Archétype, avec son confrère guitariste de l’Oklahoma J.J. Cale (1938-2013), de l’attitude et du style laid-back (décontracté) dans le country-rock américain, Tony Joe White est mort, mercredi 24 octobre, d’une crise cardiaque à son domicile de Leiper’s Fork, village du Tennessee.
Agé de 75 ans, ce musicien discret et taciturne venait de publier, fin septembre, un album de blues, Bad Mouthin’ (Yep Roc Records), du nom de la toute première chanson née de sa plume, en 1966, restée inédite. Dans ce disque à dominante acoustique, produit par son fils, et minimaliste (le chant, la guitare et l’harmonica de Tony Joe White, à l’occasion accompagnés d’une basse et d’une batterie), il citait, à côté de quelques compositions originales, ses sources : son modèle pour la six-cordes, Lightnin’ Hopkins, les maîtres du boogie John Lee Hooker et de l’électricité Jimmy Reed.
Musique des marais de Louisiane
Le nom de Tony Joe White reste d’abord associé à un classique, Polk Salad Annie, qui devait définir en 1969, avec les hits de Creedence Clearwater Revival (Born On The Bayou, Proud Mary, Green River), le swamp rock, cette musique des marais de Louisiane, fantasmés dans le cas du Californien John Fogerty, tout à fait empiriques pour Tony Joe White.
Enregistré dans les studios de Muscle Shoals (Alabama), alors sanctuaire de la fusion fertile entre le rhyhm’n’blues et la country, Polk Salad Annie débute par un groove énergique et le grognement d’un homme qui semble avoir été surpris pendant sa sieste. Sa guitare imite, selon son expression, « le sifflement du boomerang » et les cuivres coassent comme un chœur de batraciens. Les paroles composent une fable autour d’une miséreuse ramassant des légumes locaux accommodés en salade, dont la méchante mère-grand a été dévorée par les alligators. Publiée chez Monument, le label de Roy Orbison, Polk Salad Annie connaît…
L’humoriste et comédien est sur la scène de L’Européen à Paris, chaque mardi et mercredi, jusqu’au 21 novembre.
Par Sandrine BlanchardPublié hier à 16h30, mis à jour hier à 19h07
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En cet automne, Marc Fraize se régale. La patience de cet humoriste clownesque, qui a sillonné les salles de province pendant des années, est aujourd’hui récompensée. Alors il est heureux et ne s’en cache pas. Heureux de partager ses semaines entre Paris – où il joue chaque mardi et mercredi son inoubliable personnage lunaire et ingénu sur la scène de L’Européen – et Bourgvilain, un village de Saône-et-Loire où il vit avec sa femme, institutrice, et ses deux enfants. Heureux aussi des « cadeaux » que lui fait depuis peu le cinéma en lui offrant des seconds rôles remarqués (Problemos,d’Eric Judor, Le Redoutable,de Michel Hazanavicius, Au poste !,de Quentin Dupieux).
« Je suis gâté en ce moment et je n’ai pas besoin de plus », résume ce comédien qui, avec son air de débarquer de nulle part, déboussole le public par son jusqu’au-boutisme et sa sincérité enfantine. Son personnage de Monsieur Fraize, qu’il interprète depuis dix-sept ans, s’est bonifié, enrichi et s’inscrit à rebours de la scène humoristique actuelle, où les vannes doivent fuser toutes les quatre secondes. Lui a pris le contre-pied de cette mode. « Je suis un enfant de Coluche, de Mister Bean, de Bourvil, de ces personnages antihéros. C’est ce qui m’a donné envie de faire rire », explique-t-il.
Marc Fraize, humoriste : « Je suis un enfant de Coluche, de Mister Bean, de Bourvil, de ces personnages antihéros »
Marc Fraize est comme son personnage, d’une franchise déconcertante, sympathique et attachant. Hermétique au show-biz, il a quitté sans regret, en 2011, le plateau d’On ne demande qu’à en rire, sur France 2, refusant de se plier au format et au rythme de l’émission. « Je plais beaucoup aux déçus de l’humour, à ceux qui le voient se formater et devenir un business, constate-t-il avec lucidité. J’ai un style à part, hors cadre et je ne cherche pas le pognon. »
A l’Institut Giacometti, à Paris, la rencontre entre les deux artistes est posthume.
