la femme « exotique » mais l’obscénité du colonisateur blanc.

    Catherine Coquery-Vidrovitch est professeure émérite d’histoire africaine à l’université Paris-Diderot (USPC). Elle a publié en mai 2018 Les Routes de l’esclavage. Histoire des traites africaines, VIe-XXe siècle chez Albin Michel/Arte Editions.

    Cet article a d’abord été publié sur le site de The Conversation.

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