« C’est mon livre le plus personnel », confie Annette Wieviorka. En retraçant, dans Ils étaient juifs, résistants, communistes, la geste tragique des FTP-MOI (Francs-tireurs partisans-Main-d’œuvre immigrée) qui participèrent, à Paris, mais aussi à Lyon et à Grenoble, à la lutte armée contre l’occupant allemand pendant la seconde guerre mondiale, c’est une part de sa propre histoire qu’elle raconte. « Ces gens sont les miens », confie sobrement l’historienne dans son appartement plein de livres du 10e arrondissement de Paris. Ce quartier, elle ne l’a jamais vraiment quitté. Il était avant guerre l’un des cœurs du « yiddishland » de la capitale, avec ses artisans, ses journaux, ses clubs sportifs, ses querelles politiques.
Publié une première fois en 1986 chez Denoël, le livre était depuis longtemps épuisé. Mais son auteure s’était toujours opposée à sa réédition en l’état. « En l’espace de trente ans, explique-t-elle, tout a changé, avec l’ouverture complète des archives, notamment celles de la police et du ministère de l’intérieur, et la publication des Mémoires de plusieurs protagonistes, complétant les récits des survivants que j’avais interrogés à l’époque. »
Elle l’a donc considérablement augmenté par rapport à la première édition, ce qui en fait, plus que jamais, le livre de référence sur cet épisode longtemps ignoré hors de l’entre-soi des anciens de la MOI, dont l’ancien secrétaire général de la CGT Henri Krasucki (1924-2003) – guère plus de 200 survivants. Lesquels parlaient peu. « Jamais je n’ai rencontré de résistants juifs triomphants, leur modestie était à la mesure du drame subi par leur famille », analyse Annette Wieviorka.
Le poème d’Aragon chanté par Léo Ferré
C’est paradoxalement l’affiche apposée par les Allemands sur les murs de France, avec les portraits des « terroristes étrangers » du « groupe Manouchian » – 23 membres des…
« Dr Livingstone, I presume ? » L’apostrophe est célèbre, mais qui se souvient qu’elle a été lancée à l’automne 1871 par un jeune Blanc arrivant à Ujiji (Tanzanie), village situé sur les rives du lac Tanganyika, à l’attention d’un autre Blanc au visage émacié, qui n’avait pas côtoyé d’Européens depuis cinq ans ?
A l’époque où le missionnaire écossais David Livingstone fut retrouvé par le journaliste Henry Morton Stanley, les grandes puissances européennes se partageaient l’Afrique, et ce « continent noir », largement méconnu, nourrissait un imaginaire colonial plus ou moins imprégné de racisme. Une fascination trop souvent faite de clichés et de préjugés qui transparaît nettement dans les écrits de Stanley et Livingstone, dont les ouvrages figurent en bonne place dans l’exposition « Récits du monde » qui se tient actuellement à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), près de Caen.
« Construction historique »
« L’imaginaire des voyages tels que nous les pratiquons en Occident est le produit d’une construction historique, on s’en rend compte immédiatement en explorant les archives de l’IMEC », note son commissaire, Gilles A. Tiberghien. Maître de conférences en esthétique à l’université Paris-I, celui-ci a eu carte blanche pour dénicher dans les fonds de l’IMEC les documents illustrant ce rapport au monde. Manuscrits d’œuvres, affiches, guides, cartes, revues, photographies ou ouvrages rares : entre histoire et géographie, fiction et documentaire, description et invention, ces archives dessinent en creux l’évolution qui se produit en deux siècles dans la manière occidentale de découvrir l’altérité.
En 1798, Bonaparte entame sa campagne d’Egypte. Il y associe une armée de savants, ingénieurs, écrivains, naturalistes, qui réunissent une documentation foisonnante sur la région. L’expédition inspirera durablement le mouvement artistique dit « orientalisme », et de nombreux poètes et écrivains dans la première…
L’Islande fascine, inspire et, depuis quelques années, la passion des Français pour l’île volcanique va grandissant. Comment est-elle représentée dans la fiction, à la fois nationale et étrangère ? L’Islande rêvée est-elle éloignée de la réalité ?