Par Philippe DagenPublié hier à 15h40, mis à jour hier à 17h30
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Jeune et timide, au début des années 1960, Annette Messager entrevoyait parfois Alberto Giacometti dans un café de Montparnasse, sans oser lui parler. Désormais, ils sont intimes. Le sculpteur reçoit l’artiste dans la maison devenue l’Institut Giacometti, à Montparnasse naturellement. La rencontre est posthume et remarquablement vivante. Il est vrai que Giacometti avait un faible pour les femmes portant ce prénom : sa mère s’appelait Annetta, son épouse était Annette Arm. Il y a donc une Chambre des Annettes, où se trouve une installation à quatre mains : un petit bronze d’Alberto figurant Annette (Arm) debout et nue, privée de ses bras, idole préhistorique, est salué par un écureuil empaillé, la tête encagoulée de noir, le corps protégé par de nombreux petits sacs de tissu. Il est juché sur des coussins. Un filet noir à larges mailles drape l’ensemble. L’œuvre s’intitule La Parade de l’écureuil pour Annette,et c’est bien plus et mieux qu’un hommage.
Un hommage, ce serait simplement témoigner de l’admiration pour Giacometti, dont la place dans l’art du XXe siècle est établie depuis longtemps et qui n’a donc pas besoin d’un surcroît de révérence. Le culte dont il est l’objet, entretenu par un nombre croissant de rétrospectives et d’expositions internationales, lui fait même courir le risque d’une momification muséale définitive : un grand mort tout à fait mort. Annette (Messager) le ranime. Elle pratique avec lui une sorte de bouche-à-bouche salvateur et amoureux. Résultat : il ouvre les yeux, il se remet à bouger et à parler.
Annette (Messager) ranime Giacometti. Elle pratique avec lui une sorte de bouche-à-bouche salvateur et amoureux
La Chambre des rencontres est celle des souvenirs et des bavardages : Messager a pris dans les archives de l’institut des lettres adressées à Giacometti ou écrites de sa main, plus ou moins intimes ou anecdotiques, petits fragments de vie quotidienne ou artistique. Il déclare son amour à Annette (Arm) – « la femme la plus intelligente que j’aie jamais rencontrée à ce jour » – au dos d’une enveloppe déchirée. Il correspond avec Simone de Beauvoir, Miro, Tanguy. Il dessine dans les pages des revues d’art et des livres.
Dans le sillage de la série pour adolescents Riverdale, qui entame sa saison 3, Netflix doit dévoiler, vendredi 26 octobre, les premiers épisodes des nouvelles aventures de la sorcière Sabrina. C’est même cette série qui ouvrira la quatrième édition de la Comic Con, qui se tient à Paris de vendredi à dimanche. En France, le projet a enthousiasmé ceux qui ont connu, sur France 2 à la fin des années 1990, les aventures en sitcom de Sabrina Spellman et de son chat animatronique Salem.
Mais certains furent surpris d’apprendre que la sorcière appartenait au même univers qu’Archie Andrews, le héros de Riverdale. Et que cet univers n’est pas loin de célébrer ses 80 ans. Derrière ce retour de mode et ce succès international se cache un tour de force pour réinstaller une franchise qui fleurait bon la naphtaline.
A l’origine, Archie est un personnage de comics né au cœur de la seconde guerre mondiale, en 1941. Il a été créé par l’auteur de BD Bob Montana et l’entrepreneur John Goldwater, l’un des cofondateurs de la maison d’édition new-yorkaise MLJ. Née deux ans plus tôt au moment où l’industrie de la BD fleurit aux Etats-Unis, elle se lance d’abord avec des histoires de super-héros ; c’est même MLJ qui donnera vie, quelques mois avant le Captain America de Marvel, au premier super-héros patriote, The Shield.
Après la guerre, les super-héros commencent à perdre la cote et l’entreprise décide de se concentrer sur les aventures d’Archie, un lycéen rouquin et bon enfant qui a su conquérir les lecteurs dès les premiers numéros. En 1945, l’entreprise se rebaptise même Archie Comics. La machine est lancée et Archie devient une figure de la culture populaire américaine, un équivalent de Spirou outre-Atlantique.
L’Amérique intemporelle
Calqué de façon assumée sur son contemporain Andy Hardy, un héros de films de la Metro Goldwyn Mayer, Archibald Andrews est un adolescent beau et moderne pris dans un triangle amoureux. Il ne sait qui choisir entre sa voisine sympathique et débrouillarde, Betty Cooper, et Veronica Lodge, une brunette classe et un brin hautaine. Passant son temps entre les couloirs du lycée de la petite ville fictive de Riverdale et les banquettes de chez Pop’s, le diner local, le jeune homme ne manque pas de se confier à son meilleur ami, Jughead (« tête de cruche », en anglais).
« Archie représente une forme d’Amérique intemporelle », résume Xavier Fournier, journaliste spécialiste des comics et auteur de Super-Héros : l’envers du costume (Fantask, 2016) : « Les codes sont suffisamment génériques pour qu’on ne puisse pas forcément le placer dans une décennie en particulier, un peu comme Tintin. » Aucun mot plus haut que l’autre, de la romance sage et des personnages proprets… les histoires sises à Riverdale ne parlent pas non plus de politique.
