En un nouveau signe de rupture avec la domination de lâEglise catholique, les Irlandais ont massivement approuvĂ© par rĂ©fĂ©rendum, vendredi 26 octobre, lâabrogation de la disposition de leur Constitution faisant du blasphĂšme un dĂ©lit.
Par 69 % des voix, selon une premiĂšre estimation publiĂ©e dans la soirĂ©e par le Irish Times, les Ă©lecteurs ont fait disparaĂźtre lâarticle 40.6.1 de la loi fondamentale qui punissait de 25 000 euros dâamende tout outrage fait Ă la religion. En revanche, 31 % ont votĂ© pour maintenir le dĂ©lit de blasphĂšme lors dâun scrutin marquĂ© par une faible participation.
Ce rĂ©fĂ©rendum, organisĂ© le mĂȘme jour que lâĂ©lection prĂ©sidentielle qui a vu la réélection par 56 % des voix de Michael D. Higgins, avait donnĂ© lieu Ă une campagne aussi terne que les rĂ©cents votes sur le mariage homosexuel et sur lâavortement avaient Ă©tĂ© passionnĂ©s. En mai 2015, 62 % des Irlandais avaient approuvĂ© la lĂ©galisation du mariage pour tous. En mai 2018, ils avaient Ă©tĂ© 66,4 % Ă dire oui Ă la lĂ©galisation de lâavortement.
Loi postcolonisation
La criminalisation du blasphĂšme avait Ă©tĂ© introduite en 1937 dans la Constitution de la toute jeune RĂ©publique dâIrlande, Ă une Ă©poque oĂč lâEglise catholique tenait de fait les rĂȘnes de lâEtat, tout juste nĂ© aprĂšs la libĂ©ration de la colonisation britannique. « Le fait de rendre public ou de profĂ©rer tout propos blasphĂ©matoire, sĂ©ditieux ou indĂ©cent est un dĂ©lit punissable selon la loi », disposait le texte. Lourd symbole de lâemprise du clergĂ©, lâarticle en question nâavait toutefois jamais abouti Ă une condamnation.
En 2015 pourtant, la police irlandaise avait ouvert une enquĂȘte, sur plainte dâun tĂ©lĂ©spectateur, Ă la suite des propos de lâacteur et rĂ©alisateur britannique Stephen Fry sur RTE, la tĂ©lĂ©vision publique irlandaise.
InterrogĂ© sur ce quâil dirait Ă Dieu sâil avait la chance de le rencontrer, Stephen Fry avait rĂ©pondu : « Je lui dirais : âLe cancer des os chez les enfants, quâest-ce que cela signifie ? Comment as-tu osĂ© crĂ©er un monde oĂč il y a tant de souffrance (âŠ) ? â» Puis lâacteur sâĂ©tait demandĂ© « pourquoi il respecterait un Dieu capricieux, mesquin et stupide ». Lâinstruction avait Ă©tĂ© close aprĂšs que la police eĂ»t conclu que trop peu de personnes sâĂ©taient senties outragĂ©es par ces propos. En 2017, le ministre de la santĂ©, Simon Harris, avait qualifiĂ© lâinterdiction dâ« absurde » et dâ« un peu embarrassante ».
Texte obsolĂšte
La disposition rĂ©primant le blasphĂšme, qui Ă©tait en vigueur sous diffĂ©rentes formes depuis des siĂšcles, avait pour la derniĂšre fois donnĂ© lieu Ă sanction au dĂ©but du XVIIIe siĂšcle et les derniĂšres poursuites diligentĂ©es pour ce chef dataient de 1855. Un prĂȘtre affirmant avoir accidentellement brĂ»lĂ© une Bible avait alors Ă©tĂ© jugĂ© et acquittĂ©.
Au dĂ©but dâoctobre, lâEglise catholique dâIrlande elle-mĂȘme avait reconnu que le texte Ă©tait « largement obsolĂšte » et que de telles lois avaient Ă©tĂ© utilisĂ©es « pour justifier la violence et lâoppression contre des minoritĂ©s dans dâautres parties du monde ». Quant Ă lâEglise dâIrlande (anglicane), elle a estimĂ© que « la libertĂ© religieuse est un droit humain fondamental mais que la libertĂ© dâexpression (avec des limites) en est aussi un ».