Une table ronde organisée dans le cadre du Monde Festival, samedi 6 octobre, avec les romanciers islandais Audur Ava Olafsdottir et Arni Thorarinsson, le traducteur littéraire Eric Boury et Mathias Malzieu, auteur-compositeur et chanteur du groupe de rock français Dionysos. Animée par Marie Charrel, journaliste au Monde.
Au creux des vacances, nous vous proposons deux documentaires et une série, trois contenus d’excellente qualité. Libye, anatomie d’un crime dévoile les terrifiants sévices subis par les prisonniers pendant la révolte populaire, Mon pays fabrique des armes brise le tabou des ventes d’armes françaises à l’étranger, tandis que la série Etonnants jardins nous emmène à la découverte des plus beaux paysages taillés par l’homme.
Des hommes violés en Libye
On ne verra jamais son visage, juste des plans sur ses mains abîmées et sur ses lèvres sèches. « Il n’y a pas de mot pour décrire ce que j’ai vu », lance, désespéré, Ahmed. Cet homme a passé cinq ans dans une prison libyenne. Cinq années durant lesquelles il a côtoyé des geôliers prêts à toutes les perversités pour humilier leurs prisonniers.
Ce qu’Ahmed s’apprête à décrire est abject : « Ils [les gardiens] prenaient un balai, ils le fixaient au mur et il fallait que tu te l’enfonces. Imagine à quel point tu te sens anéanti. On est nombreux à avoir subi des viols. Ils te violaient et ils filmaient avec un téléphone. »
Face à lui se tient Imad, un militant libyen exilé à Tunis. Avec Ramadan, un ancien procureur, ils tentent de rassembler et de consigner des témoignages de compatriotes – hommes et femmes – violés par les soldats de Kadhafi, envoyés pour mater la révolte populaire (qui commença en 2011) ; puis par des membres de milices armées après la mort du « guide ». Leur but ? Fairetraduire les donneurs d’ordres devant la justice internationale. Pour cela, ils sont épaulés par la juriste Céline Bardet, spécialiste des crimes de guerre. Ce documentaire suit ces deux exilés dans cette quête périlleuse, tant il est difficile de faire parler des hommes qui ont subi des violences sexuelles. Mustapha Kessous
« Libye, anatomie d’un crime »,de Cécile Allegra (France, 2018, 75 minutes). Disponible sur Arte.tv jusqu’au 21 décembre et sur YouTube.
Une « équipe France » armée
La France vend des armes, beaucoup, et depuis longtemps. Est-ce son rôle d’exporter des armes dans le monde entier, particulièrement au Moyen-Orient aujourd’hui à feu et à sang ? « Oui, c’est notre rôle », tranchait François Hollande en avril 2017 dans une usine du missilier MBDA. Un « Circulez, rien à voir ! » que le documentaire de la journaliste Anne Poiret tente de bousculer. Car, si la première affirmation du film se discute assurément – « Nous ne savons rien » –, la deuxième est une vérité sur laquelle il vaut de s’interroger : le sujet des ventes d’armes forme « un angle mort du débat public ».
Avec 17 milliards d’euros de prises de commandes en 2016, montant record historique, la présidence de François Hollande a plus que toutes les autres vendu canons et munitions, rappelle le film. Et pourtant aucun des responsables de l’époque n’a assumé cette politique devant la caméra d’Anne Poiret : ni le chef de l’Etat ni son ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, présenté par l’exécutif comme le chef performant de « l’équipe France », qui a engrangé des ventes depuis l’Inde jusqu’au Qatar.
Dans les démocraties occidentales, la guerre au Yémen a depuis 2015 relancé une forte interpellation morale : peut-on continuer de fournir en matériels militaires des protagonistes, Arabie saoudite en tête, accusés de commettre des crimes de guerre envers les populations civiles ? Le film ne comporte pas de révélations, mais il a le mérite de donner aux citoyens les clés du débat. Nathalie Guibert
« Mon pays fabrique des armes », d’Anne Poiret (France, 2018, 70 minutes). Disponible sur France.tv jusqu’au 22 novembre.
