Le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la prĂ©sidence, Habba Okbi, a prononcĂ©, lors dâune rencontre tenue mercredi 28 novembre entre le gouvernement et les walis (prĂ©fets), un discours dâune tonalitĂ© et dâun contenu particuliĂšrement violents. Jamais depuis lâarrivĂ©e au pouvoir de Bouteflika en 1999, un discours prĂ©sidentiel nâa contenu une telle charge dâoutrance et dâaccusations.
Alors que cinq mois sĂ©parent de la prĂ©sidentielle de 2019, alors que le chef de lâĂtat nâa toujours pas dĂ©voilĂ© ses intentions sur son Ă©ventuelle candidature, cette missive Ă©tonne et intrigue autant quâil inquiĂšte. Grand parleur et bon tribun avant son AVC dâavril 2013, Bouteflika avait pour habitude dâĂ©triller adversaires et contempteurs dans ses discours, ses sorties publiques ou ses entretiens dans la presse internationale. Virulent, sarcastique ou caustique, cet orateur hors pair le faisait avec verve, panache et non sans une certaine retenue et de la hauteur.
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Le discours qui a Ă©tĂ© prononcĂ© mercredi devant ministres et walis ne lui ressemble pas. Câest un rĂ©quisitoire contre les « cercles de prĂ©dateurs », les « cellules dormantes », les « aventuristes » qui « dissimulent les faucilles du massacre, quâils nâhĂ©siteront pas Ă utiliser pour faire basculer le pays dans lâinconnu ». Outrancier et va-t-en guerre, les mots et les phrases quâil contient sont dâune violence si inĂ©dite que certains doutent quâil ait Ă©tĂ© Ă©crit, inspirĂ©, validĂ© ou cautionnĂ© par Bouteflika lui-mĂȘme.
Doutes sur la paternité du discours
Les doutes sur lâauthenticitĂ© de certaines dĂ©cisions prises au nom du prĂ©sident ne datent pas dâaujourdâhui. Des responsables de lâopposition, des acteurs de la sociĂ©tĂ© civile, voire mĂȘme des amis de Bouteflika ont eu Ă remettre en cause la paternitĂ© de certains textes, messages ou dĂ©clarations qui lui ont Ă©tĂ© attribuĂ©s. Certains sont mĂȘme allĂ©s jusquâĂ soutenir que le prĂ©sident est otage de parties occultes qui dĂ©cident Ă sa place. Dâautres Ă©voquent des pouvoirs parallĂšles qui dĂ©cident et agissent Ă son insu.
Ce discours aurait-il pu ne pas Ă©maner du prĂ©sident de la RĂ©publique ? LâhypothĂšse nâest pas exclue
Reclus dans sa rĂ©sidence de ZĂ©ralda, le chef de lâĂtat vit en cercle familial restreint. Hormis ses deux frĂšres et sa sĆur, rares sont les responsables quâil reçoit. Ce discours aurait-il pu ne pas Ă©maner de lui ? LâhypothĂšse nâest pas exclue. Les doutes et les suspicions autour du fait quâil ne soit pas lâĂ©manation directe du chef de lâĂtat relancent les questionnements autour de ses capacitĂ©s rĂ©elles Ă assumer pleinement ses fonctions. Et donc Ă briguer un cinquiĂšme mandat, comme le souhaitent ses partisans.
Ira, ira pas ?
Câest de cet Ă©nigmatique cinquiĂšme mandat dont il est justement question dans cette allocution, prononcĂ©e par le SG de la prĂ©sidence. Le messager ne tranche pas sur la faisabilitĂ©. Il la suggĂšre, la sous-entend, la laisse croire. « Nouveaux dĂ©fis », « étape dâun long processus », « nouvelle aube », « nouvelles prioritĂ©s », « continuité » : les mots choisis indiquent que la question de la candidature de Bouteflika, 81 ans, Ă un cinquiĂšme mandat, est tranchĂ©e. DâoĂč la tonalitĂ© belliqueuse, guerriĂšre, menaçante du message Ă lâendroit de ceux qui doutent de la reconduction du vieux raĂŻs Ă la tĂȘte de lâĂtat, de ceux qui sây opposent, de ceux qui veulent « freiner » cette dĂ©marche, de ceux qui manĆuvrent en coulisses pour lâempĂȘcher.