Mais elles symbolisent une Amérique plutôt blanche et conservatrice. « Contrairement aux super-héros, Archie a très bien survécu à la censure morale des autorités », abonde Xavier Fournier. Dans les années 1960, Archie et ses amis prennent une tournure « plus pop, un peu comme les Beach Boys. Ils fondent même un groupe de rock, dont le tube Sugar Sugar deviendra un classique », explique le journaliste. A la même époque, Sabrina, l’apprentie sorcière, naît et prend part aux aventures des lycéens d’Archie avant d’obtenir sa propre série, une dizaine d’années plus tard.
Devenir « has been »
C’est dans ces années 1960 qu’Archie Comics connaîtra un pic de ventes. Mais quelques années plus tard, face au flower power et aux contestations étudiantes, le côté frais et papier glacé de ces héros ne convainc plus. « Archie et sa bande deviennent has been », explique Xavier Fournier. Une image qui va coller à la franchise jusque dans les années 2010. « C’étaient des comics sur des ados que les ados ne lisaient pas », conclut auprès du site américain Vulture l’auteur Mark Waid, qui travaille sur les plus récentes séries.
Si les ventes s’effritent à mesure du succès, il est difficile d’établir des chiffres. Contrairement à la plupart des éditeurs de BD aux Etats-Unis qui distribuent dans des magasins de comics spécialisés, Archie a assis son système économique sur la distribution de « digests », des fascicules de gares, des compilations d’histoires courtes anciennes et récentes vendues au grand public. Des ventes qui ne sont pas prises en compte dans les audiences officielles du marché américain.
Jusqu’à il y a peu, il était hors de question de prendre des risques pour la direction. « Ils étaient très très attentifs à ce que vous pouviez et ne pouviez pas faire avec une BD Archie », se souvient le scénariste Mark Waid, qui a aussi travaillé pour la société au début des années 1990.
Il faut attendre 2009 et l’arrivée de Jon Goldwater, le fils du fondateur, à la tête de la maison d’édition new-yorkaise pour voir s’effondrer les barrières conservatrices. Après une bataille juridique de plusieurs années avec la veuve de l’un des propriétaires d’Archie Comics pour récupérer la direction créative de la franchise, M. Goldwater est désormais le maître à bord. L’une de ses premières décisions d’ampleur est de convoquer tous ses employés pour une réunion de travail et de réflexion afin de dépoussiérer la collection.
Le producteur de « Glee » à la rescousse
Sur le plan éditorial, Riverdale accueille en 2010 son premier personnage gay, Kevin Keller, une figure récurrente. Côté stratégie, Archie Comics devient la première entreprise de BD aux Etats-Unis à proposer ses albums en numérique le jour même de leur sortie papier, selon le site Vulture. Elle va aussi finir par proposer ses titres en librairies, en plus des kiosques à journaux.
En parallèle, Jon Goldwater se rapproche de Roberto Aguirre-Sacasa, auteur de théâtre, de BD et de séries TV, largement applaudi pour sa série musicale pour ados Glee. En résulte quelques numéros bien accueillis réunissant les camarades d’Archie et les lycéens de Glee mais aussi une réinterprétation fantastique et décalée, Afterlife with Archie, peuplée de zombies et de loups-garous. Un succès critique qui amène l’auteur à prendre la direction du bureau créatif.
En coexistence avec les anciens Archie qui ressortent sans cesse en « digests », le duo Goldwater-Aguirre lance un reboot, une remise à zéro des séries, et le confie à des auteurs de premier plan, à l’instar de la dessinatrice du très salué Saga, Fiona Staples, et de Mark Waid, reconnu pour son travail sur les séries de grands super-héros comme ses projets indépendants.
Dans cette opération de rénovation, il s’agit d’insérer plus de diversité mais aussi de remettre les personnalités et les préoccupations des héros au goût du jour, sans pour autant dénaturer la série. « Tout le monde était d’accord pour dire que la relance de Riverdale méritait une petite mise à jour mais personne ne sous-entendait que “Betty allait tomber enceinte” ou que “Archie allait faire un doigt d’honneur à M. Weatherbee [le principal du lycée]” », explique Mark Waid en postface du nouveau premier tome.