Des jardins pas comme les autres
Après le jardin Inhotim, au Brésil, ou celui de la spéculation cosmique, en Ecosse, toujours visibles sur le site d’Arte, la deuxième saison d’« Etonnants jardins » nous fait découvrir, cinq autres créations contemporaines.
Première étape : Awaji Yumebutai, conçu par la star japonaise de l’architecture, Tadao Ando. Vaste complexe incluant un théâtre à ciel ouvert et d’immenses serres, cette « scène pour les rêves » est parcourue par des corridors et des escaliers qui ne mènent nulle part, version moderne du labyrinthe. Deuxième étape : le Jardin plume, en Normandie. Ces trois hectares de verger ont été métamorphosés par Sylvie et Patrick Quibel, un couple de pépiniéristes. Les buis taillés y mettent en valeur la « folie végétale » des fleurs et des graminées, légères comme… la plume.
Troisième étape : le parc paysager de Duisburg-Nord, en Allemagne, réhabilitation d’un ancien site de la Ruhr de… 230 hectares. Pari réussi au vu des images de ces ruines industrielles transformées en jardins que se sont appropriés les habitants. La quatrième étape était le jardin de cactus de l’île de Lanzarote (Canaries).
Enfin, ultime étape, la plus fascinante : les jardins suspendus de la High Line new-yorkaise. Aménagés sur une ancienne ligne de chemin de fer traversant la ville, ils ont su conserver leur simplicité d’origine. Avec cette injonction à ceux qui l’arpentent que connaissent bien les jardiniers : « Prends ton temps… »Lucien Jedwab
« Etonnants jardins »,série documentaire deStéphane Carrel, Pat Marcel et Charlotte Faure (France, 2017, 5 x 26 minutes), disponible sur Arte.tv et sur YouTube.
Jia Zhang-ke a sorti sa plus belle perche à selfie pour l’occasion. Le réalisateur la promène, coiffée d’un smartphone fluet, tandis qu’il musarde sur le « red carpet » du festival de cinéma qu’il a créé, il y a un an, à Pingyao. Le tapis est du même rouge que les drapeaux de la République populaire chinoise qui flottent fièrement sur l’artère principale de cette bourgade touristique de la province du Shanxi, située à 585 km au sud-ouest de Pékin – Pingyao ne compte que 500 000 habitants, une bagatelle à l’échelle du pays.
Lors du dernier Festival de Cannes, une escouade de six agents de sécurité veillait à ce qu’aucun selfie n’entache la montée des marches. A Pingyao, les régiments de l’armée, qui patrouillent à vive cadence durant toute la manifestation, laissent faire. Il serait inopportun de voir dans le geste de « mister Jia », comme on l’appelle ici, un bras d’honneur aux instances cannoises, qui ont sélectionné six de ses douze longs-métrages, dont le plus récent, Les Eternels, en mai.
Non, si le grand mandarin du cinéma d’art et d’essai a dégainé sa perche, c’est pour se persuader qu’il ne rêve pas : pour la deuxième année d’affilée, près de 150 000 de ses compatriotes, selon le décompte officiel, sont venus découvrir une cinquantaine de films chinois et étrangers, du 11 au 20 octobre. Alors, l’engin de Jia s’attarde longtemps sur les visages enthousiastes de ces lycéens, étudiants, cinéphiles, blottis contre les rambardes blanches ; certains ont fait le voyage de très loin – Sichuan, Yunnan… – pour se retrouver là, dans la région la plus charbonneuse du pays, ce Shanxi noir de suie où il a vu le jour, il y a 48 ans, et fait ses premières armes de cinéaste.
La déesse aux vingt-six bras
Ainsi augmenté d’un membre métallique, Jia Zhang-ke ressemble à la déesse aux vingt-six bras qui trône au cœur du temple taoïste Shuanglin, l’une des principales attractions du coin. Combien de perches, au juste,…
Collaborateur de longue date de Jia Zhang-ke, Nathanaël Karmitz, 40 ans, est le directeur général de MK2, une société basée à Paris, où cohabitent plusieurs métiers du cinéma (production, exploitation, distribution, édition, ventes internationales…).