Amnesty international et le Conseil irlandais pour les droits civiques, principale association de dĂ©fense des droits de lâhomme du pays avaient conjointement appelĂ© Ă voter en faveur de lâabrogation. « La libertĂ© dâexpression se trouve au cĆur de notre dĂ©mocratie, et elle inclut le droit aux discours qui mettent en cause, voire ridiculisent les idĂ©es ou les institutions », estimaient les deux organisations dans un appel commun.
Dans un article publiĂ© par le Irish Times, Roman McCrea, professeur de droit constitutionnel Ă Â University College London, insistait sur le fait que le maintien dâune telle disposition non appliquĂ©e dans une lĂ©gislation europĂ©enne donnait prise aux accusations dâhypocrisie de la part des musulmans. « Il est important, Ă©crit-il, que les Etats signifient clairement aux nouveaux arrivants, dont beaucoup viennent de pays oĂč critiquer la religion nâest pas permis, ce Ă quoi ils peuvent sâattendre. »
Une autre disposition trĂšs datĂ©e de la Constitution, dont lâabrogation devait ĂȘtre mise aux voix le mĂȘme jour, ne lâa finalement pas Ă©tĂ©. Elle dispose que « lâEtat reconnaĂźt que la femme, par son travail domestique, apporte son soutien Ă lâEtat indispensable au bien commun ». Par consĂ©quent, poursuit cet article, « lâEtat sâefforce de faire en sorte que les mĂšres ne sont pas contraintes par nĂ©cessitĂ© Ă©conomique de prendre un travail qui les conduit Ă Â nĂ©gliger leurs tĂąches domestiques ». La réécriture de ce texte hautement contestĂ© et son remplacement par une version non discriminatoire envers les femmes doivent ĂȘtre dĂ©battus ultĂ©rieurement par le Parlement irlandais.
Campagne « à la Trump »
Les Irlandais ont dâautre part réélu le poĂšte et ancien ministre de la culture Michael D. Higgins, pour un deuxiĂšme et dernier mandat de sept ans Ă la prĂ©sidence de la RĂ©publique, fonction purement honorifique. LâĂ©lection au suffrage universel, a Ă©tĂ© marquĂ©e par un faible taux de participation.
Ancien dirigeant du Labour irlandais, ĂągĂ© de 77 ans, cette figure de la vie politique irlandaise Ă©tait le deuxiĂšme prĂ©sident du pays aprĂšs Eamon de Valera, en 1966, Ă briguer un deuxiĂšme septennat. Populaire, soutenu par le premier ministre Leo Varadkar et par trois des quatre grands partis irlandais (Fine Gael au pouvoir, Fianna FĂ il et Labour), quasi assurĂ© dâĂȘtre réélu, M. Higgins a cependant Ă©tĂ© attaquĂ© pour la gestion opaque des finances prĂ©sidentielles et pour avoir utilisĂ© lâavion gouvernemental pour se rendre Ă Belfast, Ă 165 km de Dublin, pour y prononcer un discours.
Il nâavait face Ă lui, outre un candidat du Sinn-Fein (nationaliste) et une indĂ©pendante, que trois riches hommes dâaffaires. Peter Casey, Gavin Duffy et Sean Gallagher sont connus des tĂ©lĂ©spectateurs pour ĂȘtre apparus comme investisseurs dans lâĂ©mission « Dragonâs Den », oĂč des entrepreneurs en herbe disposent de trois minutes pour convaincre des hommes dâaffaires de les financer. Un symbole dans une Irlande dont lâĂ©conomie est de nouveau florissante aprĂšs que le pays a Ă©tĂ© mis Ă genou par la crise financiĂšre de 2008.
Lâun de ces challengeurs, Peter Casey, sâest distinguĂ© par une campagne « à la Trump » au cours de laquelle il a critiquĂ© la dĂ©pendance Ă lâĂ©gard des aides sociales notamment des Irlandais gens du voyage (« Irish travellers »). Vendredi soir, lâestimation « sortie des urnes » le crĂ©ditait de 21 % des voix.
La prospĂ©ritĂ© du pays se trouve aujourdâhui menacĂ©e par le Brexit dont lâIrlande, dĂ©pendante du Royaume-Uni pour le niveau et la logistique de son commerce extĂ©rieur, pourrait ĂȘtre la premiĂšre victime en cas de rĂ©tablissement de contrĂŽles douaniers.
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