Une obsession : la télévision
La dessinatrice française Marguerite Sauvage (Faith, Bombshells) qui, en binôme avec Nick Spencer, va prendre le relais sur la série à partir du numéro 700 à paraître prochainement, n’a en revanche reçu aucune consigne particulière. « On a eu carte blanche, il n’y a pas eu d’éléments bibliques mentionnés. Après, je m’en tiens au cadre posé par le script de Nick », détaille au Monde celle qui ne connaissait pas Archie avant de s’installer au Canada mais prend plaisir à lui redonner vie. « J’ai un passif d’illustratrice de mode et de beauté avec lequel j’ai pu renouer, ça change des personnages en costume de héros. Les personnages d’Archie sont très glamourisés. »
Roberto Aguirre-Sacasa avait toutefois en tête d’autres ambitions pour Archie : le ramener à la télévision. Au lieu d’un dessin animé comme cela a pu être de nombreuses fois le cas, il espère en faire un drama, un soap pour adolescents. Riverdale sera un « Archie rencontre Twin Peaks », la série de David Lynch, assume son créateur qui ajoute en introduction d’un des numéros de la BD : « Les choses y prennent un tour un peu plus macabre, un peu plus érotique et un peu plus décalé. » Le programme est lancé en janvier 2017 sur la chaîne américaine pour jeunes CW, et en parallèle sur Netflix. L’effet comique et la pop sucrée des années 1960 laissent place à de mystérieuses enquêtes sur des meurtres, des secrets d’alcôve et des scènes au clair de lune, tout en conservant des références vintages et un certain polish.
Une implantation en France
« Le coup de génie de la série est de s’être réapproprié ce qu’Archie et ses amours avaient clairement inspiré en matière de schémas et de séries romantiques ados comme Les Frères Scott ou même Dawson », analyse Xavier Fournier. D’autres comme Olivier Jalabert, directeur éditorial comics de Glénat, qui publie en France les nouvelles BD Riverdale, estiment qu’avec cette série « on touche les mêmes publics qui ont pu à une autre époque être fans de Buffy contre les vampires ou Smallville ».
Pari réussi. La série a permis de reconquérir les jeunes Nord-Américains. Ils sont en moyenne un peu plus d’un million à la regarder sur CW chaque semaine – un chiffre en légère baisse qui ne fait pas partie des meilleures audiences de la chaîne, mais ne comprend pas les spectateurs Netflix. La plate-forme, qui a d’ailleurs négocié l’exclusivité de la série Sabrina, le spin-off de Riverdale, a aussi largement contribué à son succès à l’étranger.
En France, les spectateurs ont consommé des produits dérivés Archie sans le savoir mais n’ont jamais eu de vrai attachement. Et pour cause, les BD n’ont jamais vraiment paru dans l’Hexagone jusqu’à ce que Glénat décide, cette année, d’importer les titres les plus récents dans le but d’ouvrir une collection « Young Adult », offre inexistante jusqu’alors dans ses rayons. « Nous ne sommes pas sur un gros succès, avec entre 3 000 et 4 000 exemplaires vendus par titre », concède Olivier Jalabert, qui se félicite toutefois « d’avoir eu le nez creux » en décidant d’acheter la licence avant la sortie de la série. Comme quoi, même à 77 ans, il est possible de redevenir cool.
Elle s’appelait Kathleen Annie Pannonica de Koenigswarter. Un peu long pour un titre de composition, alors pour l’évoquer par la musique, les musiciens de jazz ont utilisé son diminutif, « Nica », ou son prénom Pannonica, voire joué avec (Tonica, Inca…). Ces musiciens, ce sont le saxophoniste Gigi Gryce, le trompettiste Kenny Dorham, plusieurs pianistes, dont Horace Silver, Thelonious Monk (il signe Pannonica et Ba-Lue Bolivar Ba-Lues-Are, pour le Bolivar Hotel, sur Central Park Ouest, où elle habita un temps).
Tous sont réunis dans un double album, Pannonica, A Tribute to Pannonica,présenté dans un petit livre au format à l’italienne. Une compilation de quatorze thèmes – une édition en 1 CD n’en présente que dix – déjà publiés dans les disques originaux des uns et des autres, à diverses périodes, de 1955 à 1982. Réunis ici, du solo au sextette, en l’honneur de celle qui fut protectrice des jazzmen des années 1950 à sa mort, en 1988, à l’âge de 74 ans. En reproduction, sur beau papier épais, des photographies de musiciens prises par la dame. Des instantanés, moments fugaces du quotidien, de concerts, de répétitions.
Elle était née à Londres, en 1913, fille de l’un des membres de la dynastie Rothschild, éduquée pour tenir son rang familial puis son rôle d’épouse, en 1935, du diplomate français et baron Jules de Koenigswarter, futur héros de la seconde guerre mondiale, au sein des Forces françaises libres (FFL). Dans le texte du livret, signé Yann Portail, l’on apprend qu’elle avait aussi rejoint les FFL, dès décembre 1940. En 1951, le couple se sépare ; il divorcera cinq ans plus tard. Pannonica de Koenigswarter part vivre à New York. Elle loue une suite au Stanhope Apartment Hotel, sur la Ve Avenue. Elle adore le jazz, passe ses soirées dans les clubs, aide les musiciens dans la mouise, les reçoit chez elle, les encourage, comprend leurs recherches artistiques.