Jia Zhang-ke se réfère souvent à ce qu’il appelle le « modèle MK2 ». A quand remonte votre collaboration ?
Nous avons assuré les ventes internationales de 24 City, en 2007. Depuis, nous ne nous sommes pas quittés, jusqu’à coproduire ses deux derniers films. MK2 correspond bien à ces grands réalisateurs qui portent un message universel dans des pays où le cinéma est un art vivace, mais contraint. Ils ont besoin d’appuis, d’ouvertures. Ce fut le cas hier pour Abbas Kiarostami en Iran ; c’est aujourd’hui le cas pour Jia.
Du maoïsme au gouvernement Sarkozy, votre père, Marin, s’est frotté à la chose politique. Que vous inspirent les engagements de Jia Zhang-ke ?
Sa dialectique est similaire à celle de mon père, en effet : pour faire bouger un système, mieux vaut-il opérer de l’intérieur ou de l’extérieur ? La situation chinoise, dont on mesure mal la complexité, appelle à la nuance. Jia montre qu’il est possible d’exercer un regard critique, sans basculer dans la dissidence. Il porte « une autre idée du cinéma », comme on dit chez MK2. En cela, il peut être rapproché de Kiarostami ou de Cristian Mungiu, qui promeut l’art et essai en Roumanie avec une caravane itinérante.
Vous avez conseillé Jia Zhang-ke avant qu’il ouvre son réseau de salles art et essai, à Pingyao et Fenyang. Pour l’heure, la fréquentation n’est guère au rendez-vous…
De Bi Gan à Jia Zhang-ke, le cinéma chinois est le plus grand inventeur de formes de ce début de siècle. Mais c’est un art très jeune. Il faudra un peu de temps encore pour qu’un écosystème cinéphile vertueux, porté depuis les écoles jusqu’aux médias, se structure…
« Nous sommes arrivées sans projet, avec tout à construire, mais avec une liberté immense », se réjouit la jeune commissaire indépendante Martha Kirszenbaum, choisie par Laure Prouvost pour l’accompagner dans l’aventure du Pavillon français à la 58e Biennale de Venise, en 2019. En mai, l’artiste était choisie pour représenter la France selon un mode de nomination classique, après deux éditions issues d’appels à projets où les artistes candidataient avec des propositions clés en main – note d’intention, commissaire et mécènes.
C’est « pour offrir une visibilité à son travail et attirer les mécènes » qu’est présentée au Studio des Acacias, à Paris, l’exposition de Laure Prouvost You Are My Petrol, My Drive, My Dream, My Exhaust, explique le fondateur de cet espace, Paul-Emmanuel Reiffers, président de Mazarine Groupe et mécène du projet vénitien. Projet dont la commissaire détaille un financement partagé, en termes de production, entre « un tiers de fonds publics, à hauteur de 300 000 euros apportés par l’Institut français, et deux tiers de mécénat ».
Martha Kirszenbaum, commissaire indépendante : « Laure a 40 ans, moi 35, et cette question de génération n’est pas anodine »
« On a finalement peu vu son travail en France », relève Martha Kirszenbaum. La première exposition personnelle de l’artiste dans une institution parisienne se tenait cet été au Palais de Tokyo au sein de la saison « Enfance », où culminait une joyeuse fontaine de seins monumentaux aux tétons jaillissants. « C’était une exposition intime. A Venise, ce sera plus ouvert sur le monde, sous la forme d’un road-trip jusqu’à la Biennale », annonce l’énergique trentenaire, qui révèle les grandes lignes du projet.