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Pour discrĂ©diter, dĂ©courager et stigmatiser ceux qui prĂŽnent le changement et la transition, le discours prĂ©sidentiel joue sur la corde sensible de la stabilitĂ©, sur le chantage par la peur et la terreur : « câest nous ou le chaos ». Ce nâest guĂšre nouveau. Câest sur ce thĂšme de la stabilitĂ©, sur la menace dâun basculement dans lâinconnu si Bouteflika quittait le pouvoir, que sâest articulĂ©e en 2014 la campagne pour le quatriĂšme mandat. Ă lâĂ©poque, le principal adversaire du candidat sortant, lâancien Premier ministre Ali Benflis, a Ă©tĂ© accusĂ© par Bouteflika de « terrorisme » et de « menaces » contre les prĂ©fets, les autoritĂ©s et leurs progĂ©nitures. Les soutiens du chef de lâĂtat lâavaient Ă©galement accusĂ© dâimporter des armes de Libye pour entrer en rĂ©bellion en cas de dĂ©faite.
Un aveu dâĂ©chec ?
Bref, la formule stabilitĂ© contre chaos, qui a fait recette en 2014, refait surface cinq ans plus tard. Sauf que le disque est Ă©culĂ©, raillĂ©. En dressant un tableau obscur du pays, en agitant la menace de la dĂ©stabilisation avec des mots durs, en instaurant un climat anxiogĂšne, dĂ©lĂ©tĂšre autour de cette prĂ©sidentielle, le pouvoir confirme le constat de lâopposition, des mĂ©dias, des chancelleries occidentales et des partenaires Ă©trangers : la succession de Bouteflika nâest pas apaisĂ©e, pas ordonnĂ©e, pas tranchĂ©e et surtout porteuses de dangers.
Le prĂ©sident de la RĂ©publique reconnaĂźt sans le reconnaĂźtre sa responsabilitĂ© dans lâimpasse actuelle, juge lâancien ministre Abdelaziz Rahabi
Câest le vocabulaire mĂȘme choisi par ce discours prĂ©sidentiel qui le dit dâune maniĂšre claire et rĂ©pĂ©titive. Affirmer que la stabilitĂ© du pays et la pĂ©rennitĂ© de lâĂtat peuvent ĂȘtre gravement menacĂ©es par des « aventuristes (sic) », par des « élĂ©ments dĂ©voyĂ©s », sonne comme un aveu dâĂ©chec. « Le prĂ©sident de la RĂ©publique, en prĂ©sentant lâinventaire des tares dâune gestion exclusive sans contrĂŽle populaire ou judiciaire, reconnaĂźt sans le reconnaĂźtre sa responsabilitĂ© dans lâimpasse actuelle, juge lâancien ministre Abdelaziz Rahabi. Il le fait dans des termes dâune gravitĂ© convoquĂ©e qui ne rassure ni le peuple ni les dirigeants eux mĂȘmes. »
La leçon que lâon peut retenir de ce discours est que le rĂ©gime nâa pas de plan B, pas de candidat pour succĂ©der Ă Bouteflika. Pire, en dehors de ce dernier, pas de salut. Quâadviendrait-il Ă sa disparition ? Lâaventure dans lâinconnu, comme le suggĂšre le texte. Le message prĂ©sidentiel dit que les vingt derniĂšres annĂ©es nâont pas servi Ă prĂ©parer une transition apaisĂ©e, une succession concertĂ©e et ordonnĂ©e qui Ă©viterait au pays des lendemains incertains. En fin de rĂšgne, le chef de lâĂtat nâa pas mis en place â si tant est quâil le souhaite â les conditions et les mĂ©canismes dâun processus Ă©lectoral ouvert, crĂ©dible, transparent et surtout rassurant qui puisse prĂ©munir lâAlgĂ©rie de ces mĂȘmes dangers quâil Ă©numĂšre dans son discours.