A l’exception peut-être de Saartjie Baartman, mieux connue sous le pseudonyme de la Vénus hottentote, une jeune femme originaire d’Afrique du Sud arrivée en Europe en 1810 et dont le destin a été porté à l’écran par Abdellatif Kechiche dans Vénus noire, l’histoire populaire n’a retenu aucun nom, aucun visage. Pendant tout le XIXe siècle et jusqu’à la seconde guerre mondiale, près de 35 000 personnes ont pourtant été exhibées dans des cirques ou lors d’expositions universelles et coloniales en Europe et aux Etats-Unis. Devant un public avide de sensations fortes et assoiffé d’exotisme, des hommes, des femmes et des enfants ont été présentés comme des bêtes sauvages ou des monstres sexuels.
Ce documentaireretrace la vie de Petite Capeline, Tambo, Moliko, Ota Benga ou Jean Thiam. Ils ont été arrachés au Congo, à la Guyane, à la Patagonie ou à l’Australie. Sans pathos, le film de Pascal Blanchard et Bruno Victor-Pujebet retrace leur vie grâce à d’innombrables archives (vidéos, affiches, films, cartes postales, articles de presse…), à des éclairages d’universitaires parmi lesquels l’anthropologue Gilles Boëtsch et des historiens comme Benjamin Stora et Sandrine Lemaire. A l’écran, le résultat final ressemble à un hommage aussi fort qu’émouvant.
« Vouloir se souvenir, ça ne veut pas direvouloirculpabiliser les gens », prévient au début du documentaire Lilian Thuram, ancien pilier de l’équipe de France de football et président de la Fondation Education contre le racisme. Le film conserve le même esprit, grâce notamment aux commentaires du rappeur et écrivain Abd Al Malik, qui accompagne les récits des « déracinés » et ceux de leurs descendants. L’évolution des zoos humains montre comment la société européenne est passée d’un racisme pseudo-scientifique à un racisme de masse, les « sauvages » étant montrés comme des êtres inférieurs qu’il faut asservir et coloniser pour assurer leur développement.
La fortune de Barnum
Dans les années 1880, en Europe, il faut montrer d’authentiques « primitifs » dans les zoos, quitte à fairecroire qu’ils sont cannibales. Le grand public veut ressentir le même frisson que les aventuriers lors de leurs expéditions lointaines. Petite Capeline a été capturée à l’âge de 2 ans avec dix membres de son village de Patagonie. Morte d’une broncho-pneumonie après quelques mois en France, elle est enterrée à deux pas du Jardin d’acclimatation, à Paris. Quant à sa famille, elle est exposée en Allemagne puis en Suisse. Deux membres survivront et reverront leur terre natale, mais en y rapportant un virus respiratoire qui décimera leur peuple.
Aux Etats-Unis, Phineas Barnum a construit sa fortune en présentant dans ses spectacles des femmes à barbe, des frères siamois, des obèses mais aussi des aborigènes d’Australie ou des Pygmées du Congo. Ces derniers, en raison de leur petite taille, qui leur a pourtant permis de survivre dans les forêts d’Afrique centrale, ont longtemps été classés au dernier rang de l’espèce humaine.
En Allemagne, au début du XXe siècle, Carl Hagenbeck a été l’un des plus grands imprésarios d’Europe. Marchand d’animaux, il a aussi alimenté en « sauvages » des cirques, des ménageries et des jardins zoologiques. Un siècle après sa mort en 1913, un zoo de Hambourg porte encore son nom. De hautes statues décorent la porte d’entrée. Elles représentent des hommes originaires de contrées lointaines au milieu d’animaux sauvages.
Sauvages – Au cœur des zoos humains, de Pascal Blanchard et Bruno Victor-Pujebet (France, 2018, 90 min).
Cofondateur, avec le guitariste Paul Kantner (1941-2016), du groupe de rock Jefferson Airplane, chanteur à la voix chaude et expressive, guitariste et auteur-compositeur, Marty Balin est mort, jeudi 27 septembre, à Tampa (Floride). Il était âgé de 76 ans. Les causes de sa mort n’ont pas été précisées par sa femme Susan Joy Balin et sa famille, dans l’annonce publiée vendredi 28 septembre, sur le site Internet Martybalinmusic.com.