« Nous allons représenter la France, alors que nous sommes deux outsiders, et c’est une donnée qui nous intéresse pour Venise. Laure n’a jamais vécu à Paris : elle a grandi près de Roubaix,…
Huit ans après Red Dead Redemption premier du nom, le second épisode est sorti sur PlayStation 4 et Xbox One vendredi 26 octobre. Il s’agit de la superproduction la plus ambitieuse des studios Rockstar depuis Grand Theft Auto V, le jeu le plus vendu de l’histoire, en 2013. Pendant cinq heures, nos journalistes ont découvert le jeu en direct et répondu aux questions des internautes.
PlasticHole : Pourquoi pas de sortie sur PC ? Ça a l’air trop chouette…
Le premier Red Dead Redemption, déjà à l’époque, n’était pas sorti sur PC. On a en revanche vu un employé de Rockstar lister sur LinkedIn Red Dead Redemption 2 comme étant un jeu pour Playstation 4, Xbox One… et PC. GTA V était lui aussi sorti uniquement sur consoles au départ, avant d’être porté sur ordinateurs deux ans après.
Zaq : Graphiquement vous en pensez quoi ? Je trouve pas le résultat extraordinaire comparé à un jeu comme « The Witcher 3 » pourtant de trois ans plus vieux.
A en juger par la version que nous testons (sur la PlayStation 4 standard), la direction artistique est plaisante, les paysages très réussis, mais ce n’est pas sidérant. Il ne faut pas s’attendre à un bond spectaculaire par rapport à d’autres jeux du genre.
Chico_Francky_Joe : N’ayant jamais joué au premier épisode, est-ce une suite du premier, ou une histoire distincte ?
Red Dead Redemption 2 est, comme son nom ne l’indique pas, une préquelle du premier, c’est-à-dire qu’il se déroule avant. On y croise les mêmes personnages, avec quelques années de moins. Pour autant, il ne se passe pas en même temps que Red Dead Revolver, dont Red Dead Redemption premier du nom était la suite. (Vous suivez ?)
Zaq : Le jeu est en monde ouvert ou linéaire ? Pour l’instant, pas l’impression qu’on puisse beaucoup s’écarter de la mission suivie.
On peut affirmer que le début du jeu est extrêmement linéaire (ce qui est du reste courant dans pas mal de jeux en monde ouvert, qui aiment bien poser l’ambiance et présenter les mécaniques de jeu dans un cadre restreint au départ). Le niveau 1-1 de Super Mario Bros. laissait plus de liberté d’exploration. La carte s’ouvre complètement à partir du chapitre 2, au bout de deux bonnes heures de jeu.
J’ai_du_rater_un_truc : Est-ce que c’est amusant d’y jouer ? je vous regarde depuis cinq minutes et ça paraît terriblement lent et naze.
C’est contemplatif, comme un Sergio Leone. Ce n’est pas naze, mais très convenu. Et très lent, on ne va pas vous mentir.
Samuel RD : Bonjour, ne trouvez-vous pas cela un peu inapproprié de réaliser un test en direct de « Red Dead Redemption 2 » (qui s’apparente surtout à un gros coup de pub pour Rockstar Games) alors même que tout au long de cette semaine votre même quotidien a publié trois articles sur les conditions de travail très critiquables au sein de ce studio de création ?
Au contraire. Nous avons activement couvert la question des conditions de travail au sein de Rockstar. Cela n’empêche pas de parler également du jeu en tant que produit culturel et œuvre de l’esprit, sous un angle par ailleurs critique.
Hakimême : J’ai l’impression que « Red Dead Redemption 2 » navigue dans une « vallée de l’étrange du gameplay ». On ne sait pas trop si c’est réaliste ou amusant, on ne sait pas trop où est le cliché et où est l’implication personnelle. Et ce manette en main. Est-ce que cette image vous parle ou bien est-ce que je cerne mal le jeu ?
C’est assez juste, et cela colle avec les efforts du jeu pour tenter de brouiller les frontières entre jeu et cinématique. Cela lui donne des allures de longue cinématique interactive, mais le revers de la médaille, c’est que le joueur y est moins actif.
Elpilone : Pour l’instant je retrouve tout ce que je n’avais pas apprécié dans le premier : des dialogues interminables à cheval. On s’ennuie !
Disons que ce n’est pas intense tout le temps.
Emil : Y a-t-il une partie gestion des points d’expérience du personnage ? (meilleure agilité, course à pieds, efficacité au tir… ?)
S’il y en a une, on ne le sait pas, car nous sommes toujours au niveau 1. Ce n’est pas trop dans l’esprit des jeux de Rockstar : la progression se fait plus naturellement, comme dans GTA III qui demandait d’aller à la salle de sport pour se muscler, ou dans ce Red Dead où, grâce aux progrès fulgurants de la technologie, les poils de barbe du personnage poussent en temps réel.
Arthur Morgan : Est-ce que vous trouvez vous aussi que la prise en main n’est pas simple ? Entre la lourdeur du personnage et toutes les possibilités du gameplay, j’avoue être parfois perdu (je n’ai fait que le chapitre 1).
Il y a des combinaisons de touches pour tout, c’est effectivement un coup à se perdre.
Emil : Je déteste toujours autant les jeux de tir à la troisième personne à la manette, absolument vomitif pour moi dans les déplacements et les tentatives pour viser…
On a effectivement trouvé la vue à la troisième personne pas bien pratique, avec un viseur qui ne prend pas en compte l’allonge du bras dans les corps-à-corps par exemple, et une mire qui ne laisse pas forcément deviner que la dispersion des balles est importante avec certaines armes.
Moi : L’histoire est intéressante et bien ficelée ou sans intérêt ?
Très diluée. On est plus dans une immersion dans un gang du Far West que dans une intrigue ténue avec un suspense bien établi. C’est lié à la longueur de l’aventure, qui s’étalonne sur plusieurs dizaines d’heures.
Un_fonctionnaire_un_vrai : Vous pensez quoi de la traduction des sous-titres ?
On perd un peu le côté coloré de certaines expressions, mais globalement elle est bonne.
OrcishAle : Il est étrange de dire une chose pareille, mais de ce qu’on en voit pour le moment, « Assassin’s Creed Odyssey » aura été une claque plus conséquente que « Red Dead Redemption 2 » – qui semble être un « GTA V » avec un revêtement de western…
Les hellénistes et les fans de gladiateurs de pixels sont plus clients du pourtant plus classique Assassin’s Creed Odyssey pour l’instant. Mais il y a des choses folles dans la façon de mettre en scène Red Dead Redemption 2 et de brouiller la frontière entre cinématique et jeu-jeu (ou gameplay).
Mehdi : Est-ce effectivement LE jeu de l’année ou y a-t-il d’autres sorties prévues qui pourraient contester ce titre ?
Corentin Lamy : J’ai quatre ou cinq « GOTY » (game of the year) en tête mais le plus récent c’est Obra Dinn (dont le test est en cours de rédaction).
William Audureau : Pour l’instant, je dirais Celeste et Assassin’s Creed Odyssey. J’ai aussi apprécié Spider Man, mais aucun jeu ne m’a vraiment marqué cette année. Mon vrai « GOTY », c’est Undertale sur Switch. Il reste encore Super Smash Bros. Ultimate début décembre, si l’on s’en tient aux grosses franchises.
« Danser brut ». Le titre de l’exposition du Lille art Musée (LaM), à Villeneuve-d’Ascq, claque sec. Il propulse une énergie qui fuse sans prévenir. Il trace aussi le périmètre d’action d’un accrochage qui tire des bords entre gestes volontaires et involontaires, conscients et inconscients en abordant les danses de possession et les phénomènes pathologiques.
Ce parapluie thématique permet de rassembler, en les juxtaposant parfois, des œuvres variées comme des dessins du chorégraphe Vaslav Nijinski (1889-1950), exécutés dans les années 1915-1917 avant qu’il soit interné, des vidéos de la danseuse expressionniste allemande Valeska Gert (1892-1978), mais aussi des clichés de patientes épileptiques soignées par Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière à partir de 1870 et des dessins d’art brut signés par l’Américain Lewis Smith (1907-1998).