Né le 30 janvier 1942 à Cincinnati (Ohio), Marty Balin, a été élevé dans la région de San Francisco (Californie). Après un cursus artistique à la San Francisco State University, qui mêle musique, danse et arts graphiques – ses portraits, réalisés plus tard, de musiciennes et de musiciens seront exposés dans sa galerie à St. Augustine, en Floride – il enregistre, en 1962, quelques chansons. Début 1965, Balin et trois associés mettent en place un club, The Matrix – il revendra ses parts en 1967. Il faut un groupe résident. Balin, qui vient de rencontrer Kantner, va le constituer avec la chanteuse Signe Anderson (1941-2016), le guitariste Jorma Kaukonen, le bassiste Bob Harvey et le batteur Jerry Peloquin. Jefferson Airplane y fait ainsi ses débuts lors de l’inauguration le 13 août 1965.
A l’automne, Harvey est remplacé par Jack Casady et Peloquin par Lee « Skip » Spence (1946-1999). Anderson, Balin et Kantner se partagent les interventions vocales, entre chant lead et parties harmonisées. Un premier album, titré Jefferson Airplane Takes Off est publié en août 1966. Balin cosigne plusieurs chansons et est le seul auteur de It’s No Secret, qui donnera lieu à un single.
« Skip » Spence a quitté le groupe peu avant la sortie de l’album, remplacé par Spencer Dryden (1938-2005) et Grace Slick devient, à l’automne 1966, la chanteuse. Les grandes heures de Jefferson Airplane peuvent débuter.
Le deuxième album, Surrealistic Pillow paraît en février 1967, avec Somebody…
Depuis l’attentat à Charlie Hebdo du 7 janvier 2015, et la mort brutale de Cabu et Wolinski, il était l’un des derniers monstres sacrés du dessin de presse. René Pétillon n’évoquait que très rarement en public cette tragédie qui avait décimé les rangs de sa profession, emportant également Charb, Honoré et Tignous. Il avait lui-même participé à la reparution de l’hebdomadaire satirique, quelques semaines plus tard.
Le dessinateur s’est éteint dimanche 30 septembre à Paris, à l’âge de 72 ans, des suites d’une longue maladie. Il laisse derrière lui une œuvre marquée par l’humour corrosif, le non-sens mais aussi la dualité : comme Cabu et Wolinski, il connut, en effet, le succès autant dans le dessin politique que dans la bande dessinée, ces deux disciplines cousines n’ayant pas forcément à voir l’une avec l’autre, notamment en matière de narration.
Né le 12 décembre 1945 à Lesvneven (Finistère) au sein d’une famille de boulangers-pâtissiers, René Pétillon fut, comme beaucoup de dessinateurs de presse de sa génération, un pur autodidacte n’ayant jamais fréquenté d’école d’art. Il a 22 ans quand paraissent ses premiers crobards, dans la revue Planète, l’organe du mouvement du réalisme fantastique, cher à Louis Pauwels et Jacques Bergier. Il va alors collaborer à d’autres publications, témoignant d’un éclectisme qui ne le quittera jamais – Plexus, L’Enragé, Week-End, Vingt Ans, Penthouse… –, avant de mettre sa carrière de dessinateur de presse entre parenthèses pour s’essayer à la bande dessinée, qui s’apprête à vivre une révolution fracassante avec la création de plusieurs magazines de BD pour adultes (L’Echo des savanes, Métal hurlant, Fluide glacial).
Jack Palmer, le plus empoté et le plus incompétent des détectives privés que la terre n’ait jamais porté
Comme avec tant d’autres, René Goscinny va lui laisser sa chance en 1972, en lui ouvrant les pages de Pilote, dont il est le rédacteur en chef….
L’auteur de bandes dessinées René Pétillon est mort, dimanche 30 septembre, à l’âge de 72 ans, « emporté par une longue maladie », a annoncé la maison d’édition Dargaud, confirmant ainsi une information publiée par le dessinateur Yan Lindingre sur son compte Facebook.
« La tristesse et la douleur de voirdisparaître un ami cher ne nous font pas oublier le talent hors du commun de ce dessinateur à l’humour irrésistible et à l’élégance rare », peut-on lire dans le communiqué publié par Dargaud.
René Pétillon avait notamment créé le personnage de Jack Palmer, un calamiteux détective dont les péripéties ont été narrées à travers plusieurs albums, publiés entre 1976 et 2014. L’Enquête corse, prix du meilleur album au Festival d’Angoulême 2001 avait été adaptée au cinéma dans un film réalisé par Alain Berberian trois ans plus tard, avec les acteurs Christian Clavier et Jean Reno.« Le succès de cet album m’a abasourdi », racontait Pétillon en 2013, encore surpris d’avoir été fait citoyen d’honneur de la ville de Bastia grâce à cet ouvrage.
« Humour acéré, impitoyable, légèrement décalé »
Originaire du Finistère, il publie ses premiers dessins en 1968 dans Planète, Plexus et l’Enragé. Sa première bande dessinée sort en 1972 dans Pilote. C’est deux ans plus tard qu’il donne naissance à Jack Palmer, un Groucho Marx se prenant pour Humphrey Bogart, détective un peu bêta au gros nez et à l’imperméable trop grand. La dernière aventure de Palmer, Palmer en Bretagne, est parue en 2013.
Parallèlement à la BD, Pétillon, lauréat du grand prix de la ville d’Angoulême en 1989, était l’un des dessinateurs français les plus connus dans le domaine de la satire politique grâce à son travail pour Le Canard enchaîné. Il y était entré en 1993 avant de mettre fin à sa collaboration avec l’hebdomadaire l’an passé, selon Dargaud.
« Son humour acéré, impitoyable, légèrement décalé et, néanmoins, pas dénué de tendresse faisait mouche à tous les coups », a souligné Dargaud dans son communiqué, saluant « un des grands portraitistes de la société française ». « L’Enquête corse découle directement de mon travail au Canard », avait assuré le dessinateur en 2013.
Océan s’est fait connaître en 2009 avec La Lesbienne invisible, son premier spectacle, comme un comédien militant et engagé contre toute forme de discrimination. Son succès s’est confirmé avec un deuxième one-man-show, Chatons violents, et la réalisation, en 2017, d’un premier long-métrage, Embrasse-moi ! Il tourne actuellement un documentaire sur cette première année de transition et est à l’affiche de Justice, une pièce de Samantha Markowic, au Théâtre de l’Œuvre, à Paris.
Dans la vidéo de votre coming out, vous dites : « J’étais épuisée d’être une femme ». Depuis quand vous sentiez-vous homme ?
Océan : Cela a été un cheminement progressif. Grâce à des rencontres, des lectures, j’ai commencé à déconstruire la notion de binarité, à comprendre que les catégories de genre étaient des catégories sociales, des fictions politiques. J’ai compris que je me sentirais davantage à ma place dans la catégorie homme. Cela a toujours été compliqué pour moi de me sentir une fille, ce n’était pas complètement naturel, même si je m’y étais accoutumé. Si j’avais grandi dans un milieu où j’avais pu penser la transidentité, je l’aurais sans doute fait beaucoup plus jeune.
Il m’a fallu tout ce temps pour comprendre qu’il était possible d’être transfuge de genre, et que ce n’était ni grave, ni un problème, ni une folie. En ce sens, je ne fais pas partie des personnes trans qui sont en souffrance depuis l’enfance ou l’adolescence.
Quand vous étiez enfant ou adolescente, n’y avait-il pas une part d’interrogation ?
Je l’avais complètement refoulée. Il y a autant de parcours trans que de personnes. A titre personnel, dire « Je suis dans un corps qui n’est pas le mien » ne fait pas sens. En revanche, dire que mon corps ne me convient pas et que j’ai envie de le modifier, oui. Notre société ne nous montre que deux modèles – homme et femme – et présente la transidentité et la non-binarité comme quelque chose de pathologique. Si la société évoluait, les personnes trans seraient moins dysphoriques et beaucoup plus de gens s’autoriseraient à êtregender fluid.
Dans votre vidéo, vous dites que le masculin en vous était « contrôlé, écrasé, contenu ». Par qui, pourquoi ?
J’avais intériorisé une peur. J’ai grandi dans un milieu très normatif sur la question du genre, même si mes parents m’ont toujours laissée faire ce que je voulais sans jamais me dire « Ça, ce n’est pas un truc de fille ». J’étais heureuse, je n’avais pas l’impression de tricher. Quand j’ai joué La Lesbienne invisible, j’ai exploré ma féminité, et cela m’a fait du bien. A rebours, je comprends que c’était une stratégie inconsciente de survie de jouer la fille « parfaite », désirable dans les codes hétéro normatifs, et une façon de m’excuser d’être lesbienne. Mais c’était une étape nécessaire.
Ensuite, j’ai accepté de préférer l’apparence physique dite « masculine » : j’ai coupé mes cheveux et changé ma garde-robe, j’ai eu l’impression de me retrouver davantage en m’identifiant « lesbienne virile ». Mais au bout d’un certain temps, cela ne me suffisait plus. J’ai eu envie d’avoir un corps plus fort, un torse d’homme. J’avais besoin de faire cette traversée. Néanmoins je ne m’identifie pas aux hommes cisgenres [ceux dont le genre est ressenti comme adéquat à leur sexe de naissance]. Je ne me considérerai jamais comme un homme cis. Je suis un homme trans avec mon passif de femme cis.