Pleine de péripéties visuelles, avec plus de 300 œuvres, dessins, peintures, photos et films, et paradoxalement fluide dans sa circulation, l’exposition, sous la houlette de Savine Faupin et de Christophe Boulanger, égrène une série de chapitres autour du tournoiement, des mouvements ordinaires et extraordinaires, des rapprochements entre hystérie et burlesque… « “Danser brut” donne à voir des gestes non catalogués comme gestes de danse et rarement enregistrés, précisent les commissaires. Certains restent invisibles, car ils n’ont pas été photographiés, ni dessinés ni filmés. D’autres existent par des témoignages. »
Le LaM possède le plus important ensemble d’art brut en France avec près de 3 500 œuvres de 170 créateurs français et étrangers
Le psychiatre Jean Oury, présent à travers une vidéo, évoque par exemple, dans son livre Création et Schizophrénie,la pirouette sur lui-même qu’exécutait un patient, placé sous une gouttière percée, à chaque fois qu’une goutte d’eau tombait.
La collection d’art brut du LaM, qui possède le plus important ensemble en France…
Joseph Haydn L’Ours Le Concert de la Loge, Julien Chauvin (violon et direction)
Aussi attractif (programme recherché mais divertissant, interprétation experte mais vivifiante) que les précédents, le troisième volume de l’intégrale des six symphonies dites « parisiennes », que Joseph Haydn a composées entre 1785 et 1786 à l’intention du Concert de la Loge olympique, démontre que L’Ours n’est pas moins élégant que La Reine ni moins remuant que La Poule, les deux pages de la série déjà enregistrées. Plus justifié à l’écoute que celui des symphonies de Haydn, le titre de la Symphonie concertante mêlée d’airs patriotiques (1794) de Jean-Baptiste Davaux tient toutes ses promesses, avec de savoureuses variations sur La Marseillaise et La Carmagnole. Quant à la Symphonie concertante (1789) de François Devienne, elle permet à Julien Chauvin de renouer avec une pratique révolue sinon révolutionnaire, en permettant (captation live) au public d’applaudir entre les divers solos. Pierre Gervasoni
Maurane avait fait ses débuts, à la fin des années 1970, en chantant Jacques Brel et songeait depuis plusieurs années à lui consacrer un album. Elle avait commencé à y travailler avant sa mort, le 7 mai. Ce Brel par Maurane a été finalisé par sa fille, Lou Villafranca, avec Philippe Decock, le pianiste de la chanteuse. Maurane est ici en distance très juste par rapport à la dramaturgie, la théâtralité que l’on pouvait entendre chez Brel. Tantôt presque rieuse (Vesoul, Rosa), tantôt rêveuse (Je ne sais pas, La ville s’endormait, Une île), dans une grande exactitude d’émotion lorsqu’elle aborde les thèmes les plus poignants du répertoire de Brel (La Chanson des vieux amants, Quand on a que l’amour, Ne me quitte pas). Avec piano, guitare acoustique, contrebasse, une formation de cordes pour deux thèmes, ici et là, une trompette, un bugle, des percussions… Les arrangements de Lou Villafranca et Philippe Decock constituent un précieux écrin musical à ces derniers chants de Maurane. Sylvain Siclier
Sept mois après Toute latitude, marquant un retour aux amours électroniques, Dominique A livre son deuxième album de l’année, jumeau par sa thématique (le temps, l’enfance, les paysages), puisque les textes ont été écrits au même moment. Après les brisures rythmiques, place à une veine aussi élégiaque mais plus mélodique, autour des arpèges et des boucles d’une guitare espagnole, qui se déroulent comme pour rappeler une entêtante absence, celle de Leonard Cohen, dont la mort, le 7 novembre 2016, a inspiré la magnifique chanson d’ouverture, La Poésie. Rehaussé de claviers new wave évanescents et d’une machinerie légère, ce disque en solitaire confirme, a contrario de son titre, la solidité d’une écriture dénuée d’effet de manches (Le Grand Silence des campagnes, J’avais