D’où votre choix de faire votre coming out sur un site LGBT ?
J’ai une petite partie de mon public choqué, qui m’en veut. C’est fort dommage, car je suis toujours l’un de leurs meilleurs alliés.
Oui, parce que je voulais dire à mes fans : c’est le chemin que je prends, mais je ne vous abandonne pas. Il y aura toujours une lesbienne à l’intérieur de moi ! Je ne voulais pas que ma communauté se sente trahie. Il existe de la transphobie y compris chez les féministes et les lesbiennes. J’ai une petite partie de mon public choqué, qui m’en veut. C’est fort dommage, car je suis toujours l’un de leurs meilleurs alliés. Pour autant, j’ai eu le coming out le plus cool de France !
Et comment s’est passé le coming out auprès de votre famille ?
Je l’ai convoquée et fait mon annonce devant vingt-cinq personnes ! Même si j’avais donné des indices, cela a été un vrai coming out. Pour ma mère, c’était le deuxième, vingt-deux ans après mon coming out en tant que lesbienne. J’avais peur de lui faire de la peine. Mais j’ai la chance d’avoir une mère ouverte, intelligente. Même si elle a des réticences et que ce n’est pas facile pour elle, je sais qu’elle va bouger, qu’on ne va pas se perdre.
Vous avez fait le choix de prendre des hormones, pourquoi ?
Pour l’heure, je vis très bien cet entre-deux que j’appelle « monsieur-madame », où les gens ont du mal à me genrer. C’est très intéressant, car cela vient questionner la relation au genre de tout un chacun. Les gens sont troublés. Mais, pour mon bien-être, je préfère être perçu tout de suite comme homme. La prise d’hormones a été un vrai désir.
Quand vous regardez vos photos d’avant, que vous dites-vous ?
Etrangement, faire ma transition me réconcilie avec ma féminité et avec mon passé. J’ai plus de tendresse pour la fille que j’ai été que je n’en avais à l’époque. Je me vois négociant avec cette masculinité. Le fait de « passer de l’autre côté » m’apaise avec mon moi d’avant. Il n’y a aucune honte, le malaise a disparu. C’est comme si quelque chose était réglé.
Vous dites : « Il y aura toujours une lesbienne à l’intérieur de moi » ? Alors, pourquoi changer ?
J’ai envie de faire ce voyage pour être plus juste vis-à-vis de moi-même, c’est aussi simple que cela.
C’est un voyage sans billet retour ?
Je suis assez sûr que oui, mais quand bien même je changerais d’avis : où est le problème ? Pour l’heure je n’ai jamais été aussi heureux. J’apprends chaque jour de nouvelles choses grâce à cette transition. La plus importante : alors que j’étais psychorigide, persuadé qu’on a tous une identité profonde et immuable, je comprends que c’est n’importe quoi. L’identité bouge, évolue, et c’est ça qui est passionnant. J’ai été une femme cis et aujourd’hui je suis un homme trans. J’ai juste évolué. Quand mon passing sera fort, peut-être que cela me gonflera d’être perçu comme cis et que je reviendrai à une apparence plus androgyne. Mais pour l’heure, je m’éclate.
Quel est votre message aujourd’hui ?
Beaucoup de trans précaires ou isolés ont encore des difficultés à accéder aux soins et à échapper à la transphobie d’Etat.
Beaucoup de filles m’ont dit que La Lesbienne invisible et Embrasse-moi ! leur avaient donné confiance en elles. Je souhaite apporter cette même visibilité positive, cet « empuissancement » aux trans ! C’est la moindre des choses au regard de mes privilèges : je suis blanc, sans problème d’argent, conseillé et soutenu pour trouver des médecins qui facilitent mes démarches, j’arrive une fois que le sale boulot a été fait par toute une génération de militants qui, eux, s’en sont pris plein la gueule.
Mais beaucoup de trans précaires ou isolés ont encore des difficultés à accéder aux soins et à échapper à la transphobie d’Etat : à l’hôpital public pour accéder aux hormones et aux opérations, face aux tribunaux pour changer d’état civil, pour trouver du travail. J’aime à rappeler que ce ne sont pas les LGBTQ + qui ont un « problème », mais le système en place et les gens qui nous haïssent. Ce sont eux qui ont un problème et feraient mieux d’aller le régler chez le psy au lieu de nous harceler !
« Le Monde » organise, dans le cadre du Monde Festival, une rencontre avec Diane Leriche, Sam Bourcier et Adrian de la Vega sur la vie des personnes trans en France. La rencontre aura lieu au théâtre des Bouffes du Nord, dimanche 7 octobre, de 14 h 30 à 15 h 30.