oublié que tu m’aimais autant) et la beauté sensible et pudique d’un chant qui se laisse pourtant aller au vibrato sentimental (Comme au jour premier). L’écoute pourra être complétée par la lecture de Ma vie en morceaux (Flammarion, 222 p., 18 €), le cinquième livre publié par Dominique Ané (qui reprend son nom à l’état civil quand il écrit), récit d’épisodes de son existence à travers 26 de ses chansons, du Courage des oiseaux,ce tube générationnel underground, au Ruban, évocation des civils pendant la deuxième guerre mondiale, une des plus belles réussites de La Fragilité. Bruno Lesprit
Sniper avait marqué le rap français des années 2000, avec des titres comme Gravés dans la roche ou Sans repères. La force de ce trio repose sur la combinaison de voix assez distinctes et une acuité avec sa génération. Séparé une première fois en 2007, il réussit un retour gagnant avec ce cinquième album en s’associant avec de jeunes beatmakers comme Seezy (remarqué sur les albums de Vald, il signe ici les meilleurs morceaux,Je suis, Le doigt où ça fait mal, Sablier, Ça va alleravec Soprano), William Chauvet et l’incontournable Dany Synthé. La qualité des textes va avec la sincérité, Aketo n’hésitant pas à revenir dans Je suis sur le passage à vide (« J’ai perdu confiance en moi, pointé à Pôle emploi »). Jusque-là abonné aux refrains, Blacko signe un couplet acerbe sur les nouveaux rappeurs : «MC décérébré, génération dégénérée, haine et bêtises célébrées. » Réjouissant. Stéphanie Binet
Si prolifique depuis ses débuts – My Aim Is True (1977) –, Elvis Costello nous avait laissés sans nouvelles depuis 2013 et son album collaboratif avec les virtuoses R’n’B de The Roots, Wise Up Ghost. La faute à un pépin de santé, mais aussi, sans doute, à un poil d’amertume face à l’insuccès de ses dernières productions. Il faut dire que, piégé par sa soif d’embrasser tous les genres (jusqu’à la musique contemporaine) et une conscience trop démonstrative de son encyclopédisme pop, cet exceptionnel songwriter avait perdu de sa magie. Comme revigoré par ce break, l’ancien leader des Attractions (devenus les Imposters) étincelle à nouveau dans Look Know. Retrouvant lisibilité mélodique, pertinence émotionnelle et malice narrative, l’Anglais à la voix râpeuse aligne un sans-faute de 12 titres, puisant avec délice dans sa passion pour l’aristocratie de la musique populaire (deux chansons à nouveau composées avec le maître Burt Bacharach, avec qui il cosigna Painted From Memory, en 1998 ; une autre écrite, il y a vingt-cinq ans, avec Carole King) et ses souvenirs de jeunesse (le « beatlemaniaque » Under Lime, le très Stax Mr. and Mrs. Hush, de parfaites ballades vintage telles Stripping Paper ou Photographs Can Lie). Boosté par une vitalité qui permet à ce 34e album de s’approcher d’anciens sommets tels This Year’s Model, Get Happy ! ou Imperial Bedroom. Stéphane Davet
Fort séduisant, cet album composé de dix nouveaux titres sera le dernier, prévient la star malienne, qui fêtera ses 70 ans en 2019. Officiellement, pour justifier cette retraite, Salif Keita parle de lassitude par rapport aux contraintes de la vie de chanteur, tout en rassurant son public – il ne décrochera pas complètement de la scène. Pour cet enregistrement, il a voulu faire les choses en grand. D’où le nombre d’invités renommés (MHD, Alpha Blondy, Angélique Kidjo, Yemi Alade, Ladysmith Black Mambazo), la liste impressionnante de musiciens et vocalistes se succédant au fil des différentes chansons (dont Paco Sery, Alune Wade, Hervé Samb, Cheick Tidiane Seck, Jean-Philippe Rykiel, Julia Sarr…). Des artistes avec qui Salif Keita a fraternisé à un moment ou l’autre de sa longue carrière (quasiment un demi-siècle). La voix est toujours magnifique et bouleversante, même si l’on aurait aimé que fût évité l’usage épisodique du vocoder et autres trucages électro. Patrick Labesse